Lutte contre l'habitat indigne : des résultats « encore insuffisants », selon la Cour des comptesÂ
Par A.W.
Malgré « les actions de résorption de l’habitat indigne dans le parc privé […] conduites dans certains territoires, parfois avec succès […], l’engagement des acteurs et l’existence d’une « boîte à outils » étoffée, […] les résultats obtenus sont encore insuffisants au regard de l’ampleur estimée du phénomène ». Dans un référé publié la semaine passée, en marge de la visite d’Emmanuel Macron à Marseille, les magistrats financiers pointent les dysfonctionnements de la lutte contre d’habitat indigne après avoir examiné la mise en œuvre de cette politique au cours des années 2015 à 2020.
Zones urbaines et rurales
« Loin d’être seulement une marque du passé, […] l’habitat indigne est une réalité, qui subsiste de façon plus ou moins concentrée dans des contextes urbains comme ruraux », explique le premier président de la Cour, Pierre Moscovici, qui rappelle les causes multiples de cet état de fait : « Difficultés d'accès à un logement décent en zone tendue, déclin démographique de certains territoires ou encore négligence, parfois coupable, de certains propriétaires ».
Afin de renforcer l’efficacité de la lutte, il fait donc quatre recommandations au Premier ministre : « Intensifier les démarches visant à caractériser l’habitat indigne », « optimiser la coordination des acteurs concernés », « développer une approche stratégique » et « renforcer les moyens de l’action pénale ».
Des données datant de 2013
Pierre Moscovici pointe d’abord la difficulté à appréhender le phénomène. La seule estimation nationale - établie par l’Agence nationale de l’habitat (Anah) – a mis en évidence « un parc privé potentiellement indigne de 420 000 logements », mais celle-ci date déjà de 2013 et « n’a pas été actualisée depuis ».
« L’activité des maires agissant en qualité d’autorité de police ne fait l’objet que d’un recensement partiel au niveau départemental », constate la Cour qui estime notamment qu’une « sensibilisation renforcée des élus et l’exploitation plus systématique des actes qui sont transmis par ces derniers au contrôle de légalité, contribueraient à améliorer cette connaissance de l’indignité ».
Celle-ci recommande ainsi de « développer un système d’information performant, adossé sur l’outil de repérage et de traitement de l’habitat indigne (Orthi) et interfacé avec les différents applicatifs existants ». Actuellement, « cet outil méconnu, qui ne permet pas aux acteurs locaux de gérer les situations, de leur identification jusqu’à leur traitement, demeure sous-utilisé ».
Vers des plans pluriannuels départementaux contraignants
En parallèle, Pierre Moscovici préconise de « renforcer » la coordination des différents acteurs, au regard des « très nombreux partenaires » mobilisés dans le cadre de la lutte contre l’habitat indigne (maires, présidents d’EPCI, préfets de département, opérateurs publics et privés accompagnant les propriétaires ou les pouvoirs publics dans les travaux de remise en état des logements, acteurs du champ social, institutions judiciaires…). « Alors que ces partenariats multiples sont nécessaires, ils se heurtent, à l’échelle nationale, à un déficit de coordination et, au plan local, à l’absence d’outils de suivi des actions menées », observe l’ancien président de la communauté d’agglomération de Montbéliard.
Afin de « bien articuler les diverses dimensions (sanitaire, sociale, bâtimentaire, juridique…) », celui-ci préconise donc de « donner aux plans pluriannuels départementaux de lutte contre l’habitat indigne une dimension opérationnelle (orientations et objectifs chiffrés) et une force contractuelle ».
Une instance de pilotage unique
Les magistrats financiers souhaitent également la mise en place, au niveau national, d’un organe de concertation et d’orientation stratégique associant les principales parties prenantes de la lutte contre l’habitat indigne. En effet, ceux-ci considèrent que la lutte contre l’habitat indigne manque d’« une instance de concertation et de pilotage au sein de laquelle l’État et les collectivités territoriales échangeraient et arrêteraient des orientations stratégiques communes ».
Cette « instance unique de pilotage » permettrait, selon eux, de « bien inscrire la lutte contre l’habitat indigne au sein de l’ensemble des actions menées par les pouvoirs publics visant à améliorer le parc privé ancien et à traiter ses pathologies (rénovation énergétique, copropriétés dégradées, etc.) ».
Redimensionner les moyens
Dernière recommandation des magistrats, le « redimensionnement nécessaire des moyens ». Bien que les outils de lutte contre l’habitat indigne aient été « considérablement renforcés ces vingt dernières années », ces améliorations n’auraient pas été accompagnées d’un « ajustement » et d’une « réorganisation des moyens disponibles ».
Ils jugent ainsi que les moyens publics sont « limités », « inégalement répartis sur le territoire national » et « encore insuffisamment mutualisés ». Ainsi, remarque le référé, « les maires, qui, en leur qualité d’autorité de police administrative, sont tous susceptibles d’agir en matière d’habitat indigne, ne disposent pas toujours des moyens d’expertise technique nécessaires ». Or, poursuit le premier président de la Cour, « les exigences et le formalisme des mesures de police administrative sont les mêmes, quelle que soit la taille de la commune concernée. Les réformes successives de l’ingénierie publique apportée par l’État aux collectivités réduisent davantage la possibilité de les accompagner dans la durée. Dans ces circonstances, certains élus peuvent privilégier des tentatives de solution à l’amiable, alors que la loi leur fait obligation de prendre sans délai des mesures de police ».
Aux yeux de la Cour, il importerait donc de « réorganiser les moyens et les expertises autour de pôles mutualisés à l’échelle intercommunale, avec ou sans transfert associé des pouvoirs de police municipaux ». Elle demande également de « renforcer les prérogatives de police judiciaire des agents assermentés des services intervenant en matière d’habitat indigne ».
Des recommandations auxquelles le Premier ministre, Jean Castex, s’est dit « favorable » dans son courrier de réponse, dans lequel il souligne que « plusieurs initiatives ont été lancées en ce sens » ou sont prévues.
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