Maire-info
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Édition du jeudi 16 mai 2024
Nouvelle-Calédonie

L'état d'urgence décrété en Nouvelle-Calédonie, où la situation sanitaire se dégrade

L'état d'urgence a été décrété hier en fin de journée en Nouvelle-Calédonie, où de nouveaux affrontements ont eu lieu ces dernières heures. Des forces militaires se déploient sur l'île, où la situation sanitaire commence à devenir critique. Le bilan des affrontements est passé à cinq morts et des centaines de blessés.

Par Franck Lemarc

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© Gaël Detcheverry pour NC la 1ère

C’est par la publication exceptionnelle d’un Journal officiel non au petit matin, comme chaque jour, mais à 19 h 15 hier, que le Premier ministre a officialisé la mise en place de l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie. Deux décrets ont été pris : le premier instaure l’état d’urgence « sur l’ensemble du territoire de la Nouvelle-Calédonie »  ; le second précisant explicitement les articles de la loi sur l’état d’urgence immédiatement applicables dans l’archipel. 

L’état d’urgence

Rappelons que l’état d’urgence est régi par une loi du 3 avril 1955, maintes fois remaniée depuis, en particulier après les attentats de 2015. L’état d’urgence est déclaré sans intervention du Parlement, par décision en Conseil des ministres, mais seulement pour une durée de 12 jours. Au-delà, une loi est nécessaire pour le prolonger.

L’instauration de l’état d’urgence donne des pouvoirs exceptionnels aux autorités, permettant de déroger aux libertés fondamentales pendant une période donnée : possibilité d’interdire la circulation des personnes, les réunions, les manifestations, de fermer les établissements recevant du public, d’organiser « des perquisitions en tout lieu » , de prononcer des assignations à résidence, etc. 

Dès l’état d’urgence instauré dans l’archipel, de premières mesures ont été annoncées, notamment l’assignation à résidence d’un certain nombre de dirigeants de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), considérée comme étant l’organisatrice des émeutes. Par ailleurs, il a été annoncé que le réseau social TikTok a été rendu inaccessible sur tout le territoire de la Nouvelle-Calédonie. 

Des forces militaires ont été déployées pour « sécuriser les ports et les aéroports » , notamment dans un contexte où des navires porte-conteneurs acheminant des denrées alimentaires sont attendus dans les heures qui viennent. 

En milieu de matinée (heure de Paris), le Haut-commissariat a publié un arrêté d'application de l'état d'urgence, étendant le couvre-feu nocturne, qui ne touchait jusqu'à présent que l'agglomération de Nouméa, à l'ensemble du territoire de l'archipel : « Tout déplacement sur la voie publique et dans les lieux publics (...) est interdit de 18 h à 6 h », (saufs déplacements professionnels ou en cas d'urgence), et ce « jusqu'à la fin de l'état d'urgence ». Le non-respect de cette interdiction sera lourdement sanctionné (« six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende » ). 

Cinq morts en 24 heures

Entretemps, les violences se sont poursuivies sur place ces dernières heures, même si la nuit a été « un tout petit peu moins violente »  que la précédente, selon le Haut-Commissaire de la République Louis Le Franc. Mais les pillages et incendies continuent, et les barrages mis en place par des habitants – parfois armés – sont toujours en place. 

Ces affrontements ont fait, à cette heure, quatre morts. On en sait un peu plus ce matin sur les victimes : trois d’entre elles sont mélanésiennes, dont une jeune fille de 17 ans. Elles ont été tuées non par des forces de l’ordre mais par des habitants – l’un d’eux a d’ailleurs été arrêté, a annoncé le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ce matin. Par ailleurs, un jeune gendarme de 22 ans, atteint d’une balle dans la tête, est décédé des suites de ses blessures hier. En fin de matinée, on a appris qu'un deuxième gendarme a été tué ce matin – « à la suite d'un tir accidentel », indique sans plus de précision le ministère de l'Intérieur. 

Aucun bilan exact du nombre de blessés n’a été donné, mais ils se comptent « par centaines ». 

Situation tendue dans les hôpitaux

L’un des aspects les plus préoccupants de la situation est, aujourd’hui, la situation sanitaire sur la Grande île. Le Haut-commissaire a alerté cette nuit sur le manque de réserves de sang dans les hôpitaux, alors que les nombreux blessés rendent le besoin criant. « La réserve est de 90 poches et nous en consommons un grand nombre par jour, c’est très urgent », a détaillé Louis Le Franc. Le gouvernement a semble-t-il prévu d’acheminer d’urgence des réserves de sang par avion. 

Autre sujet : les personnes dialysées. La très grande difficulté à se déplacer sur l’île du fait des affrontements et des barrages, pour des personnes qui doivent se rendre – pour des raisons vitales – plusieurs fois par semaine à l’hôpital, pose un problème majeur. Tout comme la pénurie de produits de traitement qui se dessine. Hier, l’Association pour la prévention et le traitement de l’insuffisance rénale (Atir) de Nouméa a publié un communiqué alarmiste : « Nous n’y arrivons plus. Par manque de dialyse, beaucoup de vieux du pays risquent de ne pas tenir les prochaines 24 à 48 heures. (…) Nos patients souffrent, nos vieux souffrent. (…) Nous vous implorons de retenir vos coups et de revenir à la raison. Il n’est pas trop tard mais il ne reste plus beaucoup de temps. » 

Au-delà des personnes dialysées, les médicaments commencent à manquer partout du fait de la destruction de nombreuses pharmacies. 

Au Médipôle, le principal hôpital de l’île, la situation est plus que tendue. Un communiqué de la direction de l’établissement, cette nuit, indiquait que « l’ensemble des consultations et des prises en charge programmées »  sont reportées. Les visites sont « interdites » . Les personnels sont contraints de dormir sur le site, engendrant « une fatigue croissante heure après heure ». « De nombreux patients appellent le 15, mais ce dernier n’est pas en mesure d’assurer leur transfert vers le Médipôle, compte tenu du blocage des routes et des difficultés d’accès au Médipôle. Cette situation a des conséquences sur l’état de santé de nos patients notamment chroniques. » 

Polémiques sur la CCAT

Sur le terrain politique, la situation n’évolue guère. Malgré les appels pressants des indépendantistes et de la gauche, en métropole, le gouvernement ne semble pas envisager le retrait, ni même la suspension, du projet de loi constitutionnel qui a mis le feu aux poudres – les indépendantistes estimant que ce serait la seule solution pouvant conduire à un retour au calme.

Le chef de l’État a simplement invité les élus de l’île à participer à une visioconférence, aujourd’hui, pour échanger sur la situation. 

Autre élément de tension : le jugement porté par les autorités françaises sur la CCAT. Dans son dernier point presse, cette nuit, le Haut-commissaire a qualifié cette structure « d’organisation de voyous », qui n’a « plus lieu d’être ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a fait de même ce matin, en qualifiant les responsables de la CCAT de « leaders mafieux »  – annonçant au passage qu’il avait prononcé l’assignation à résidence de dix d’entre eux, et que « plus d’une vingtaine d’autres »  seraient prononcées aujourd’hui. 

Ces termes de « voyous »  et de « mafieux »  ont provoqué la réprobation de leaders indépendantistes, comme le Conseil national des chefs de Kanaky, qui apporte « tout son soutien à la CCAT » , tout en dénonçant sans ambigüité « les actes de vandalisme et les violences avec armes à feu » . Pour le Conseil national des chefs, « la CCAT a su démontrer, en mobilisant plus d’une centaine de milliers de personnes ces derniers mois dans l’ordre et la discipline, qu’elle n’est pas un ‘’groupe terroriste’’ ou ‘’groupe mafieux’’ comme certains responsables veulent le faire croire ». 

Le ministre de l’Intérieur, ce matin, a également dénoncé une « ingérence »  de l’Azerbaïdjan et une collusion « d’un certain nombre des indépendantistes »  avec ce pays. Des déclarations qui diffèrent de celles du Haut-commissaire, sur place, qui déclarait à la presse quelques heures plus tôt qu’aucune « ingérence étrangère »  n’était à déplorer. 
 

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