Nomination du Premier ministre : une situation bloquée
Par Franck Lemarc
51e jour sans gouvernement de plein exercice pour le pays. Presque deux mois après le deuxième tour des élections législatives anticipées du 7 juillet, Emmanuel Macron continue de « consulter » pour trouver un Premier ministre qui ne serait pas immédiatement censuré par une Assemblée nationale sans majorité. En vain, jusqu'à présent.
Des blocs qui se neutralisent mutuellement
Dès le lendemain de l’élection, le chef de l’État avait fait savoir qu’il ne choisirait pas son Premier ministre dans les rangs du Nouveau Front populaire (NFP), même si cette coalition (LFI, PS, PC et Écologistes) a obtenu, de facto, le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée nationale. Le NFP lui-même a mis plusieurs semaines pour désigner le nom d’une candidate Première ministre acceptée par toutes les nuances de la coalition, en la personne de Lucie Castets, haute fonctionnaire, énarque et directrice des finances à la mairie de Paris. Malgré une campagne menée tout l’été par le NFP pour faire mettre en avant sa candidate, le président de la République s’est montré inflexible, et a annoncé par communiqué, le 26 août, que par souci de « la stabilité institutionnelle de notre pays », il ne pouvait être question de « retenir l’option » Lucie Castets : en effet, les partis du bloc central (MoDem, Ensemble pour la République et Horizons), les Républicains et le Rassemblement national avaient prévenu le président qu’ils opposeraient une motion de censure immédiate à un gouvernement « constitué sur la base du seul programme et des seuls partis proposés par (…) le NFP ». Exit donc Lucie Castets.
Depuis, le chef de l’État se livre à d’intenses négociations, chaque jour offrant son lot de nouveaux noms lancés, de rumeurs, d’hypothèses, de ballons d’essai et de coups de bluff. Les rumeurs allant jusqu’à envisager, la semaine dernière, « un gouvernement composé d’élus locaux », uniquement parce que le chef de l’État avait consulté les associations d’élus.
Si l’ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve semblait, samedi dernier, tenir la corde – présentant l’insigne avantage, aux yeux du chef de l’État, d’être en rupture de ban avec le Parti socialiste –, le nom du LR Xavier Bertrand, ancien ministre de Nicolas Sarkozy et président de la région Hauts-de-France, lui a aussitôt succédé. Lundi, c’était le nom du président du Conseil économique, social et environnemental, Thierry Baudet, qui sortait soudain du chapeau, avant d’être oublié dès le lendemain avec un retour en force, hier, de l’hypothèse Xavier Bertrand.
Alors que les porte-parole des Républicains, en juillet, disaient clairement qu’ils ne souhaitaient pas que le Premier ministre soit issu de leurs rangs, il semble que leur position ait évolué ces derniers jours : ils n’excluaient plus, hier, cette possibilité. Se pose donc l’option d’un gouvernement unissant les Républicains (qui en auraient la direction) et les partis favorables à Emmanuel Macron – cette coalition ayant déjà permis, mi-juillet, de faire réélire Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée nationale.
Mais cette option pose un double problème : premièrement, elle ne serait guère conforme aux résultats des élections législatives, le bloc macroniste et les LR étant respectivement arrivés troisième et quatrième de ce scrutin. Mais de plus, les mêmes arguments qui ont permis au président de rejeter la candidature de Lucie Castets devraient, logiquement, le conduire à repousser le nom de Xavier Bertrand. En effet, le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national ont d’ores et déjà annoncé qu’ils censureraient un gouvernement Xavier Bertrand. Si la consigne est respectée, les 193 députés du NFP et les 126 députés RN (soit 319 sièges) suffiraient largement à obtenir une majorité absolue pour la censure.
Situation inextricable
La situation apparaît, ce matin, totalement bloquée : le bloc macroniste, la droite et l’extrême droite censureront un gouvernement dirigé par le NFP, le NFP et le RN censureront un gouvernement dirigé par la droite.
Reste l’hypothèse Cazeneuve. Il n’était pas certain que le Parti socialiste, dont l’ancien Premier ministre est issu, se montre aussi déterminé à rejeter Xavier Bertrand que Bernard Cazeneuve. Mais le Bureau national du parti, qui s’est réuni hier soir, a finalement tranché et opté pour une ligne dure : « Nous ne participerons à aucun gouvernement qui ne sera pas un gouvernement du NFP », écrit la direction du PS dans une résolution, et « nous censurerons toute forme de prolongation d’un macronisme finissant » . Dans ces conditions, un gouvernement Cazeneuve avec des ministres macronistes et LR a bien peu de chances d’échapper, lui, aussi, à une censure immédiate.
Il ne semble donc rester que peu d’options au chef de l’État en dehors d’un « gouvernement technique », avec à sa tête une personnalité non marquée politiquement, qui aurait l’avantage de ne pas pouvoir être censurée « par principe » – sauf par le NFP qui est toujours décidé à censurer tout gouvernement qui ne serait pas dirigé par Lucie Castets. Mais le NFP n’a pas la majorité à l’Assemblée nationale, et le RN a déclaré, hier, que lui ne censurerait pas a priori un gouvernement technique.
Nul ne peut dire, aujourd’hui, quand va enfin intervenir la nomination du Premier ministre, qui peut aussi bien avoir lieu demain que dans plusieurs semaines – rappelons que la Constitution ne fixe aucun délai au chef de l’État pour cette nomination, et que celui-ci semble être fermement décidé à prendre tout son temps. Après la nomination du locataire de Matignon, il faudra encore patienter le temps des négociations pour que celui-ci compose son gouvernement.
Autrement dit, il n’est pas exclu que le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal continue de « gérer les affaires courantes » pendant plusieurs semaines encore. Cette situation est bel et bien ubuesque. Déjà, la rentrée des classes a eu lieu avant-hier sans ministre de l’Éducation nationale de plein exercice – c’est-à-dire susceptible de prendre des décisions politiques. Mais c’est la question du budget qui paraît la plus grave : en théorie, le projet de loi de finances pour 2025 aurait déjà dû être transmis au Haut conseil des finances publiques, qui est censé rendre un avis à la mi-septembre. Et le texte définitif doit, selon la loi, être déposé au Parlement au plus tard le mardi 1er octobre. Plus le chef de l’État tarde à désigner son Premier ministre, moins le futur gouvernement aura de temps pour élaborer un texte dont la rédaction, en temps normal, prend plusieurs mois.
Assemblée ingouvernable, Premier ministre introuvable… la crise politique que traverse le pays à la suite de la dissolution surprise de juin est – quoi qu’en dise le chef de l’État – probablement la plus inextricable qu’ait connue la Ve République. Cette situation a toutes les chances de durer jusqu’à une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, qui ne peut survenir avant le mois de juin 2025. Sauf si, d’ici là, le président de la République décide de démissionner, ce qui, même dans son propre camp, ne paraît plus une hypothèse à exclure. Témoin, l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, qui vient subitement de confirmer sa candidature à l’élection présidentielle, « y compris en cas de présidentielle anticipée » . C’est la première fois que cette option est évoquée dans le camp du chef de l’État, ce qui est tout sauf anodin.
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