Un rapport du Sénat prône une évolution de la loi SRU pour rendre son application moins « aveugle »
Par Franck Lemarc
« Ni totem, ni tabou » . Les auteures du rapport (Sophie Primas, Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard), reprennent une formule célèbre pour qualifier la loi SRU et son célèbre article 55, celui qui a imposé aux communes de plus de 3 500 habitants un quota de logements sociaux compris, selon les cas, entre 20 % et 25 %.
Difficultés objectives
Après avoir consulté « près de 400 maires », les rapporteures font un constat qui peut paraître paradoxal : les maires qui ont répondu à l’enquête, à un même pourcentage de 70 %, jugent à la fois cette disposition « utile » et … « inefficace ». Utile, parce que le constat est très largement partagé d’une carence de logements sociaux ; et inefficace, parce que pour bien des maires, les objectifs fixés par la loi ne sont « pas tenables ».
Le rapport souligne que la loi SRU a marqué un « tournant », dans la mesure où elle vise à étaler le logement social sur l’ensemble du territoire plutôt que de le concentrer uniquement dans certaines villes et certains quartiers. Ce qui revient, soulignent les rapporteures, à « revenir sur un siècle d’urbanisme » et ne peut donc se faire en un claquement de doigts.
Pour elles – et ce constat est énoncé par de nombreux maires, depuis des années – les communes carencées « ne sont pas nécessairement des communes récalcitrantes », mais des communes où le rattrapage « est plus difficile à effectuer ». Elles notent d’ailleurs que des études ont prouvé que « les difficultés transcendent les couleurs politiques et la richesse des communes ». « Il faut abandonner les idées reçues », plaident les sénatrices, en particulier celle de communes riches qui ne voudraient pas construire de logements sociaux : « Les communes les plus en retard sont plutôt des communes plus pauvres que celles qui jouent le jeu. »
Application verticale
Il ressort de l’enquête du Sénat que les difficultés que rencontrent les communes carencées sont « objectives », et ne relèvent pas, la plupart du temps, de postures idéologiques. « Les maires sont unanimes pour dénoncer une application trop verticale et aveugle de la loi », et se plaignent d’une « prise en compte insuffisante des spécificités locales ». On sait par exemple que certaines communes ne peuvent construire de logements supplémentaires pour des raisons topographiques, ou parce que le seul foncier disponible est en zone inondable – mais qu’elles ne font, pour l’instant, l’objet d’aucune souplesse de la part de l’État.
Réussites et échecs
Question essentielle : la loi SRU a-t-elle, au moins en partie, atteint son objectif ? La réponse est « oui », pour la commission : « La moitié des 1,8 million de logements sociaux construits en France depuis 20 ans ont été construits dans les communes déficitaires » ; et la loi a permis une meilleure répartition sur le territoire, une « désegrégation », comme l’appellent les chercheurs. La loi SRU n’est pas « seule responsable de ce résultat », mais elle a constitué « un cadre favorable à un réel essor du logement social ».
En revanche, les rapporteures sont moins positives sur les résultats en matière de mixité sociale, que la loi SRU n’a « pas fait progresser ». Pire, selon des chercheurs consultés par la mission, « elle n’a pas empêché une aggravation de la ségrégation des 10 % de ménages les plus pauvres ». Il semble donc indispensable aux sénatrices de « mener des politiques plus volontaristes en faveur de la mixité sociale et de la mobilité résidentielle ».
25 propositions
Le rapport se conclut par une série de 25 propositions pour faire évoluer la loi, afin qu’elle soit « mieux acceptée ». Point important : les sénatrices ne remettent pas en cause l’article 55, et elles souhaitent « conserver l’objectif et l’économie générale de la loi ». Si elles estiment nécessaires de garder un objectif de 20 ou 25 % de logements sociaux, elles proposent en revanche de supprimer les « dates butoir », et « sans qu’aucune sanction automatique ou non proportionnée » soit prononcée. Le rapport rejette la proposition, souvent entendue, de « transférer l’objectif au niveau de l’intercommunalité », car cela « viderait [la loi] de son sens ». Il convient également, jugent les auteures du rapport, de « conserver un rattrapage en stock [et non en flux] mais en définissant un flux annuel sur la base d’un contrat ».
Le rapport prône le renforcement du « couple maire préfet » et des contrats de mixité sociale (CMS) pour aller vers « une application différenciée et partenariale » de la loi. Cette nouvelle approche « contractuelle » permettrait, selon le rapport, de mieux prendre en compte les particularismes de chaque commune et de faire de la « différenciation », très en vogue au gouvernement ces temps-ci.
Le rapport suggère également de remplacer les sanctions par des « incitations », par exemple en « majorant le quota d’attribution des maires bâtisseurs ».
Enfin, les rapporteures pointent la contradiction évidente entre la volonté du gouvernement d’appliquer strictement l’article 55 et sa politique en matière de logement qui, de l’autre main, « affaiblit le logement social », avec notamment la réduction du loyer de solidarité ou « sa politique agressive contre Action logement ». Les sénatrices demandent également que les surcoûts liés à la nouvelle réglementation RT2020 soient « compensés aux bailleurs », qu’il soit impérativement évité « que le logement social soit victime de la lutte contre l’artificialisation qui pourrait conduire à l’abandon de 100 000 logements ».
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