Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 22 septembre 2022
Marchés publics

Inflation : de nouvelles précisions sur les possibilités de modification a posteriori des contrats publics

Bercy vient de publier une note très détaillée sur les possibilités de modifier certaines conditions des contrats de commande publique, dans le contexte de hausse des prix et de difficultés d'approvisionnement.

Par Franck Lemarc

Depuis un an que les prix ont commencé à s’envoler, la question se pose : que faire lorsqu’un contrat public a été conclu avant cette poussée inflationniste et que, par la suite, son exécution est mise en difficulté parce que les prix ont explosé entretemps ? 

Faute de jurisprudence et de textes législatifs précis sur ce point, le gouvernement a saisi le Conseil d’État pour connaître « les possibilités offertes par le droit de la commande publique pour modifier les conditions financières et la durée des contrats de la commande publique pour faire face à des circonstances imprévisibles, ainsi que leur articulation avec la théorie de l’imprévision ». 

Rappelons (lire à ce sujet Maire info du 4 avril) que la théorie de l’imprévision prévoit que lorsque survient « un événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l'équilibre du contrat », il est possible de verser une indemnité au fournisseur. 

Circonstances imprévisibles

Le Conseil d’État a rendu sa réponse, très attendue, vendredi dernier, et la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie a aussitôt réalisé une fiche sur le sujet

Très technique, ce texte d’une vingtaine de pages tire les conclusions pratiques de l’avis du Conseil d’État pour les acheteurs publics. Avec deux enseignements majeurs : « Le Conseil d’État admet que les parties à un contrat de la commande publique puissent, dans certaines conditions et limites, procéder à une modification des clauses financières pour faire face à des circonstances imprévisibles »  ; et que « le cocontractant a droit à une indemnité sur le fondement de la théorie de l’imprévision ». 

Sans entrer dans les détails extrêmement pointus évoqués dans la note de la DAJ, on peut résumer les choses ainsi : en principe, il n’est pas possible de modifier a posteriori un prix définitif dans un contrat public. Mais ce principe souffre des exceptions prévues par le Code de la commande publique, et notamment les modifications pour « circonstances imprévisibles »  et « les modifications de faible montant ». 

Si des circonstances « que l’acheteur ne pouvait pas prévoir »  le rendent nécessaire, une modification de la forme du prix fixée dans le contrat est possible, « dans le but de compenser les surcoûts imprévisibles supportés par le cocontractant », a rappelé le Conseil d’État. Ceci dans des conditions très précises : les circonstances doivent être imprévisibles « dans leur principe ou leur ampleur »  au moment où le contrat a été passé ; et la modification doit être proportionnée, « dans le montant comme dans la durée ». Il est par exemple impossible que cette modification des prix conduise à « dépasser le surcoût effectivement subi par le cocontractant ». 

La DAJ précise par ailleurs que la situation doit être appréciée « au regard de l’équilibre financier du contrat »  lui-même et pas « au regard de la situation financière globale »  du fournisseur. Ce point est important : cela implique que même si un fournisseur est en excellente santé et fait des bénéfices importants à l’échelle nationale, il est tout de même en mesure de réclamer une modification d’un contrat avec une collectivité si « l’équilibre financier »  de celui-ci est menacé.

Le cocontractant devra, dans tous les cas, fournir tous « les documents probants attestant de la réalité et de l’étendue des surcoûts supportés ». 

Dernière règle à retenir : le montant de la modification pour circonstances imprévisibles ne peut en aucun cas dépasser « 50 % de la valeur du contrat initial », pour les marchés et concessions passés par les pouvoirs adjudicateurs.

Modifications de faible montant

Il est également possible, a rappelé le Conseil d’État, de procéder à des modifications dites « de faible montant », « librement négociées »  entre les cocontractants et sans qu’il soit nécessaire pour cela de démontrer « un bouleversement de l’équilibre du contrat ». Ces modifications peuvent s’effectuer sans procédure de publicité ni de mise en concurrence « lorsque le montant de la modification est inférieur aux seuils européens et à 10 % du montant du contrat initial pour les marchés de services et de fournitures et pour les contrats de concession ou 15 % du montant initial pour les marchés de travaux ».

Indemnité pour imprévision

Le Conseil d’État a également donné des précisions sur l’indemnité que peut réclamer le fournisseur dans le cadre de la théorie de l’imprévision. Point à retenir : la modification du contrat détaillée plus haut n’exclut pas le versement d’une telle indemnité, dès lors que le titulaire du contrat peut prouver le bouleversement économique du contrat.

Le versement de cette indemnité visant à « compenser les charges extracontractuelles »  peut être décidée par « une convention d’indemnisation »  entre les deux parties ou établie par un juge administratif en cas de désaccord entre les cocontractants.

En second lieu, le Conseil d’Etat considère que les parties peuvent conclure, sur le fondement de la théorie de l’imprévision, une convention d’indemnisation dont le seul objet est de compenser les charges extracontractuelles subies par le titulaire ou le concessionnaire en lui attribuant une indemnité, afin qu’il puisse poursuivre l’exécution du contrat pendant la période envisagée. Celle-ci ne peut être que temporaire et la convention doit précisément la fixer. La convention d’indemnisation, qui permet de maintenir un certain équilibre contractuel en indemnisant l’opérateur économique qui, malgré la situation tout à fait exceptionnelle à laquelle il est confronté, poursuit la prestation initialement prévue, n’a ni pour objet ni pour effet de modifier les clauses du marché ou du contrat de concession ni les obligations contractuelles réciproques des parties, ni d’affecter la satisfaction des besoins de l’autorité contractante, qu’elle vise précisément à préserver.

Dès lors, cette convention d’indemnisation, de même d’ailleurs qu’une décision unilatérale de l’autorité administrative fournissant une aide financière pour pourvoir aux dépenses extracontractuelles afférentes à la période d’imprévision, ne peut être regardée comme une modification d’un marché ou d’un contrat de concession au sens des dispositions du 3° des articles L. 2194-1 et L. 3135-1 et de celles des articles R. 2194-5 et R. 3135-5 du code de la commande publique.

Le versement de cette indemnité visant à « compenser les charges extracontractuelles »  peut être décidée par convention entre les deux parties ou imposée par un juge administratif, « en l’absence d’accord avec l’administration ».

Le Conseil d’État a enfin rappelé que « la fin d’un contrat ne fait pas obstacle à l’octroi d’une indemnité d’imprévision » : pour les juges, « le bouleversement de l’économie du contrat par suite de circonstances imprévisibles peut n’être établi qu’après complète exécution du marché et que l’indemnité due éventuellement aux entrepreneurs à raison des charges extracontractuelles qu’ils ont eu à supporter peut être utilement réclamée par ces derniers qu’après notification du décompte général et définitif. » 

Ces dispositions ne sont pas nouvelles, et le Conseil d’État ne fait qu’apporter des précisions sur la lecture du Code de la commande publique. Elles apportent, certes, une sécurité aux entreprises contractantes, mais risquent de se traduire par des surcoûts importants – et, eux aussi, imprévisibles – pour les acheteurs publics et notamment les collectivités qui, elles, ne bénéficient d’aucune aide pour les compenser.

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