Loi sur les dérives sectaires : le Conseil constitutionnel censure le seul article qui concernait les collectivités locales
Par Franck Lemarc
Après l’adoption définitive du projet de loi renforçant la lutte contre les dérives sectaires par l’Assemblée nationale, le 9 avril, des députés et des sénateurs avaient saisi le Conseil constitutionnel pour tenter, une dernière fois, de bloquer ce texte – au moins en partie. On se souvient en effet que le Sénat avait combattu furieusement plusieurs dispositions de ce projet de loi, et l’avait même entièrement rejeté en dernière lecture, avant que l’Assemblée nationale l’adopte, selon la règle du « dernier mot ».
Ultime tentative
Après son adoption, 73 députés du Rassemblement national ont saisi le Conseil constitutionnel, ainsi que 60 sénateurs Les Républicains.
Les deux saisines visaient à faire déclarer contraires à la Constitution l’article 12 de la loi, destiné à lutter contre les pratiques médicales dangereuses. Cet article punit d’un an de prison et 30 000 euros d’amende le fait de pousser une personne malade à « abandonner ou s’abstenir de suivre un traitement médical », lorsque cet abandon est susceptible d’avoir des conséquences « particulièrement graves pour sa santé physique ou psychique ». Les mêmes peines punissent le fait de pousser une personne à adopter des pratiques dangereuses. Cet article vise, notamment, à combattre les « gourous » du net qui poussent des patients atteints de cancer, par exemple, à abandonner leur chimiothérapie au profit d’un « jeûne » ou d’un régime à base de jus de légumes.
Ces dispositions ont été combattues tout au long de la navette parlementaire par le RN et une partie des députés et sénateurs LR, qui estimaient qu’elles portaient atteinte à la liberté d’expression. De plus, les adversaires de cette mesure ont défendu que la loi permet déjà amplement de couvrir ces faits, notamment avec les délits de non-assistance à personne en danger, exercice illégal de la médecine ou pratiques commerciales trompeuses.
Par ailleurs, ils ont estimé qu’une telle disposition mettrait en danger les lanceurs d’alerte – et aurait permis d’incriminer, par exemple, le docteur Irène Frachon, qui avait mis en garde les patients contre les dangers du Mediator.
En dehors de l’article 12, les sénateurs LR ont également mis en cause devant les Sages l’article 3 du texte, qui réprime de trois ans de prison et 375 000 euros d’amende le fait de « placer ou maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement et ayant pour effet de causer une altération grave de sa santé physique ou mentale ou de conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».
Les sénateurs LR estiment que ces dispositions punissent indifféremment « tout type d’emprise, de manière générique et qu’elle qu’en soit l’origine (religieuse, idéologique, conjugale, familiale », ce qui « ne permet pas d’assurer la conciliation entre les libertés individuelles, notamment la liberté personnelle, la liberté de conscience et la liberté d’opinion ».
Les réponses des Sages
Sur ces deux articles, le Conseil constitutionnel a refusé de suivre les requérants.
Sur l’article 12, les Sages ont estimé que la rédaction du texte est « suffisamment précise pour garantir contre le risque d’arbitraire » et ont rejeté toute méconnaissance de la liberté d’expression – jugeant que le législateur, en réprimant les « gourous », « poursuit un objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ». Le Conseil a également fait remarquer que la loi mentionne explicitement le cas des lanceurs d’alerte pour les exclure de ces dispositions (« le signalement ou la divulgation d'une information par un lanceur d'alerte (…) ne constitue pas une provocation au sens du présent article » ).
L’article 12 a donc été déclaré conforme à la Constitution.
De même, l’article 3 a également été jugé recevable par les Sages : en punissant le fait de maintenir une personne sous emprise physique ou psychologique, le législateur « assure la sauvegarde de la dignité humaine et poursuit l’objectif (…) de protection de la santé ». De plus, « cette infraction n’est constituée que si son auteur a usé de pressions graves, de pressions réitérées ou de techniques propres à altérer le jugement de la victime ». On ne peut donc pas, selon les Sages, parler de « méconnaissance de la liberté personnelle ».
Un article censuré
En revanche, l’examen de l’ensemble de la loi par le Conseil constitutionnel l’a conduit à écarter un article qui, lui, n’avait été contesté par personne. Il s’agit de l’article 2, le seul de ce texte qui concerne directement les élus locaux. Cet article 2 donnait aux conseils locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD/CISPD) la possibilité de traiter « des questions relatives à la prévention des phénomènes sectaires et à la lutte contre ces phénomènes ».
Cette disposition, ont jugé les Sages, est un « cavalier » législatif : il ne présente « pas de lien, même indirect », avec les dispositions prévues dans le projet de loi initial déposé par le gouvernement sur le bureau du Sénat. Cet avis n'est pas sans surpendre, dans la mesure où cet article permettait bien de renforcer l'arsenal permettant de « lutter contre les dérives sectaires ». Quoi qu'il en soit, cet article 2 a donc été supprimé du texte publié au Journal officiel, et les CLSPD ne pourront donc pas se pencher sur la question des dérives sectaires.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Organisation des élections européennes : quelques nouveautés que les maires doivent connaître
Bâches publicitaires sur les bâtiments publics : vers une extension des dérogations ?
Tourisme : le secteur se prépare pour un été exceptionnel