Loi immigration : ce que contient le texte adopté hier
Par Franck Lemarc
Après une interminable commission mixte paritaire et des jours de tractations, le projet de loi « Immigration et intégration » a été adopté hier par le Sénat puis, en fin de soirée, par l’Assemblée nationale. Ce texte, qui est à l’origine d’une crise politique profonde (lire article ci-contre), marque un durcissement de la politique migratoire de la France – c'est le plus dur sur ce sujet depuis les lois Pasqua de 1986 et 1993.
Secteurs en tension et prestations sociales
Rappelons que le texte initial a d’abord été examiné par le Sénat, qui l’a presque entièrement récrit dans le sens d’un durcissement. Il a été ensuite à nouveau remanié par la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui a fait sauter la plupart des ajouts du Sénat. Arrivé en séance publique, le projet de loi n’a pas été examiné, après l’adoption d’une motion de rejet votée par toutes les oppositions (Nupes, LR et RN). Le gouvernement avait alors le choix de retirer le texte, de relancer une navette parlementaire ou de convoquer une commission mixte paritaire (CMP) députés-sénateurs. C’est ce choix qui a été fait, et la CMP a rétabli, pour l’essentiel, la version du Sénat.
C’est le cas notamment sur ce qui était, depuis le début, une « ligne rouge » pour LR et le RN : une régularisation de droit des travailleurs sans papiers employés dans les secteurs et les zones géographiques en tension. Le texte final est clair : si une régularisation de ces travailleurs est possible, à titre « exceptionnel » et pour un an, elle n’est plus de droit et ne peut être en aucun cas opposable. Elle sera à la main des préfets, qui décideront cas par cas, en fonction non seulement de la situation professionnelle de ces travailleurs mais aussi de « leur insertion sociale et familiale, leur respect de l’ordre public, leur intégration à la société française et leur adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle-ci ».
Autre sujet de vives tensions : l’accès aux prestations sociales pour les étrangers. Actuellement une durée de résidence de 6 mois est nécessaire pour pouvoir toucher un certain nombre d’aides sociales (APL, allocations familiales, etc.). Le Sénat avait souhaité faire passer ce délai à cinq ans – y compris pour les étrangers en situation régulière. Cette mesure a été retenue dans le texte final, avec un seul assouplissement : les étrangers pourront prétendre à ces aides s’ils peuvent justifier « d’au moins 30 mois » d’activité professionnelle. Pour la seule APL, cette période de travail est réduite à trois mois.
Ces mesures sur les prestations sociales, qui s’apparentent à la « préférence nationale » prônée par le FN/RN depuis des décennies, pourraient être retoquées par le Conseil constitutionnel.
Quotas et délit de séjour irrégulier
Le texte final rétablit également les quotas migratoires voulus par le Sénat : le Parlement devra « déterminer, pour les trois années à venir, le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France » . Il rétablit aussi le délit de séjour irrégulier supprimé en 2012 : un étranger en situation irrégulière sera frappé d’une amende de 3 750 euros avant d’être expulsé, le tout assorti d’une interdiction de séjour de trois ans.
Droit du sol et déchéance de la nationalité
Autre modification majeure : ce texte marque la fin du droit du sol automatique. Il s’agissait, rappelons-le, d’une constante dans le droit depuis la loi de 1851 : un enfant né en France de parents étrangers acquiert automatiquement la nationalité française à sa majorité, à condition toutefois de résider en France à cette date et d’y avoir eu sa résidence habituelle « pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans » (article 21-7 du Code civil). Le texte adopté hier met fin à l’automaticité, puisque le jeune en question ne pourra acquérir la nationalité que s’il « en exprime la volonté » . Même si cette condition n’est pas très restrictive, il s’agit bien d’une remise en question du droit du sol – qui pourrait, de ce fait, être refusée par le Conseil constitutionnel.
Le texte adopté hier établit également la déchéance de nationalité pour les personnes ayant acquis la nationalité française et condamnées pour « homicide volontaire sur une personne dépositaire de l’autorité publique ».
Regroupement familial
La CMP et le Parlement ont rétabli les mesures voulues par le Sénat en matière de durcissement du regroupement familial. Celui-ci ne sera désormais possible que si un étranger a résidé deux ans sur le territoire français (au lieu de 18 mois), s’il dispose de ressources « régulières » , s’il est muni d’une assurance maladie. Il est confié aux maires la mission de s’assurer que l’étranger qui fait sa demande satisfait aux conditions de logement et de ressources prévues par la loi. Un décret fixera le délai dont dispose le maire pour donner son avis, qui sera réputé défavorable s’il n’est pas rendu.
Durcissement également pour l’acquisition de la nationalité française par mariage avec un ressortissant français : celle-ci ne sera accordée que si l’étranger réside en France depuis au moins 5 ans (au lieu de 3 actuellement), et le texte a ajouté des conditions de maîtrise de la langue française par l’époux ou l’épouse.
Caution étudiante
Autre nouveauté qui suscite une certaine stupéfaction dans le monde universitaire : la loi subordonne la délivrance d’un titre de séjour étudiant au versement d’une « caution », qui ne sera rendue à l’étudiant que lorsqu’il quittera le pays. Le ministre de l’Enseignement supérieur pourra, « à titre exceptionnel » , exonérer un étudiant du paiement de cette caution en raison de la « modicité de ses revenus » ou de « l’excellence de son parcours » . Le montant de la caution sera fixé par décret.
L’association France universités, qui regroupe les présidents des principales universités du pays, a publié hier un communiqué très dur contre cette mesure, la qualifiant « d’insulte aux Lumières » et de « contraire aux valeurs de la République et à la tradition multiséculaire d’ouverture au monde de l’université française ».
Quelques assouplissements
Le texte contient de nombreuses autres mesures qu’on ne peut entièrement détailler ici : exclusion de l’hébergement d’urgence pour les personnes visées par une obligation de quitter le territoire, nouvelle condition de « respect des principes de la République » pour obtenir un titre de séjour, réforme de la Cour nationale du droit d’asile, suppression des protections contre l’expulsion de certains étrangers (dont l’expulsion automatique des étrangers condamnés pour agression d’élu), systématisation des OQTF pour les étrangers déboutés du droit d’asile.
En revanche, par rapport au texte du Sénat, quelques assouplissements ont été validés par la CMP. C’est le cas notamment sur l’aide médicale d’État (AME), que le Sénat avait prévu de supprimer. Elle est maintenue dans le texte final… pour l’instant, car l’accord des LR à cette modification n’a été obtenu qu’en échange de la promesse écrite, par la Première ministre, de présenter un projet de loi de réforme de l’AME dès le début de l’année prochaine. Celle-ci a cependant affirmé, ce matin, sur France inter, qu’il ne serait « pas question » de supprimer l’AME.
Le texte, enfin, propose au titre de la « protection des étrangers » un certain nombre de mesures contre les passeurs et les marchands de sommeil, et permet notamment l’attribution d’un titre de séjour d’un an pour les sans-papiers victimes des marchands de sommeil… mais ayant déposé plainte, ce qui paraît relativement compliqué pour des personnes en situation irrégulière. Il interdit également le placement en centre de rétention des mineurs de moins de 18 ans. Ces mesures de « protection » font dire à Gérald Darmanin, qui a porté ce texte depuis le début des débats, que celui-ci est « équilibré », puisqu'il « prévoit des mesures très fortes d'intégration, de régularisation de travailleurs sans papiers, mais aussi d'expulsion des étrangers délinquants ».
Il reste maintenant à savoir si certaines dispositions de ce texte seront censurées par le Conseil constitutionnel, qui sera saisi à la fois par les partis de gauche et par le président de la République lui-même. La Première ministre, ce matin, a estimé que certaines mesures du texte ne « semblent pas conformes à la Constitution » .
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