Nouvelle-Calédonie : « Nous tiendrons les élections européennes, dans tous les bureaux de vote », assure Gérald Darmanin
Par Franck Lemarc
Alors que le calme est loin d’être revenu, notamment dans l’agglomération de Nouméa, le président de la République a annoncé hier qu’il partirait dans l’archipel le soir même, accompagné des ministres de l’Intérieur, des Armées et des Outre-mer, pour « installer une mission » – sans qu’on sache à cette heure qui la composera et quelle sera sa feuille de route.
La vie quotidienne profondément perturbée
Sur le terrain, les effectifs renforcés de forces de l’ordre (2 700 policiers et gendarmes en tout) tentent de lever les barrages. Ils ont notamment dégagé la route entre Nouméa et l’aéroport, a annoncé hier le Premier ministre, en détruisant « 76 barrages », parfois à l’aide de véhicules blindés. Mais si la situation est « plus calme » , comme l’a répété hier encore le Haut-commissaire de la République, elle n’est pas apaisée pour autant : de nouveaux barrages sont édifiés à mesure que d’autres sont détruits, et certaines communes (Le Mont-Dore, Ducos, Rivière-Salée, Dumbéa…) sont encore partiellement bloquées.
Les problèmes les plus urgents qui se posent pour la population concernent la santé, le ravitaillement et la collecte des déchets.
Sur le plan sanitaire, les déplacements sont toujours très difficiles et plusieurs infrastructures, dont des centres médicaux, ont été détruites. L’accès au principal hôpital de la grande île, le Médipôle, reste compliqué. Comme l’expliquait ce matin Christopher Gygès, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, « Il n’y a qu’une seule route d’accès » , et « les barrages sont remis » au fur et à mesure que les forces de l’ordre les détruisent. Les professionnels de santé demandent que des mesures d’urgence soient prises pour faciliter les téléconsultations. Le gouvernement local a pris un arrêté de tarification dans ce sens, et cherche par ailleurs « des locaux pour que les patients puissent être reçus par les professionnels », a indiqué Christopher Gygès.
La question du ravitaillement reste également très sensible, alors que de nombreux commerces ont été détruits ou pillés. Des opérations de solidarité sont organisées par les habitants eux-mêmes, par des associations caritatives ou des structures comme la Chambre de commerce et d’industrie. Par ailleurs, des communes organisent des distributions de biens de première nécessité, comme celle de Païta, qui distribue aujourd’hui du lait et des couches « aux familles dans le besoin ».
La question des déchets se pose également de façon urgente dans certaines communes où la collecte a été interrompue depuis une semaine, et où les habitants n’ont pas d’autre choix que de déposer leurs déchets sur la voirie. L’interruption de la collecte est due à la situation sécuritaire, d’une part, mais aussi à la volonté « d’économiser les stocks d’essence », ont fait savoir les maires de plusieurs communes, comme celles de Boh, Koné et Pouembout. D’autres communes ont mis en place des points de collecte provisoires sur des parkings pour éviter les déchets sauvages. C’est le cas à Nouméa et à Païta notamment. À Dumbéa, la mairie indique que dans l'attente de la reprise de la collecte, « les administrés sont invités à conserver l’ensemble de leurs déchets chez eux et de ne surtout pas les déposer ni sur l’espace public, ni à l’entrée des déchèteries pour ne pas augmenter les risques d’incendie » .
Face à la fermeture prolongée des écoles, plusieurs communes, comme celle de Bourail par exemple, organisent des activités et des animations pour occuper les enfants. Sur un autre problème, en revanche, les communes sont démunies pour aider les habitants : celui de l'approvisionnement en argent liquide, rendu impossible dans plusieurs secteurs de l'île par la destruction des distributeurs de billets.
L’état d’urgence
L’état d’urgence est toujours en vigueur en Nouvelle-Calédonie, avec un couvre-feu général. L’état d’urgence ayant été décrété mercredi 15 mai à 20 heures, il prendra fin au plus tard le 3 juin, sauf si le gouvernement demande et obtient, d’ici là, une prolongation, qui ne peut être prononcée que par le Parlement. Interrogé sur ce sujet, hier, devant les députés, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’a pas dit si le gouvernement comptait faire une telle demande. Il a toutefois rappelé que le gouvernement était libre de lever l’état d’urgence quand il le jugera nécessaire, y compris avant la date du 3 juin.
Le ministre de l’Intérieur a annoncé hier que seules quatre perquisitions administratives avaient été menées dans le cadre de l’état d’urgence, ce qui est peu, mais qu’en revanche une trentaine d’assignations à résidence avaient été prononcées envers des membres de la CCAT, la Cellule de coordination des actions de terrain, organisation nationaliste qui revendique l’organisation des troubles de ces derniers jours. Le ministre de l’Intérieur a indiqué que « aucun élu » n’avait été touché par ces assignations à résidence ni « privé de sa liberté de s’exprimer ni de manifester ».
Sécurité des bureaux de vote
Dans ce contexte, on peut imaginer que l’organisation des élections européennes, le 9 juin prochain, va être particulièrement complexe. Mais le ministre de l’Intérieur a été formel, hier : elles se tiendront comme sur tout le reste du territoire national. Les bulletins de vote et les professions de foi des candidats seront imprimés en métropole et acheminés sur place. « La sécurité sera garantie pour tous les bureaux de vote », a assuré le ministre devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, hier. « Je compte sur tous les maires pour organiser des bureaux de vote », a-t-il poursuivi, rappelant que les maires, lorsqu’ils organisent les élections, « n’agissent pas en tant que présidents du conseil municipal mais en tant que représentants du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice » . Si des maires calédoniens refusaient d’organiser des bureaux de vote, « nous prendrions nos responsabilités pour les forcer à le faire » . Gérald Darmanin a rappelé que l’État peut « délocaliser des bureaux de vote » si cela s’avère nécessaire.
Les organisations indépendantistes n’ont pour l’instant pas communiqué sur cette question. Appelleront-elles à un boycott, comme cela a été le cas par le passé, et sous quelle forme ? Cette période pourrait être un moment critique de la crise en cours : on se souvient que le boycott des élections locales de 1984 avait été marqué par le geste spectaculaire du dirigeant indépendantiste Éloi Machoro, qui avait pénétré dans le bureau de vote de la commune de Canala pour briser l’urne électorale. Ce geste avait été le point de départ d’une situation insurrectionnelle qui devait durer quatre années.
Le retour au calme, d’ici là, dépendra certainement en bonne partie des annonces que fera, ou pas, le chef de l’État à son arrivé sur le « Caillou » .
Les dirigeants indépendantistes continuent de conditionner le retour à la paix civile au « retrait » ou du moins à la « suspension » du projet de loi de réforme constitutionnelle, et à la non-convocation par Emmanuel Macron du Congrès qui doit l’entériner. De plus en plus de voix s’élèvent pour demander ce report, y compris dans la majorité : en fin de semaine dernière, c’est Yaël Braun-Pivet elle-même, présidente de l’Assemblée nationale, a demandé le report de la convocation du Congrès, tout comme le président de la commission des lois, Sacha Houlié. Il reste à savoir si le président de la République suivra ou non ces avis.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Évacuation des squatteurs : le gouvernement détaille les nouvelles règles