Maire-info
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Édition du mardi 9 juillet 2019
Numérique

Lutte contre la haine sur Internet : l'Assemblée se prononce ce mardi

Après deux journées de débat, les 3 et 4 juillet, les députés devraient adopter, cet après-midi, la proposition de loi, déposée par Laetitia Avia (La République en marche, Paris), visant à lutter contre la haine sur Internet. Un texte annoncé par Emmanuel Macron en février, dont l'objectif est consensuel : sur l'ensemble des commentaires, la part des propos agressifs ou haineux tenus sur les réseaux est de 14,3 % en 2018 (+ 4 points par rapport à 2018), selon une étude de la société de modération Netino.
La principale disposition du texte – inspirée du système allemand – n'a, en revanche, pas été épargnée par les critiques (France insoumise, Agir, Modem...). Elle contraint grands réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, YouTube…) et moteurs de recherche (Google, Qwant, Bing) à supprimer ou déréférencer dans les vingt-quatre heures un contenu « manifestement illicite » signalé par un internaute ou un utilisateur. Le tout étant supervisé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Quels propos peuvent être signalés ?
Par le biais d'un « bouton de signalement unique », les internautes pourront signaler les contenus haineux incitant à commettre des actes terroristes, les messages faisant l'apologie du terrorisme, des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, des messages injurieux, incitant à haïr, à discriminer ou à commettre des violences sur des personnes en fonction de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur handicap, de leur ethnie, de leur nationalité, de leur « prétendue race » ou de leur religion. Des messages auxquels sont aussi confrontés les maires et les élus (lire Maires de France, avril 2019).
Peuvent être encore signalés : des messages constitutifs de harcèlement sexuel, des messages relevant du proxénétisme ou de la traite des êtres humains, des contenus pédopornographiques ou des messages violents, pornographiques, portant gravement atteinte à la dignité humaine.
En revanche, et ce malgré la proposition du député Marc Le Fur (Les Républicains, Côtes-d'Armor), « la stigmatisation des activités agricoles » et « l'incitation à des actes d'intrusion et/ou de violence vis-à-vis des professionnels de l'agriculture, de l'élevage » ne tomberont pas sous le coup de cette loi.
L'auteur du signalement est en relation directe avec la plateforme. Celle-ci doit notamment l'avertir de la suppression ou du déréférencement du contenu ou lui permettre, dans le cas contraire, de contester sa décision. La loi précise, enfin, que le signalement abusif d'un contenu qui ne serait pas illicite peut être sanctionné d'une peine de 15 000 € d'amende et d'un an d'emprisonnement.

Quelles plateformes sont concernées ?
Tous les sites internet ne seront pas soumis à ces obligations : un décret déterminera, en effet, les « seuils » (connexions, nombre d'utilisateurs) à partir desquels les plateformes entreront ou non dans le champ d'application de cette loi. Le seuil de connexions pourrait être fixé à 2 millions de connexions mensuelles.
Un amendement, déposé par Philippe Dunoyer (Calédonie ensemble, Nouvelle-Calédonie) et Blandine Brocard (LaREM, Rhône) et favorablement accueilli par le gouvernement, précise, toutefois, que « le décret pourra ainsi également régler le cas particulier des plateformes hébergeant des échanges de contenus à la fois publics et privés ou celui des plateformes qui hébergent un forum de discussion en marge d'une activité principale différente ». La plateforme jeuxvideos.com, mise en cause, il y a quelques mois, dans des campagnes de harcèlement, pourrait potentiellement entrer dans le champ d'application de cette loi.

Que risquent les plateformes récalcitrantes ?
Si une plateforme n'a pas retiré un contenu « manifestement illicite » dans les vingt-quatre heures, le représentant du réseau social ou du moteur de recherche encourt une peine d'un an d'emprisonnement et de 250 000 euros d'amende (qui pourra être portée à 1,25 million d'euros dans le cas d'une personne morale).
Les géants du numérique, à qui il est demandé davantage de « transparence », s'exposent aussi à une amende, infligée par le CSA, pouvant atteindre 4 % de leur chiffre d'affaires en cas de « non-respect de l'obligation de mettre en place une modération appropriée », ajoute Cédric O, secrétaire d'État au Numérique.

« Censure algorithmique »
En effet, « les plateformes auront l'obligation de se doter de moyens humains et technologiques proportionnés pour assurer la modération des contenus », a précisé, à la tribune, Laetitia Avia. « Vous confiez la censure à Google, Facebook et Twitter. Cette censure algorithmique m'inquiète. Je crains qu'ils éliminent les contenus politiques ou polémiques », s'est offusqué François Ruffin (La France insoumise, Somme) quand Facebook y voit une « privatisation de la liberté d'expression ».
Laetitia Avia a écarte ces critiques : « Pour mettre en Å“uvre (l'obligation pour les grandes plateformes de retirer les contenus manifestement haineux dans un délai maximum de vingt-quatre heures après leur signalement), nous créons un nouveau délit, sur mesure et placé sous le contrôle du juge ».
Un parquet spécialisé dans la lutte contre les propos haineux en ligne traitera les plaintes. « C'est à la justice, toujours indépendante, qu'il revient de déterminer si un contenu est légal ou illégal – et à elle seule », a, de son côté, garanti Cédric O.
Ludovic Galtier
Télécharger la proposition de loi.

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