Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mardi 16 juillet 2024
Assemblée nationale

Majorité introuvable à l'Assemblée nationale : le scénario d'une séquence décisive

Alors que le gouvernement va présenter sa démission ce matin, le Journal officiel a publié l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour les journées de jeudi, vendredi et samedi. Trois jours pendant lesquels des questions essentielles vont devoir être réglées. Explications.

Par Franck Lemarc

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© Ass. nationale

Cette fois, le président de la République va accepter la démission du gouvernement : à 11 h 30, ce matin, un dernier Conseil des ministres va se réunir, et examiner deux projets de loi (approbation des comptes de l’année 2023 et approbation des comptes de la Sécurité sociale). À l’issue de cette réunion, le Premier ministre devrait présenter sa démission, qui sera acceptée par le chef de l’État, comme en a déjà averti l’Élysée.

Il n’y a aucun suspens sur cette décision : le fait que le Premier ministre, Gabriel Attal, ait d’ores et déjà été élu président du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale prouve que les jeux sont faits, puisqu’un ministre ne peut pas siéger en tant que député. Il a donc bien été acté que le gouvernement serait démissionnaire avant l’ouverture de la session parlementaire, après-demain. 

Séparation des pouvoirs

Le fait que le gouvernement soit « démissionnaire »  n’implique pas que les ministres vont déserter les ministères. Tant qu’un nouveau Premier ministre n’est pas nommé, le gouvernement reste en place, chargé de gérer les affaires courantes. Il n’est plus censé proposer de projets de loi ni prendre des décrets ayant une incidence budgétaire, et le Conseil des ministres ne se réunira plus. Aucun texte de loi ni aucun article de la Constitution ne fixe de limite à la durée d’une telle situation qui peut donc, dans l’absolu, se prolonger plusieurs semaines, voire plusieurs mois. 

Ce serait, toutefois, une situation parfaitement anormale sur le plan de la séparation des pouvoirs, censée être particulièrement stricte entre le pouvoir législatif (le Parlement) et le pouvoir exécutif (le gouvernement). Or, dans les jours et peut-être les semaines à venir, pas moins de 17 ministres vont siéger à l’Assemblée nationale, dont l’un (le premier d’entre eux, Gabriel Attal), présidera un groupe d'une centaine de députés ! Certes, les ministres démissionnaires ne jouissent plus de la totalité de leurs prérogatives, mais on a du mal à imaginer ce qui se passerait en cas de crise grave. En effet, même démissionnaire, un gouvernement a la possibilité de prendre des mesures extrêmement importantes, comme la déclaration de l’état d’urgence, par exemple. Si par malheur un grave attentat se produisait pendant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques, amenant le gouvernement à décréter l’état d’urgence, les « ministres députés »  se retrouveraient juges et parties – le Parlement étant censé contrôler l’action du gouvernement. 

Il faut donc espérer que l’actuel blocage politique, avec d’un côté la gauche incapable de proposer le nom d’un Premier ministre dont le président de la République, de toute façon, ne voudra pas ; et de l’autre, un bloc « présidentiel »  au bord de l’explosion entre ceux qui veulent une coalition avec la gauche et ceux qui espèrent s’unir avec la droite, ne durera pas. Mais rien n’indique qu’on en prenne le chemin. 

Présidence de l’Assemblée

L’absence de nomination d’un gouvernement va également avoir de sérieuses conséquences sur les scrutins qui vont se dérouler à l’Assemblée nationale à partir de jeudi. En effet, ces scrutins supposent que les notions de « majorité »  et « d’opposition »  soient clairement définies, puisque certains postes, au Palais-Bourbon, sont réservés de droit à l’opposition. Mais en l’absence de gouvernement et de majorité claire à l’Assemblée, comment savoir qui est dans la majorité et qui est dans l’opposition ? 

La seule chose que l’on sache, à cette heure, est le programme des trois premiers jours de la session extraordinaire qui s’ouvrira jeudi 18 juillet, dont l’ordre du jour a été publié ce matin au Journal officiel

Jeudi à 15 heures aura lieu l’ouverture de la session et l’élection du président de l’Assemblée nationale, au scrutin secret. Ce premier vote sera déterminant car, selon certains conseillers de l’Élysée qui se sont exprimés dans la presse, il permettrait au chef de l’État de savoir dans quel camp va pencher la balance de la majorité, ce qui pourrait déterminer son choix pour un futur Premier ministre. De nombreuses candidatures ont déjà été annoncées pour le « perchoir », dont celle de Yaël Braun-Pivet (Ensemble pour la République), qui l’occupait avant la dissolution, Sébastien Chenu pour le RN, ou Charles de Courson (centre droit). À gauche, un consensus est cherché pour présenter un candidat unique du Nouveau Front populaire, le choix devant se faire entre les écologistes Cyrielle Chatelain et Sandrine Rousseau, le socialiste Boris Vallaud, le communiste André Chassaigne, et éventuellement un candidat LFI, même si cette option semble hautement improbable. 

Autre moment important de la journée de jeudi : à 18 heures, on connaîtra la composition des groupes parlementaires, qui sera publiée le lendemain matin au Journal officiel. Ces groupes ont la possibilité (ce n’est pas une obligation) de mentionner leur appartenance à l’opposition. Il faut noter – ce qui, dans la situation politique actuelle, revêt une grande importance – que les groupes ont le droit de changer d’allégeance à tout moment : le règlement de l’Assemblée nationale précise (article 19) que « la déclaration d’appartenance d’un groupe à l’opposition peut (…) être faite ou, au contraire, retirée, à tout moment ». 

Désignation du Bureau

Deuxième journée décisive, vendredi 19 juillet : ce sera le moment de la nomination ou de l’élection du Bureau de l’Assemblée nationale, à savoir : six vice-présidents, trois questeurs et douze secrétaires. Seront également désignés, le même jour, les membres des huit commissions permanentes (1). 

Dès le débat sur le Bureau de l’Assemblée nationale, un certain nombre de problèmes vont se poser. En effet, le règlement de l’Assemblée nationale dispose que le Bureau doit « s’efforcer de reproduire la configuration politique de l’Assemblée ». Or le groupe de la majorité présidentielle a d’ores et déjà indiqué qu’il bloquerait « toute candidature à un poste clé »  de députés issus de la France insoumise et du Rassemblement national. Outre que l’on peut constater que la majorité présidentielle n’avait pas fait tant de manières en 2022, en permettant à deux députés RN (Sébastien Chenu et Hélène Laporte) ou une députée LFI (Caroline Fiat) d’être vice-présidents, on se demande comment le Bureau pourrait refléter « la configuration politique de l’Assemblée »  en excluant le groupe RN (125 sièges) et le groupe LFI (70 à 80 députés).

La nomination du Bureau, pour rappel, peut se faire ou par consensus, ou par élection. Le président de l’Assemblée réunit les présidents de groupe, qui cherchent d’abord à répartir les postes « à la représentation proportionnelle sur la base de leurs effectifs respectifs ». Si un accord est trouvé sur cette base, le Bureau est désigné. Si aucun accord n’est trouvé, un scrutin est organisé : les candidats aux différents postes déposent leur candidature et c’est alors aux députés de se prononcer, à bulletins secrets. 

Il est à noter qu’un des postes de questeur est réservé à un groupe « s’étant déclaré d’opposition ». On peut considérer à cette heure que le seul groupe dont on puisse être tout à fait certain qu’il se déclarera « d’opposition »  est le Rassemblement national. 

Commissions permanentes

Enfin, le même type de problème se posera au moment de la nomination des commissions permanentes. Dans ces commissions, chaque groupe dispose « d’un nombre de sièges propositionnel à (son) importance numérique par rapport à l’effectif des membres composant l’Assemblée ». De même, le Bureau de chaque commission (élu par chacune d’entre elles) doit « s’efforcer de reproduire la configuration politique de l’Assemblée ». Mais un cas spécifique se pose pour la commission des finances : ne peut être élu à sa présidence « qu’un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition ». 

Toutes ces étapes relèvent donc, à cette heure, de la quadrature du cercle. Les notions « d’opposition »  et de « majorité »  vont dépendre du choix du Premier ministre et de la composition du gouvernement ; mais le choix du gouvernement va dépendre des équilibres politiques qui vont se dessiner lors de ces premiers votes à l’Assemblée. Bien malin qui peut, aujourd’hui, deviner ce qui va ressortir de cette configuration aussi inédite qu’improbable. 

(1)   Affaires culturelles et éducation, affaires économiques, affaires étrangères, affaires sociales, défense nationale et forces armées, développement durable et aménagement du territoire, finances, lois. 
 

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