Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 10 septembre 2024
Nouvelle-Calédonie

Pendant ce temps, la Nouvelle-Calédonie s'enfonce dans le chaos

Éclipsée par la dissolution de l'Assemblée nationale, l'interminable feuilleton de la désignation d'un Premier ministre et les Jeux olympiques, la Nouvelle-Calédonie est sortie des radars de l'actualité. Pourtant, sur place, la situation paraît plus chaotique que jamais, entre effondrement économique et aggravation des tensions politiques. 

Par Franck Lemarc

« Situation cataclysmique », pour Sonia Backès. « Effondrement total de notre territoire », selon Jean-Marc Burette. Entre la présidente loyaliste de la région sud, ancienne ministre, et le syndicaliste, secrétaire général de l’Union des syndicats ouvriers et employés de Nouvelle-Calédonie (Usoenc), il y a au moins un point commun : le constat d’une situation dramatique, socialement, économiquement et politiquement, seize semaines après le début des émeutes insurrectionnelles qui ont fait 11 morts et des dégâts dont l’addition se chiffrera en milliards d’euros. 

« Émeutes de la faim » 

Cela n’a occupé que quelques entrefilets dans la presse, mais vendredi dernier, le Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie a annoncé une nouvelle prolongation des mesures de restriction des libertés publiques (couvre-feu et interdiction des rassemblements, manifestations et cortèges), au moins jusqu’àu 16 septembre. Ces restrictions sont en vigueur sans discontinuité depuis que le 13 mai dernier, de violentes émeutes ont éclaté sur le « Caillou »  pour protester contre la réforme du corps électoral décidée par Emmanuel Macron (lire Maire info du 14 mai). 

Depuis, si la situation n’est plus directement insurrectionnelle, le feu continue de couver sur la braise, et les incidents sont quotidiens : barrages installés et aussitôt démontés par les forces de l’ordre, parfois au prix de violents affrontements, dégradations… Cet été, cinq églises ont été incendiées dans l’archipel. Si les auteurs n’ont pas été retrouvés, les enquêteurs estiment que ces incendies pourraient être le fait de groupes indépendantistes mettant en avant le rôle de la religion catholique dans la colonisation de l’île. 

Au-delà des affrontements sporadiques, la situation économique et sociale de l’archipel est dramatique. Le PIB de la Nouvelle-Calédonie s’est effondré de 24 %. Lorsque l’on connaît les angoisses qui étreignent les économistes lorsque la croissance d’un pays comme la France tombe sous les 1 ou 2 %, on mesure ce que ce chiffre a d’effrayant. Selon la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom), 900 entreprises néo-calédoniennes ont fermé leurs portes depuis le début de la crise et 24 000 emplois ont été détruits. Selon le dirigeant de l’union syndicale Usoenc, Jean-Marc Burette, « un salarié sur deux a perdu son emploi, le système de santé se voit mis à mal avec le départ de dizaines de soignants, les dispensaires ferment, aucun transport public terrestre ne circule ». 

Catastrophe supplémentaire, même si elle est davantage liée à une crise économique sectorielle qu’à la situation politique : samedi 31 août, l’immense usine de traitement du nickel KNS, dans le nord de la Grande île, a fermé ses portes, mettant à la rue ses quelque 1200 ouvriers. Cette usine était le principal moteur économique d’un archipel dont la principale ressource est l’exploitation du nickel. Sa fermeture fait craindre aux autorités locales une crise sociale « majeure ». 

Une crainte que partage y compris le Medef local, dont la responsable, Mimsy Daly, a indiqué fin août que « le pire est à venir ». « Le domaine de la santé est en faillite, les aides sociales s’arrêtent les unes après les autres », a-t-elle précisé. Même inquiétude chez le syndicaliste Jean-Marc Burette, qui explique que « le gouvernement calédonien et les collectivités territoriales n’ont aucune marge de manœuvre financière », ce qui induit « de grosses inquiétudes pour les salaires des agents publics ». Alors que la hausse des prix atteint des niveaux record dans l’archipel, le syndicaliste estime que « si l’on n'agit pas rapidement, les gens auront faim ». Encore plus direct, le responsable du parti Calédonie ensemble affirme : « Le sujet, c’est d’éviter les émeutes de la faim à la fin de 2024. » 

David Lisnard, président de l’AMF a pu échanger cet été sur la situation avec Pascal Vittori, maire de Boulouparis, président de l'Association française des maires de Nouvelle-Calédonie. Avec son collègue, Florentin Dedane, maire de Pouébo et président de l'association des maires de Nouvelle-Calédonie (AMNC), ils ont alerté l’AMF du risque d’effondrement du budget des communes 2025, leurs principales ressources de fonctionnement venant des recettes fiscales de la Nouvelle-Calédonie.  

Ils demandent de l’aide à l’AMF, pour un examen dans le cadre du PLF 2025 d’une augmentation exceptionnelle de la DGF pour compenser tout ou partie des pertes de recette des subventions de fonctionnement versée par la Nouvelle-Calédonie. 

L’AMF expertise actuellement cette question pour apporter son soutien aux maires de l’archipel, et Maire info reviendra sur les conclusions de l’association dès qu’elles seront disponibles.  

Radicalisation

Cette situation appelle en effet une réaction extrêmement puissante de l’État… qui est dans l’impossibilité de la donner, faute de gouvernement. Certes, tout au long de l’été, Bercy a publié un certain nombre de décrets pour proroger des aides d’urgence décidées au début de la crise. Un peu plus de 270 millions d’euros ont été débloqués (sous forme de prêts ou d’avances remboursables), permettant aux provinces locales et aux communes de maintenir la tête hors de l’eau et de payer le chômage partiel. Une vingtaine de millions d’euros a été avancée aux entreprises locales. Mais on est très loin des besoins : indépendamment même des sommes nécessaires à la reconstruction – estimées entre 1 et 2 milliards d’euros, a minima – le gouvernement local estime que plus de 700 millions d’euros doivent être débloqués immédiatement pour faire face aux besoins. 

Les autorités locales, tout comme le monde de l’entreprise et les syndicats, estiment donc plus qu’urgent qu’une mission interministérielle s’empare du sujet et le prenne à bras-le-corps – alors qu’au contraire, depuis la démission du gouvernement, elles estiment « ne plus avoir d’interlocuteur » 

La situation semble d’autant plus chaotique que les divisions politiques, sur l’île, n’ont fait que se creuser et que l’heure n’est pas à la réconciliation, très loin de là. Les deux camps, loyalistes et indépendantistes, se sont radicalisés depuis les émeutes. 

Un exemple parmi d’autres, dans le camp loyaliste : la présidente de la province sud, Sonia Backès, a annoncé en juillet la suppression de l’aide médicale qui permet à 26 000 familles pauvres (essentiellement kanak) de pouvoir se soigner gratuitement. Avec ce commentaire, dans un communiqué (inspiré d’une formule de Gabriel Attal) : « Tu casses, tu payes. »  Une mesure vécue comme une punition collective par les familles concernées. 

Côté indépendantistes, un des marqueurs de la radicalisation est le choix fait le 31 août par le FLNKS (Front national de libération kanak et socialiste) d’élire à sa présidence, par contumace en quelque sorte, Christian Teint, le leader de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), actuellement incarcéré en métropole. Une désignation symbolique, mais qui marque le choix d’une ligne dure, contre l’avis des composantes les plus modérées du FLNKS. 

La crise ne fait que s’approfondir. Il faut espérer que le nouveau gouvernement mettra ce dossier au premier rang de ses préoccupations, pour éviter les « émeutes de la faim »  redoutées sur place ou « les graves troubles à l’ordre public qui seraient susceptibles de se reproduire dans les semaines à venir », selon le Haut-commissaire de la République. 

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