Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du jeudi 11 avril 2024
Violences urbaines

Neuf mois après les émeutes, un bilan et 25 propositions

La commission des lois du Sénat a rendu son rapport d'évaluation sur les émeutes de juin 2023, et élaboré une liste de 25 propositions pour améliorer la réponse à ce type d'événements. Bilan, stratégie de maintien de l'ordre, rôle des policiers municipaux et des maires, le Sénat a passé au crible tous les aspects de la question. 

Par Franck Lemarc

Maire-Info
© D.R.

Dès le mois de juillet dernier, alors que les incendies allumés pendant les émeutes de fin juin et début juillet étaient à peine refroidis, la commission des lois du Sénat a créé une mission d’information transpartisane, présidée par François-Noël Buffet et dotée de prérogatives d’une commission d’enquête, afin de « dresser le constat des événements »  et analyser les réponses des pouvoirs publics.

Bilan

Neuf mois plus tard, la mission a rendu un rapport (encore en version provisoire), où elle conclut que si la mort de Nahel Merzouk, tué par un policier à Nanterre, a bien été l’élément déclencheur de ces événements, ils ont d’autres causes profondes, et qu’en tout état de cause, dans plusieurs communes, les émeutiers étaient déjà « prêts pour un affrontement avec les forces de l’ordre, comme en témoignent les importants stocks préconstitués de mortiers d’artifices ainsi que la coordination et l’organisation qui ont pu être constatées, localement ». 

La mission dresse aussi un bilan définitif des émeutes, marquées par « une expansion territoriale fulgurante des violences, (…) sous la forme d’une vague de destruction et de pillages sans précédent », mais aussi par « une décrue aussi soudaine que l’embrasement ». Ces émeutes ont fait deux morts (un à Marseille, l’autre à Cayenne), et au moins un millier de blessés dont 782 agents des forces de l’ordre et 3 sapeurs-pompiers. 

Côté dégâts, les dommages aux biens ont atteint le chiffre « colossal »  d’un milliard d’euros. Les seuls sinistres déclarés aux assurances (16 400) représentent un coût de 793 millions d’euros, soit quatre fois plus que celui des émeutes de 2005, qui avaient été plus localisées (672 communes touchées dans 95 départements en 2023, contre environ 300 dans 25 départements en 2005). 2 508 bâtiments ont été incendiés ou dégradés, dont 105 mairies et 243 écoles. 12 031 véhicules ont été incendiés, et entre 1 000 et 1 500 commerces ont été vandalisés ou pillés. 

Quant au profil des auteurs, il se caractérise avant tout par la jeunesse : l’âge moyen des quelque 3 500 personnes interpellées est de 18 ans, et 500 d’entre eux étaient mineurs (193 ayant 15 ans et moins). Selon la mission, la « marginalité sociale »  des émeutiers est « à nuancer ». Attention toutefois à une erreur dans le document diffusé par le Sénat : dans « L’essentiel » , synthèse du rapport établie par la mission, il est écrit cette phrase plus qu’étonnante : « Près de trois-quarts des mineurs déférés sont inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur », ce qui paraît à la fois peu crédible et matériellement impossible, puisqu’il est fort rare d’être à la fois mineur et dans l’enseignement supérieur. Il faut se référer au rapport lui-même pour qu’une information nettement plus recevable soit donnée : « Près de trois quarts (73,2 %) de ces mineurs étaient inscrits dans un établissement scolaire ou de formation ». Ce chiffre, précisent les sénateurs, est à la fois « inférieur à la moyenne nationale chez les 14-17 ans »  mais « supérieur à la proportion habituellement constatée chez les mineurs déférés ». Autrement dit, il semble que ces émeutes aient entraîné un public plus large que celui des délinquants « habituels ». 

Enfin, les sénateurs mettent l’accent sur le rôle « déterminant »  joué par les réseaux sociaux, qui ont, d’une part, été utilisés pour « jouer la concurrence »  entre groupes d’émeutiers « dans une recherche effrénée de viralité ». D’autre part, les réseaux ont également « servi de plateformes logistiques pour la coordination »  des actions violentes.

Maintien de l’ordre

Face à tous ces constats, la mission fait un certain nombre de propositions, au premier rang desquelles « la nécessaire modernisation des moyens du rétablissement et du maintien de l’ordre public en contexte émeutier ». Les sénateurs demandent que soit construit un nouveau schéma national, « en facilitant notamment le décloisonnement et le dézonage de l’emploi des forces de sécurité intérieure ». Ils estiment que le fameux « continuum de sécurité »  n’a pas été « optimal », notamment du fait de « l’absence d’anticipation et de formalisation d’un cadre d’emploi clair et négocié des polices municipales ». D’autre part, ils constatent « l’hétérogénéité »  des choix effectués par les maires – certains ayant fait le choix de ne pas engager leur police municipale au côté des forces de l’ordre nationales, comme à Lyon. À l’inverse, dans certaines communes dotées d’une police municipale relativement nombreuse, comme à Évry-Courcouronnes dans l’Essonne (67 agents), c’est l’État qui a fait le choix de ne pas engager les forces de sécurité intérieures.

La mission recommande également que les entraînements et la formation des forces de l’ordre, notamment en matière de tir (« avec armes létales et non létales » ), soient renforcés. Elle rappelle également que lors de ces émeutes, les munitions ont manqué aux forces de l’ordre et que des problèmes d’acheminement ont été constatés. Elle appelle donc à « renforcer les capacités de production des munitions et des armements de la filière industrielle française », à « renouveler les armes de force intermédiaire »  comme les canons à eau. La mission souhaite un « développement massif », et si possible une « généralisation »  des caméras-piéton, ainsi que des drones, qui se sont avérés particulièrement utiles. 

Mortiers d’artifice : vers une interdiction de la vente en ligne ?

Plus généralement, la mission estime que l’État devrait renforcer ses capacités de renseignement « dans le suivi et la connaissance des quartiers sensibles »  – celles-ci étant essentiellement consacrées, aujourd’hui, à l’islam radical, l’ultra-droite et l’ultra-gauche. 

Les sénateurs tirent également le bilan de l’usage effréné des mortiers d’artifice pendant ces émeutes. Ils constatent que les mesures actuellement en vigueur pour tenter de réguler la vente de ces engins se sont montrées inefficaces, et proposent donc d’interdire purement et simplement « la vente en ligne et par voie postale des mortiers d’artifice ». Il est également préconisé de créer un délit de « non-dénonciation de transaction suspecte ». 

Polices municipales

Outre des mesures concernant les réseaux sociaux – la mission propose par exemple, lors du déclenchement d’un état d’urgence, de permettre aux préfets d’obtenir la désactivation de certaines fonctionnalités des réseaux sociaux, comme la géolocalisation ou les « lives »  –, les sénateurs ont réfléchi au rôle des polices municipales dans ce type d’événements, jugeant que leur rôle doit rester « complémentaire »  et non « s’apparenter à un substitut ». Avec un double rappel : les polices municipales ne sont pas « des supplétifs à l’action  des forces de sécurité intérieure, venant ainsi combler le manque de moyens de ces dernières »  ; mais en même temps, il serait absurde de se priver de leur « connaissance du terrain et des populations en cas d’émeutes ». Il convient donc, poursuivent les sénateurs, de « renforcer la complémentarité opérationnelle entre les polices municipales et les forces de l’ordre en période d’émeutes, dans le respect des prérogatives de chacun ». 

La mission souhaite, pour ce faire, la généralisation des « conventions de coordination »  entre les polices municipales et les FSI, et propose que soient encouragées les « patrouilles mixtes »  dans les périodes d’émeutes.

La mission souhaite également que le régime des policiers municipaux soit aligné sur celui des gardes-champêtres pour ce qui concerne leurs prérogatives de police judiciaire (possibilité de relever l’identité, de mener des perquisitions, d’exécuter des mandats de dépôt et des mandats d’amener). Elle demande également qu’une réflexion soit menée sur « une évolution de l’équipement en armes non-létales des policiers municipaux », et que les moyens du FIPD consacrés à l’équipement en caméras de vidéo-protection soient renforcés. 

Le rôle des élus locaux

Enfin, les sénateurs veulent « conforter »  la place des élus locaux, « en première ligne sur le terrain, parfois au péril de leur sécurité », dans la gestion des situations d’émeutes. Ils constatent que « le degré de coordination n’a pas été homogène »  sur l’ensemble du territoire entre les élus locaux et les services de l’État : manque d’information et de communication dans certains cas, relations parfois « inexistantes »  avec les procureurs… La mission recommande donc que soit systématisée « la présence des maires dans les centres territoriaux de crise et les réunions locales de sécurité ». 

Elle demande aussi que les maires soient « systématiquement informés »  quant aux interventions des forces de l’ordre sur le territoire de leur commune, ce qui paraît la moindre des choses mais n’a pas toujours été le cas, et que les élus soient mieux formés « à la conduite à tenir face aux jeunes violents ». 

Notons, enfin, que la mission demande, en matière d’assurances, que soit mis en place un nouveau régime comparable au régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, « partiellement financé par une surprime dont le taux est fixé par l’État », pour couvrir les dégâts provoqués par des émeutes. 

Le dernier chapitre du rapport a trait à la reconstruction et à l’usage qui a été fait, par les maires, de la loi « Urgence reconstruction »  du 25 juillet 2023. Maire info reviendra sur ce chapitre spécifique dans une prochaine édition.

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2