Loisirs, sport, culture : les inégalités d'accès pour les enfants persistent
Par Lucile Bonnin
« Essentiel pour le bon développement physique et psychique de l’enfant, son insertion sociale et son émancipation » , le droit d’accéder à des loisirs, des activités sportives ou culturelles est fondamental et « a été reconnu par la Convention internationale des droits de l’enfant, dans son article 31, ratifiée par la France en 1990 » .
En réalité, ce droit est « loin d’être effectif » pour de nombreux enfants et jeunes. C’est ce que montre le nouveau rapport de la Défenseure des droits, qui a été réalisé notamment à partir d’une consultation de plus de 3 800 enfants et adolescents. Conditions de vie, situation géographique, situation familiale… « Trop d’enfants n’ont pas la possibilité de bénéficier d’activités récréatives » , dénonce Claire Hédon qui formule dans ce rapport de plus de 90 pages une trentaine de recommandations.
Inégalités économiques
L’obstacle financier n’est pas négligeable dans l’accès aux loisirs pour les enfants. En effet, « 71 % des enfants dont les parents disposent de bas revenus ne sont ainsi pas inscrits dans un club ou une association sportive et culturelle contre 38 % des enfants dont les parents disposent de hauts revenus ». Au-delà du coût qui peut représenter un frein pour de nombreuses familles, « les difficultés d’ordre administratif » sont aussi à prendre en compte. « La complexité des démarches d’inscription ou l’exigence de certains justificatifs liés à la situation de famille peuvent, en effet, conduire certaines d’entre elles à y renoncer. »
Les inégalités sociales jouent aussi un rôle dans l’appropriation des enfants de certaines activités. Ainsi, « certaines activités sont de fait davantage pratiquées par les enfants issus de familles favorisées ». Par exemple, « les musées et les lieux de diffusion du spectacle vivant, notamment les théâtres, sont majoritairement fréquentés par les catégories socioprofessionnelles supérieures et, à travers eux, leurs enfants ». Dans son rapport, la Défenseure des droits pointe le manque de légitimité ressenti par certaines familles et enfants et milite pour développer les démarches d’aller vers ces publics plus éloignés. « Il y a des endroits où je ne sais pas comment aller, j’aimerais bien savoir comment je dois me comporter, quelles sont les règles, ça me stresse d’y aller tout seul », confie l'un des jeunes consultés.
La Défenseure des droits recommande de « renforcer l’information et l’accompagnement des enfants des familles les plus vulnérables, notamment des jeunes non scolarisés ainsi que ceux en situation de précarité, pour la mobilisation du Pass Culture et du Pass’Sport, en prévoyant notamment des procédures d’information et d’accès hors voie dématérialisée » . Elle plaide aussi pour l’augmentation du « montant forfaitaire alloué par le Pass’Sport pour les familles aux revenus les plus modestes, tout en encourageant le financement des licences sportives par les collectivités territoriales et l’organisation de sorties culturelles et sportives gratuites ».
Inégalités territoriales
Cela ne sera pas une surprise pour les maires qui connaissent bien la réalité de leur territoire, mais le rapport souligne le fait que « les conditions d’accès aux loisirs des enfants ne sont pas les mêmes pour ceux résidant dans des territoires très urbanisés, au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville, dans les territoires ruraux ou encore en Outre-mer » . Manque d’infrastructures de proximité, coût élevé et insuffisance de l’offre de transports, temps de trajet longs… Certains territoires ruraux ou ultra-marins souffrent d’une insuffisance en transports et en équipements culturels et sportifs. Par exemple, on recense seulement 12 équipements pour 10 000 habitants à Mayotte alors que « la moyenne nationale est de 46 pour 10 000 habitants ».
« Outre ces inégalités dans la répartition territoriale des équipements, de nombreuses infrastructures existantes sont vieillissantes, voire vétustes, et deviennent peu attrayantes, si ce n’est dangereuses, en plus de n’être pas accessibles à tous les enfants, notamment ceux en situation de handicap » , est-il indiqué dans le rapport. La Défenseure des droits rappelle que dans le rapport du député Blekhir Belhaddad intitulé Quels équipements pour une nation sportive ?, il est précisé que « sur les 272 000 équipements sportifs bâtis dont les collectivités sont propriétaires, près de 40 % datent d’avant 1985, 61 % ont plus de 25 ans et 70 % n’ont jamais bénéficié de gros travaux ». Pour pallier ce déficit d’équipement et le vieillissement des infrastructures, le gouvernement a lancé le fameux plan 5 000 terrains de sport qui est, depuis son annonce en 2020, renouvelé chaque année.
Mais le rapport invite à aller plus loin. La Défenseure des droits propose de « mettre en place un plan de rénovation des équipements sportifs » et de « renforcer l’accompagnement financier et technique des collectivités territoriales pour favoriser la création de nouveaux équipements sportifs structurants adaptés aux enfants » . Elle propose également de « développer l’accessibilité des équipements sportifs et culturels en encourageant les régions à mettre en place une politique de gratuité des transports en commun pour les moins de 18 ans, à élargir l’offre de transports et assurer leur inclusivité » . Enfin, l’importance des associations d’éducation populaire est mise en avant dans ce rapport qui suggère une augmentation du financement public de ces dernières. Cette proposition rejoint la position de l’AMF qui a formulé auprès du gouvernement les attentes des maires concernant la rénovation énergétique des équipements sportifs, en premier lieu desquels les piscines. Le Forum « Les maires en première ligne de l’ambition sportive française » abordera ce sujet le mardi 21 novembre 2023 à partir de 10h au 105e Congrès des Maires.
Réorienter les politiques publiques
De nombreuses recommandations concernent directement les collectivités. Les auteurs du rapport proposent notamment de « consacrer dans la loi l’obligation, pour les collectivités territoriales, d’établir un projet éducatif territorial (PEdT) pour organiser des activités périscolaires adaptées aux spécificités locales, accessibles financièrement pour les familles, permettant l’inclusion de tous les enfants et dont la qualité d’accueil garantit leur épanouissement par le recrutement de personnels dûment formés à cet effet » . Rappelons qu’aujourd’hui l’établissement d’un PEdT est une faculté des collectivités territoriales, mais qu’elles ne sont pas tenues d’organiser des activités périscolaires.
Les collectivités peuvent aussi influencer la mixité de certaines pratiques chez les enfants. « L’accès aux lieux culturels et sportifs est encore trop marqué par les inégalités liées au genre » , alerte le rapport. Selon la Défenseure des droits, « dans certaines collectivités, jusqu’à 75 % des budgets publics sont consacrés à la construction d’équipements en accès libre comme les city-stades, ayant pour conséquence de visibiliser considérablement les activités de sports et de loisirs des garçons et des hommes et de favoriser la construction d’un entre-soi masculin ». C’est une problématique qu’on retrouve aussi dans les cours d’école où le terrain de football prend la majorité de la place. Pour remédier à ces déséquilibres, il faudrait encourager les collectivités territoriales « à conduire, en lien avec les élèves, un travail de réaménagement des cours de récréation et des établissements scolaires » et à « favoriser le développement de lieux à destination d’un public mixte en systématisant l’analyse genrée des dépenses publiques consacrées aux équipements sportifs, culturels et de loisirs ».
À noter qu'un Forum consacré à l'Éducation artistitique et culturelle aura lieu mardi matin au Congrès en présence de la Défenseure des droits.
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