Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du jeudi 2 février 2023
Logement social

Mal-logement : la Fondation Abbé-Pierre réclame une loi de programmation pluriannuelle pour « changer de cap » 

Fidèle à ses convictions, la Fondation Abbé-Pierre épingle, dénonce et alerte sur l'état du mal-logement en France, toujours pas suffisamment pris en compte par les politiques publiques. C'est l'une des fortes conclusions de son 28e rapport annuel, publié hier. Celui-ci présente un certain nombre de propositions. 

Par Emmanuelle Stroesser

« 2022, année de transition ou année perdue ? ». En posant la question, la Fondation Abbé-Pierre apporte un premier élément de réponse, dans son dernier rapport annuel. « Pénurie de logements accessibles, hausse des coûts de construction, panne de production de logements sociaux ». Pour la fondation, 2022 est bien une « année perdue ». La préface du président est acide : « À un an du soixante-dixième anniversaire de l’Appel de l’abbé Pierre de l’hiver 1954, on mesure avec douleur l’incapacité d’un pays pourtant riche à savoir loger son peuple ». Ce constat est à rapprocher des sombres statistiques dévoilées le même jour par le collectif Les Morts de la rue, qui a décompté, en 2022, 449 décès de sans-domicile-fixe, soit plus d'un mort par jour. 

Des signes d'inquiétude 

Le gouvernement « a maintenu les 40 000 places d'urgence. Très bien, car cela a permis de soulager la pression », reconnaît le délégué. « Mais on a vu une recrudescence du sans-abrisme, des milliers de familles et enfants à la rue mi-décembre sans solution après avoir appelé le 115 », rappelle-t-il. Cela rend d'autant plus incompréhensible et insupportable pour la Fondation la proposition du gouvernement qui « envisageait de supprimer 14 000 places [dans le projet de loi de finances, ndlr], avant de reculer grâce à la mobilisation d'associations et d'élus ». 

Le poids du logement dans les dépenses des ménages – « toujours le premier poste de dépense à 27,8 % en 2021 contre 20 % en 1990 »  – « devrait être un des premiers sujets de préoccupation de l’action publique », défend le délégué général de la Fondation, Christophe Robert. Autre signal préoccupant « pour les mois à venir », la tendance observée « au dernier trimestre par la moitié des bailleurs sociaux d'une augmentation de 10 % des impayés de loyer ». 

Relance de la construction vs zéro artificialisation nette ?

La Fondation exige « un changement de cap », une réponse des pouvoirs publics pour « investir à nouveau fortement dans la construction et la rénovation de logements à prix modérés ». Avec une relance de la politique du « Logement d’abord »  et l'arrêt des coupes budgétaires sur l'APL et sur le monde HLM. Pour sortir des politiques « à courte vue », elle demande « une loi de programmation budgétaire pluriannuelle », avec des objectifs précis : « Financer 150 000 logements vraiment sociaux par an »  (la production annuelle étant en deçà de 100 000 par an), « rénover de manière complète 700 000 logements », « éradiquer l’habitat indigne en dix ans ». 

Mais l'exigence de sobriété foncière dans les documents d'urbanisme d'ici à 2030 puis 2050 (le ZAN) est-elle compatible avec ces objectifs ? La Fondation s'interroge à son tour, prenant la cause des « petites collectivités »  qui se demandent comment continuer à construire à ces conditions. « L’État ne peut se contenter d’interdictions, il doit accompagner les acteurs pour inventer un urbanisme plus complexe », plaide Christophe Robert.

La Fondation lance également un « appel à une nouvelle étape de décentralisation pour clarifier le rôle entre l'État et les collectivités locales, l'État devant être garant et donner des impulsions fortes mais déléguer une partie des compétences aux collectivités ». Autant de propositions qu'elle espère retrouver dans celles du CNR... 

Le mal-logement vu sous un angle peu évoqué, celui du genre

Le manque de logements sociaux est l'un des facteurs aggravant de la situation plus spécifique des femmes, sur laquelle la Fondation Abbé-Pierre a choisi de pointer l'attention. C'est flagrant pour celles qui doivent quitter un logement pour fuir des violences conjugales. La Fondation note une amélioration de l'attribution de logements sociaux ces quatre dernières années dans ces cas d'urgence, « mais l'offre reste toujours insuffisante pour répondre à cette urgence (comme des autres) », insiste Manuel Domergue, directeur des études de la FAP. 

Les inégalités entre hommes et femmes se répercutent sur les risques de mal-logement et la manière dont les femmes y sont davantage exposées. Que ce soit en cas de séparation, suite à un veuvage, pour les mères élevant seules des enfants ou des femmes au foyer de familles précaires. « Une femme au foyer veut dire femme mal logée à taux plein ». 

Dans la rue, les femmes sont largement moins nombreuses, mais exposées à des violences (notamment sexuelles) inversement proportionnelles. La fondation rapporte des témoignages de femmes qui racontent pourquoi elles vont moins dans les accueils de jour par exemple, « ces espaces dominés par les hommes et qui les exposent à des situations de violence ». 

La fondation ne demande pas une politique de logement « pour les femmes ». Elle veut, en revanche, « montrer que si nous avions une politique du logement plus ambitieuse, les femmes en bénéficieraient davantage car, aujourd'hui, elles sont aux premières lignes ».

Logement d’abord : un nouveau plan quinquennal

Le jour même de la parution du rapport, le ministre de la Ville et du Logement a dressé, en Conseil des ministres, un bilan de la politique Logement d'abord pour les années 2018 à 2022 et les pistes d'un nouveau plan quinquennal, dont le détail doit être présenté « prochainement ».

Le premier plan quinquennal a ainsi permis à « au moins 440 000 personnes sans domicile »  d’accéder au logement social ou privé, avec une hausse de 50 % des attributions de logements sociaux en faveur de ménages sans domicile en 2022 par rapport à 2017, selon le compte rendu du Conseil des ministres. Le nombre de places dans des dispositifs de logement adapté a, lui, été doublé.

S’agissant du nouveau plan quinquennal pour les années 2023 à 2027, le gouvernement a assuré qu’il poursuivra « la dynamique de développement de logements abordables et adaptés, en fixant des objectifs ambitieux de mobilisation du parc privé à des fins sociales, de production de pensions de famille et de résidences sociales et de logements très sociaux, en lien avec les besoins des territoires ».

En outre, « l’investissement dans les dispositifs de veille sociale, notamment les maraudes et les accueils de jour, sera augmenté »  et le numéro d’urgence 115 modernisé.

Télécharger le rapport.
 

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