Loi « anti squats » : les maires pourront désormais « constater l'occupation illicite »
Par A.W.
Sanctions alourdies, réduction des délais de procédure, possibilité donnée aux maires de constater une « occupation illicite » … Dans un hémicycle une nouvelle fois chauffé à blanc, les députés ont achevé, en fin de semaine dernière, l'examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite » , qualifiée d’« anti-squats ». Le vote solennel est prévu aujourd’hui.
Porté par les groupes Renaissance et Horizons et soutenu par la droite et le RN, ce texte très contesté par les députés de la Nupes et les associations de défense des mal-logés - qui dénoncent un texte « anti-pauvres » - prévoit d'accélérer les procédures d'expulsion et d’alourdir notamment les peines de prison pour les squatteurs.
« Petits propriétaires » contre « précaires »
Cette proposition de loi a pour objectif, selon son auteur, le président de la commission des affaires économiques Guillaume Kasbarian (Renaissance), de « mieux protéger » les petits propriétaires et « d’améliorer durablement leur confiance », et « donc de faire revenir sur le marché les biens qui l’ont quitté ».
Selon le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, elle « apportera des moyens indispensables pour lutter contre les squats qui pourrissent la vie d’un certain nombre de nos concitoyens » et ainsi « protéger les honnêtes gens », en l’espèce « de petits propriétaires qui, ayant parfois économisé toute leur vie pour acquérir un bien, se trouvent dans l’impossibilité de récupérer le fruit de leur travail et de leurs économies ».
« Une proposition de loi honteuse », « un texte indigne », a estimé le député du Val-d'Oise, Aurélien Taché (Écologistes-Nupes), avant de dénoncer, un retour « au XIXe siècle, quand la bourgeoisie voyait en tout membre de la classe laborieuse un potentiel délinquant ». « Vous proposez un texte qui, au prétexte de lutter contre le squat, vise en réalité les personnes qui rencontrent des difficultés pour payer leur loyer » , s’est, de son côté, indigné le député communiste Stéphane Peu.
« Réforme des retraites, réforme de l’assurance chômage, réforme du RSA, lutte contre les impayés de loyers : en quelques mois, la majorité aura réussi à détériorer chacune des étapes de vie des Français déjà précaires », a dénoncé, pour sa part, Inaki Echaniz (Socialiste-Nupes), celui-ci ayant échoué à faire adopter une motion de rejet préalable.
« La kyrielle de conditions instaurées depuis plusieurs mois ne peut qu’accentuer les effets de la précarité : c’est un terreau fertile pour voir naître ou perdurer des situations d’impayés de loyers ou de squat », mais aussi « d’entraîner une forte augmentation du nombre de sans-domicile-fixe », selon le député des Pyrénées-Atlantiques qui a pointé « l’hyperconcentration de la propriété et à l’ampleur du mal-logement » avec « pas moins de 14,8 millions de personnes (qui) sont touchées par le mal-logement en France en 2023 ».
Durcissement des sanctions
Après avoir étendu la notion de domicile aux logements inoccupés contenant des meubles (qu’une personne y habite ou non et qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale), les députés ont décidé de tripler les sanctions encourues par les squatteurs - pour violation de domicile en s’introduisant à l'aide de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte » - en les portant jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende (contre un an de prison et 15 000 euros d’amende actuellement).
Pour sanctionner le squat de locaux autres qu'un domicile (un autre local d’habitation ou un local à « usage économique, agricole ou professionnel » ), ils ont également introduit un nouveau délit qui est passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende.
Un délit qui vise aussi les locataires en situation d’impayés de loyer et qui restent dans leur logement après un jugement d’expulsion définitif. Ces locataires risqueront 7 500 euros d’amende, sauf ceux pouvant être concernés par la trêve hivernale, bénéficiant d'une décision de sursis à expulsion ou d'un logement social.
« Oui, nous assumons de sanctionner plus durement le squatteur, mais également de protéger et d’accompagner le locataire dont la situation le justifie. Nous avons longuement débattu de ce sujet et avons pris les alertes en considération. Le texte ne conduira donc pas les locataires en prison pour impayés de loyer », s’est « réjoui » le ministre délégué chargé de la Ville et du Logement, Olivier Klein, qui a confirmé que « cette proposition de loi n’a jamais eu pour objectif de résoudre la crise du logement en France, mais de lutter contre les abus, contre ceux qui profitent du système et arnaquent les petites gens ».
Enfin, le texte instaure « une peine de 3 750 euros d’amende pour les personnes qui incitent au squat par la publicité et la propagande », comme l’a rappelé Guillaume Kasbarian qui a estimé que ces sanctions étaient « graduées et proportionnées à la gravité des faits doivent permettre de rassurer nos concitoyens (...) et dissiper l’impression d'une impunité dont certains jouiraient ».
Les maires pourront « constater l’occupation illicite »
En outre, afin de « fluidifier l’expulsion administrative des squatteurs », elle donnera dorénavant au maire - mais aussi aux officiers de police judiciaire (OPJ), et aux commissaires - la possibilité de « constater l’occupation illicite ».
Durant la discussion dans l’hémicycle, en seconde lecture, le député du Nord, Michaël Taverne (RN), a souhaité étendre, par amendement, cette faculté aux adjoints au maire, « qui sont également OPJ », tandis que la députée de l’Hérault, Emmanuelle Ménard (sans étiquette) a proposé de l’étendre au seul adjoint chargé du logement.
« Vous nous dites (...) que constater la réalité du squat n’est pas un problème au regard du nombre de personnes qui sont habilitées à le faire », a souligné cette dernière, en estimant que si « cela ne l’est sans doute pas pour les métropoles ou les grandes communes, il n’en va pas de même pour les villes moyennes et les petites communes, où l’indisponibilité de l’OPJ de gendarmerie ou de police, ou du maire, peut empêcher d’aller immédiatement constater le squat. Le maire a le droit de vivre : il peut être parti en week-end à l’extérieur de la commune ou en train de dormir, par exemple. C’est pourquoi il me semble préférable d’étendre la faculté de constater le squat à d’autres OPJ… »
« Dans la mesure où (les adjoints) sont considérés comme des OPJ, il me semble que les amendements sont satisfaits », a coupé court le rapporteur de la proposition de loi, jugeant que « l’écrire noir sur blanc dans la loi n’est pas particulièrement utile, et pourrait en outre faire naître d’autres difficultés : je crains, par exemple, que cela crée une pression au sein du conseil municipal lorsqu’il s’agira de décider qui doit effectuer le constat. (...) Bref, je ne pense pas qu’il faille aller plus loin ».
Largement enrichie et amendée durant son parcours parlementaire, cette proposition de loi prévoit aussi d'alourdir les sanctions pour ceux qui se font passer pour un propriétaire dans le but de louer un bien, précise que le délit d'introduction dans le domicile concerne également les résidences secondaires et exonère le propriétaire d'un logement squatté de son obligation d'entretien (sauf s'il s'agit d'un marchand de sommeil) « pour éviter qu’ils payent les dommages causés par l’absence d’entretien d’un bien, alors même que celui-ci est squatté et qu’ils ne peuvent y mener de travaux ».
Le dispositif expérimental, qui permet à un propriétaire de confier un local vacant à une association pendant une durée donnée pour y accueillir et héberger ceux qui en ont besoin, serait par ailleurs prolongé. En seconde lecture, les députés ont prévu que lorsque le dispositif est confié à des entreprises privées, l'État devra régulièrement vérifier la conformité de leurs pratiques.
Clause de résiliation automatique
A noter que le texte prévoit également l'insertion systématique d'une clause de résiliation automatique en cas d'impayés de loyers dans les contrats de location. « Une zone grise » jusque-là, selon Guillaume Kasbarian, qui concerne « la minorité de locataires qui cesse durablement de remplir ses obligations locatives » en ne payant plus leurs loyers et qui « mettent dans la difficulté les bailleurs, pour qui le logement constitue souvent un complément de revenu indispensable ».
Pour obtenir la suspension de l’activation de cette clause lors d’une audience, « le locataire devra en formuler explicitement la demande ». Dans ce cas, le juge pourra ainsi suspendre d'office les effets de cette clause à condition que le locataire soit « en situation de régler sa dette locative » et qu’il ait « repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience », en sachant que « la suspension de la clause prendra fin automatiquement dès le premier impayé ou retard dans le paiement de la dette locative fixé par le juge ».
Afin de rassurer les propriétaires face aux impayés, le texte prévoit de raccourcir également plusieurs délais dans la procédure contentieuse, notamment ceux accordés aux occupants dont « l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que leur relogement ne peut avoir lieu dans des conditions normales ». Ces délais post-audience ne pourront donc pas dépasser un an, contre trois ans actuellement. Le texte réduit enfin les délais pour les locataires « de mauvaise foi ».
Consulter la proposition de loi.
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