Le projet de loi sur l'habitat dégradé largement adopté à l'Assemblée nationale, avec des mesures nouvelles
Par Franck Lemarc
Un projet de loi sur le logement débattu à l’Assemblée nationale… sans ministre chargé du logement. C’est la situation peu banale qui a pris place hier au Palais-Bourbon, alors que la liste complémentaire des ministres délégués et secrétaires d’État n’a toujours pas été dévoilée. En attendant, c’est donc Christophe Béchu, ministre de la Cohésion des territoires et de la Transition écologique, ancien ministre de tutelle du ministre délégué au Logement, qui a représenté le gouvernement dans les débats. L’ancien maire d’Angers a rappelé qu’il existe aujourd’hui quelque 114 000 copropriétés dégradées, représentant 1,5 million de logements, et qui « nécessiteront à court ou moyen terme une intervention de la puissance publique ». Le projet de loi propose donc des solutions et de nouveaux outils, en permettant notamment aux collectivités d’intervenir « beaucoup plus en amont ».
Expropriation d’utilité publique
La philosophie générale de ce texte assez technique a déjà été détaillée par Maire info (lire nos éditions du 13 décembre 2023 et du 22 janvier). Il prévoit en particulier de créer un nouveau droit de préemption simplifié : lorsqu’un arrêté de péril ou d’insalubrité est prononcé, et que les mesures proposées n’ont pas été prises sous six mois, une expropriation « d’utilité publique » pourrait être prononcée y compris par une commune ou un EPCI. Il s’agit donc de permettre l’expropriation avant que la situation soit devenue « irrémédiable », comme c’est le cas aujourd’hui.
Le nouveau droit de préemption renforcé pourrait être exercé « en vue de réaliser des actions nécessaires à une opération programmée d’amélioration de l’habitat, un plan de sauvegarde ou une opération de requalification de copropriété dégradée ».
Autre aspect important du texte : la création d’un nouveau type de prêt collectif pour les copropriétaires, afin de réaliser les travaux . Le projet de loi prévoit aussi de nouveaux outils pour mieux connaître l’état du parc, avec notamment la réalisation de « diagnostics structurels » permettant de faire le point sur la solidité des bâtiments. En commission, les députés ont également ajouté des sanctions renforcées contre les marchands de sommeil, qui ne figuraient pas dans le texte initial.
Marchands de sommeil : peines aggravées
Près de soixante amendements ont été adoptés, hier, en séance publique, dont plusieurs viennent du gouvernement lui-même.
Une partie d’entre eux concernent le nouveau dispositif de « prêt collectif » aux copropriétaires. Le gouvernement, notamment, a ajouté un dispositif de garantie de l’État sur ces prêts, pour le cas de copropriétés dont la situation financière est « excessivement dégradée ». L’idée – qui sera précisée « au cours de l’année 2024 » consiste à « étendre le champ d’intervention du fonds de garantie de la rénovation énergétique à l’ensemble des travaux de rénovation des copropriétés en difficulté ».
Concernant la nouvelle procédure d’expropriation des immeubles insalubres ou dangereux, un amendement précise à présent que les arrêtés de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité peuvent concerner « un lot privatif » et qu’auquel cas, « l’expropriation décidée au titre du présent article ne concerne que les lots concernés par lesdits arrêtés ». Un autre amendement sur ce dispositif prévoit de mettre sous séquestre les indemnités d’expropriation que pourrait toucher un marchand de sommeil. Si celui-ci est condamné, ces indemnités seraient définitivement confisquées, afin d’empêcher que « des marchands de sommeil puissent tirer profit d’une telle opération pour bénéficier d’une confortable indemnité malgré leur activité criminelle ».
Notons par ailleurs qu’un amendement du PCF, adopté, prévoit que les marchands de sommeil, lorsqu’ils sont condamnés, se voient frappés d’une peine complémentaire d’interdiction, pendant 15 ans, d’acquérir un bien immobilier autre que leur logement principal.
Un amendement du gouvernement a été adopté, qui prévoit que les communes ou EPCI compétents puissent habiliter un « opérateur spécialisé » (par exemple un établissement public foncier) pour conclure « avec un syndicat de copropriétaires connaissant des difficultés financières, une convention par laquelle celui-ci lui achète son terrain tout en lui laissant la pleine propriété du bâti ». Le produit de la cession devrait permettre aux copropriétés de réaliser des travaux de rénovation et d’entretien.
Par ailleurs, toujours à l’initiative du gouvernement, un nouveau dispositif de « bail à réhabilitation » a été introduit. Cette disposition, explique le gouvernement, « autorisera la cession temporaire d’un bien à un bailleur social ou à un autre opérateur public intéressé chargé d’effectuer des travaux de rénovation qui seraient financés par les loyers perçus. Ensuite, ce dernier serait en mesure de restituer le bien rénové à son propriétaire. »
« Droit de regard »
Les députés ont adopté la formulation proposée par le gouvernement sur le « diagnostic structurel », qui serait réalisé dans des secteurs « définis par la commune » tous les dix ans pour les immeubles de plus de 15 ans.
Les députés ont instauré un nouveau « droit de regard » des maires sur les copropriétés en difficulté : lorsqu’un immeuble « fait l’objet d’une procédure relevant de la police de la sécurité et de la salubrité des immeubles », le maire ou « l’autorité compétente de l’État » auraient désormais le droit de participer à l’assemblée générale de la copropriété. Par ailleurs, dans ces mêmes conditions, le syndic devrait maintenant adresser au maire le procès-verbal de l’assemblée générale.
Scissions
L’article 10 du projet de loi prévoyait déjà la possibilité, pour l’opérateur d’une opération de requalification de copropriétés dégradées, de contraindre « la scission de grands ensembles en copropriété » en cas de nécessité, sans passer par le tribunal comme c’est le cas aujourd’hui, et afin d’accélérer les procédures. Par amendement, hier, les députés ont étendu cette faculté aux opérations programmées d’amélioration de l’habitat (Opah), « lorsqu’elles ont pour objet la rénovation urbaine ». En effet, écrivent les auteurs de l’amendement, « cette procédure peut également être utilisée pour accompagner les grands ensembles en difficulté financière, notamment du fait d'un nombre trop important de lots de copropriétés ».
Le texte, ainsi amendé, a été adopté par 127 voix pour et une voix contre. La majorité présidentielle, les LR, le PS, le PCF et les écologistes ont voté pour le texte, et les groupes LFI et RN se sont abstenus. Le texte a été transmis au Sénat, où il ne fera l’objet que d’une seule lecture, étant placé sous la procédure accélérée.
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