Mise en accessibilité des ERP : le temps de la sanction est-il venu ?
Par Lucile Bonnin
Une circulaire interministérielle relative au plan d’action pour l’accessibilité des établissements recevant du public (ERP) a été publiée hier. Sa publication avait été annoncée par le Premier ministre François Bayrou pour le mois de mars dernier lors du Comité interministériel du handicap.
Accumulation de retards et inertie
Depuis septembre 2024, plus aucune dérogation n’est possible pour les ERP qui doivent être accessibles aux personnes porteuses de handicap. En théorie, tous les ERP, quels que soient leur catégorie et leur type, doivent être accessibles depuis le 1er janvier 2015, comme prévu par la loi du 11 février 2005.
En 2015, la mesure n’étant pas respectée, le gouvernement a accordé un délai de grâce avec le dispositif des « agendas d’accessibilité programmée » (Ad’Ap). Depuis septembre dernier, fin des Ad’Ap, les établissements recevant du public (ERP) devaient se rendre tous accessibles.
Néanmoins, ce délai supplémentaire s’est soldé par un échec puisque si cette obligation concerne près de 2 millions d’ERP, la moitié environ n’a pas engagé de démarche de mise en accessibilité. D’ailleurs, même ce délai supplémentaire que permettaient les Ad’Ap n’a rencontré qu’un succès limité puisque ce sont seulement 700 000 ERP qui sont entrés dans le dispositif, dont seulement 350 000 ont été déclarés accessibles depuis 2015. Ce sont en grande majorité les ERP de 5ème catégorie (petit commerce restaurant ou service type cabinet médical) qui sont concernés par ce retard.
Les retards s’accumulent et les associations qui défendent les droits des personnes handicapées demandent depuis plusieurs années à l’État de passer à la vitesse supérieure.
Après une période de tolérance et d’accompagnement, le gouvernement annonce donc dans cette circulaire le lancement d’une nouvelle phase. Le Premier ministre prévoit de « passer à compter de 2025 à une logique contraignante sur l’accessibilité ».
Des contrôles renforcés
Dans un rapport publié en février dernier, la Défenseure des droits recommandait de rendre effectifs les contrôles et les sanctions en cas de non-respect des exigences en matière d’accessibilité comme s’y est engagé le président de la République lors de la dernière Conférence nationale du handicap (CNH) en avril 2023.
Il semblerait – avec encore des années de retards comme cela semble être la tradition en la matière – que le gouvernement entame cette nouvelle phase contraignante.
Dans la circulaire, il est dans un premier temps demandé aux préfets de dresser un « bilan des établissements ayant rempli leurs obligations et de ceux qui à l'inverse, ne disposent ni d'attestation de conformité ni d'Ad'AP échu ou en cours. » Dans un second temps, « une communication et un accompagnement des propriétaires et gestionnaires d'ERP sera nécessaire pour susciter leur engagement » . Il est d’ailleurs rappelé l’existence du fonds territorial d'accessibilité doté de 300 millions d’euros et ouvert depuis 2023. L’État propose une prise en charge jusqu’à 50 % des frais engagés pour la mise en accessibilité d’un commerce, café, bar ou restaurant jusqu’à 20 000 euros. Le fonds reste d’ailleurs à ce jour trop peu exploité. Sur ce point, il est demandé aux préfets d’en faire la promotion et de prioriser dans chaque département « l'accessibilité des lieux essentiels à l'exercice des droits fondamentaux des personnes (tribunaux, commissariats, gendarmeries, hôpitaux, etc.) ».
Enfin, dans chaque département, une stratégie de contrôle devra être mise en place. Celle-ci devra être « priorisée en fonction de la taille des établissements, pédagogique et graduelle ». Il est indiqué au passage que des contrôles relatifs au respect des règles incendie pourront être réalisés en même temps, afin de faire d'une pierre deux coups.
Puis, après toutes ces étapes préalables, viendra (éventuellement) la sanction : « Après avoir respecté le principe et les délais du contradictoire, vous pourrez prononcer des sanctions administratives à l'encontre des gestionnaires ou propriétaires récalcitrants. » Pour rappel, la sanction administrative, existant depuis la mise en place des Ad'Ap peut s'élever entre 1 500 et 5 000 euros en cas d'absence, non justifiée, de dépôt du projet.
Une sanction pénale est aussi applicable dans le cadre de la loi du 11 février 2005. « Elle s'élève à 45 000 euros d'amende et, en cas de récidive, à 75 000 euros d'amende et à 6 mois d'emprisonnement en cas de récidive et relève d'une procédure diligentée par le procureur de la République que le préfet a la possibilité de saisir » . Cependant, le gouvernement indique qu’elle « n'a vocation à être utilisée qu'en dernière extrêmité. »
Manque d’ambition
Du côté des associations qui défendent les droits des personnes handicapées, si la publication de cette circulaire était attendue, il n'y a pas d’illusions quant à l’impact que pourrait réellement avoir ces instructions aux préfets, dans cette problématique qui s’est enlisée au fil des années.
Le Collectif Handicaps par exemple regrette notamment « un calendrier trop flou » . L’association pointe surtout le manque de moyens nouveaux accordé à ce que le gouvernement présente comme un tournant avec « aucun renforcement annoncé des effectifs de contrôle, pas de nouveaux financements fléchés sauf la référence au Fonds territorial d’accessibilité (qui n’a pas su faire ces preuves et reste trop sous-utilisé pour le moment) » . Le Collectif Handicaps déplore aussi les risques de disparités locales, « chaque préfet élaborant sa propre stratégie sans réelles lignes directrices. »
Pour Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), la seule solution pour rattraper le retard sur les établissements qui ne sont pas aux normes est que l’État se montre plus ambitieux : « Quand la France choisit des priorités, elle sait être au rendez-vous », avait-il souligné lors d’une table ronde au Sénat en janvier (lire Maire info du 17 janvier), prenant les exemples de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques 2024 et surtout de la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris qui a été réalisée en un temps record. Il plaide ainsi un plan « Notre-Dame de l’accessibilité » et demande que l’État accompagne davantage les collectivités « y compris en termes de méthode et d’accès à l’information ».
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