Plaintes en ligne, identité numérique : les grands chantiers numériques du ministère de l'Intérieur sur le point d'aboutir
Par Franck Lemarc
Curieuse période que cette sorte de long entre-deux pendant lequel un demi-gouvernement gère les affaires courantes en attendant l’annonce de la deuxième partie du remaniement, repoussée de jour en jour. Avec, en conséquence, des Conseils des ministres éclairs, depuis le début janvier, sans présentation de textes majeurs – sans faire offense au projet de loi d’accord entre la France et la Papouasie-Nouvelle-Guinée présenté hier.
En attendant, les ministres peuvent au moins présenter des « communications » sur des sujets de long terme. C’est ce qu’a fait Gérald Darmanin hier, avec une communication sur « la transformation numérique du ministère de l’Intérieur ».
Plaintes en ligne
Le numérique est en effet « au centre des préoccupations stratégiques » du ministère, avec des moyens conséquents, puisque quelque 7 milliards d’euros seront consacrés à ce sujet dans les cinq ans à venir.
Premier chantier : la plainte en ligne, qui devrait enfin voir le jour cette année. Pour l’instant, les citoyens n’ont la possibilité que de faire une « pré-plainte » en ligne, qui doit ensuite être suivie d’un passage physique au commissariat ou à la gendarmerie, avec des temps d’attente souvent importants. Deux dispositifs vont être déployés. D’abord, pour les plaintes contre X pour atteinte aux biens (déclaration de vol ou de cambriolage, par exemple), « un site dédié permettra de déposer une plainte en remplissant simplement un formulaire en ligne ». Le système est en expérimentation en Gironde, et il fonctionne bien : 3 000 déclarations sont déposées chaque mois par ce biais. Le ministère annonce que ce dispositif sera étendu à l’ensemble du territoire « d’ici l’été ».
Pour les autres plaintes, elles pourront bientôt se faire à distance, par webcam, le ministère créant pour cela le néologisme de « visioplainte ». « Le plaignant peut ainsi simplement réserver un créneau et faire sa déposition en échangeant à distance par visioconférence avec un policier ou un gendarme ». Ce dispositif est en expérimentation dans la Sarthe et les Yvelines, et sera généralisé « à l’automne ».
Par ailleurs, le ministère va mettre en œuvre – sans précision de date pour l’instant – un dispositif appelé « 17Cyber », destiné à répondre en urgence aux victimes de cybercriminalité (« SMS frauduleux, escroqueries, usurpation de comptes de réseaux sociaux, rançongiciels, etc. ». Ce service permettra aux victimes « d'obtenir des conseils personnalisés, voire une mise en relation, pour les menaces qui le nécessitent, avec un opérateur spécialisé du ministère de l'intérieur et des outre-mer ».
Identité numérique
Deuxième chantier d’importance : l’identité numérique. Il s’agit d’un sujet majeur, qui fait l’objet de travaux depuis plusieurs années, avec des bénéfices considérables pour l’usager si le chantier aboutit, mais aussi des risques importants qui amènent l’État à agir avec la plus grande prudence. Il s’agit de la possibilité de prouver son identité en ligne, lors d’une démarche dématérialisée, de façon sécurisée et fiable. Jusqu’à présent, aucun dispositif n’était jugé assez fiable pour permettre d’éviter, à un moment de la démarche, l’obligation de présenter des papiers d’identité « physiques ». Cas d’école : la demande de procuration électorale en ligne. Si la presque totalité de la démarche est aujourd’hui dématérialisée, il reste néanmoins obligatoire de se déplacer à un moment à la gendarmerie ou au commissariat pour présenter ses papiers et prouver ainsi son identité.
C’est pour dépasser cette difficulté que le gouvernement a lancé en 2018 le programme interministériel FIN (France identité numérique), chargé de concevoir « une solution d’identification numérique » parfaitement fiable et sécurisée, sans risque d’usurpation d’identité.
L’objectif est en grande partie atteint, puisqu’il existe désormais une application mobile, France identité, testée à grande échelle (en version « bêta » ) et fonctionnelle. Seule contrainte : l’application ne peut fonctionner que pour les personnes disposant d’une carte d’identité à puce (format carte bancaire). C’est en effet uniquement en « communiquant » avec la puce de la carte d’identité (via le NFC) que l’application pourra générer une carte d’identité numérique sur le smartphone de l’utilisateur.
L’application permet d’ores et déjà de générer « un justificatif d’identité à usage unique qui remplace les photocopies de carte d’identité », et d’accéder, via FranceConnect, à « plus de 1800 démarches administratives en ligne ». Le ministère de l’Intérieur indique en outre qu’il est désormais possible d’ajouter son permis de conduire dans l’application : « Les policiers et les gendarmes pourront le contrôler sans contact lors des opérations routières. »
Enfin, la mise en œuvre progressive de cette application va permettre pour la première fois, d’ici juin prochain, de tester la dématérialisation totale de la demande de procuration électorale en ligne pour les élections européennes. Mais, si l’on en croit le communiqué du ministère, il restera une étape de sécurité à franchir, dans les 50 communes qui vont expérimenter le dispositif : effectuer « une comparaison d'empreintes devant l'agent de mairie chargé des titres ». Maire info reviendra dans une prochaine édition sur ce dispositif, qui n'est pas de toute simplicité.
Intelligence artificielle
Le ministre de l’Intérieur a également évoqué les travaux en cours sur l’utilisation de l’intelligence artificielle. Celle-ci est par exemple expérimentée pour la retranscription automatique des enregistrements d’auditions de mineurs victimes, ce qui génère « un gain de temps significatif pour les enquêteurs ».
Autre application possible : la détection précoce des feux de forêt. Le ministère de l'Intérieur va expérimenter cet été dans les Pyrénées-Orientales « un drone à énergie solaire couplé à de l'IA, (qui) procèdera à la détection précoce des fumées de feux de forêt et permettra de donner l'alerte immédiatement avec des premières indications de surface et de localisation, gagnant ainsi de précieuses minutes. Il permettra également le suivi des zones après incendie avec une analyse détaillée post-feu facilitant les retours d'expériences et les travaux de réhabilitation. »
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2