La loi durcissant le droit du sol à Mayotte promulguée, avec une petite réserve du Conseil constitutionnel
Par Franck Lemarc
La proposition de loi LR de Philippe Gosselin sur le droit du sol à Mayotte a été déposée début décembre 2024 et adoptée cinq mois plus tard, après de très âpres débats entre des parlementaires aux idées diamétralement opposées en la matière, allant de ceux qui souhaitent la suppression pure et simple de ce droit à Mayotte jusqu’à ceux qui souhaitent, à l’inverse, revenir sur les dispositions déjà adoptées en 2018.
Durcissement du droit du sol
La proposition initiale visait à durcir les conditions existant depuis 2018, qui sont dérogatoires au droit commun : depuis cette date en effet, un enfant né de parents étrangers à Mayotte ne peut prétendre à la nationalité française à ses 18 ans que si l’un de ses parents résidait déjà en France au moment de la naissance, de façon régulière et depuis au moins trois mois. Cette condition n’existe pas dans le reste du territoire français, où un enfant né en France de parents étrangers et nés à l’étranger acquiert automatiquement la nationale française à 18 ans, dès lors qu’il a résidé dans le pays au moins 5 ans depuis ses 11 ans.
Philippe Gosselin a proposé deux modifications aux dispositions relatives à Mayotte : d’une part, que non pas un mais les deux parents résident en France au moment de la naissance de l’enfant ; et d’autre part, qu’ils y résident depuis « au moins un an » et non trois mois.
À l’issue de la navette parlementaire, après bien des tergiversations (il a été un moment acté que le délai de résidence serait porté à trois ans), ces deux dispositions ont été maintenues en l’état. Il a simplement été ajouté que ces dispositions (résidence des deux parents) ne sont pas applicables « lorsque la filiation de l’enfant n’est établie qu’à l’égard d’un seul parent ».
Une autre disposition a été ajoutée au texte initial : l’obligation pour les parents de présenter à l’officier d’état civil, non plus de simples « justificatifs » mais « un titre de séjour (…) accompagné d’un passeport biométrique en cours de validité et comportant une photographie permettant l'identification du titulaire ».
Principe fondamental ?
C’est cette dernière disposition qui a fait tiquer le Conseil constitutionnel, comme elle avait fait tiquer de nombreux parlementaires, dans la mesure où de nombreux pays ne dispensent pas de passeports biométriques. Les Sages n’ont pas censuré cet article de la nouvelle loi, mais émis une réserve d’interprétation : il n’est pas possible « d’exiger la production d'un tel document pour les ressortissants de pays ne délivrant pas de passeport biométrique ». Dans ce cas, l’intéressé pourra donc produire « un autre titre d’identité ».
Sur le fond, les Sages n’ont pas suivi les députés et sénateurs de gauche qui l’avaient saisi en lui demandant de reconnaître le caractère inconstitutionnel de ce texte.
Ces parlementaires demandaient, d’une part, que soit reconnu comme « principe fondamental reconnu par les lois de la République » le fait que « toute personne née sur le territoire français (ait) le droit d’accéder à la nationalité française ». Rappelons en effet que, contrairement à une idée reçue, le droit du sol n’est pas inscrit dans la Constitution. Les « principes fondamentaux reconnus par la loi de la République », en droit, sont des principes ne figurant pas dans la Constitution mais de valeur constitutionnelle, sur décision du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État. Par exemple, la liberté d’association, les droits de la défense, la liberté de conscience ou la justice pénale des mineurs font partie de ces « principes fondamentaux ».
D’autre part, les requérants ont demandé aux Sages de reconnaître que ce texte instaure « une rupture d’égalité » entre les enfants nés à Mayotte et nés ailleurs sur le territoire, instaurerait « une discrimination » et « méconnaîtrait ainsi les principes d'indivisibilité de la République et d'égalité devant la loi ».
Quitus du Conseil constitutionnel
Sur tous ces points, le Conseil constitutionnel n’a pas donné raison aux requérants.
Premièrement, les Sages ont décidé que le droit du sol ne peut être élevé au rang de « principe fondamental ». Les lois de 1889 et 1927 qui l’ont institué ont été adoptées, rappellent-ils, « pour répondre notamment aux exigences de la conscription ». Elles ne « sauraient donc avoir donné naissance à un principe fondamental ».
Sur la question de l’indivisibilité de la République et du principe d’égalité devant la loi, les Sages rappellent un principe maintes fois répété dans des cas similaires : « Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général ».
Or, comme l’avait déjà décidé le Conseil constitutionnel en 2018, lors de la première restriction au droit du sol à Mayotte, la collectivité de Mayotte est soumise à des conditions particulières, étant « soumise à des flux migratoires très importants » et accueillant sur son sol « beaucoup (de personnes) en situation irrégulière ». Or, l’article 73 de la Constitution, relatif aux départements et régions d’outre-mer, dispose que dans ces territoires, « les lois et règlements (…) peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières ». La très forte immigration à Mayotte est bien, jugent les Sages, une « contrainte particulière » qui justifie une « adaptation » de la loi sur le droit du sol.
Le Conseil constitutionnel conclut donc : « Dès lors, en soumettant à des conditions plus restrictives, sur le territoire de Mayotte, l'acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement qui ne dépasse pas la mesure des adaptations susceptibles d'être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières propres à cette collectivité ». Elles ne portent « pas atteinte au caractère indivisible de la République ».
Ce quitus des Sages a permis la promulgation immédiate de la loi, et ces dispositions entreront en vigueur dès demain.
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