Maire-info
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Édition du jeudi 29 septembre 2022
Logement social

L'inflation menace aussi le secteur HLM

Inéluctables hausses du taux du Livret A, explosion des charges des locataires, budgets contraints... A l'instar des collectivités, des entreprises ou encore des ménages, les bailleurs sociaux doivent faire face aux conséquences de la flambée des prix, nouvelle source d'inquiétudes majeures.

Par Aurélien Wälti

C’est « l’invitée surprise »  de ce congrès. Il y a encore un an, personne n’aurait parié voir le thème de l’inflation - à l’époque particulièrement atone - ouvrir les débats du 82e congrès HLM en séance plénière. Finalement, rien de plus logique au regard de la nouvelle donne économique et des très fortes tensions sur le marché de l’énergie qui font entrer le mouvement HLM dans une période de turbulences.  

« Le plus stupéfiant est la vitesse à laquelle l’inflation est redevenue un problème » , s’étonne Daniel Cohen, professeur de sciences économiques à l’Ecole Normale supérieure : « L’an dernier, son taux était inférieur à 1 % et il s’agissait pour les banques centrales de tenter de raviver un mort qui ne voulait pas se réveiller. Et tout d’un coup, on est confrontés au problème exactement inverse ! » .

Livret A : une hausse du taux qui pèse sur l’endettement

Cette rapidité, les bailleurs sociaux l’ont aussi directement ressenti avec une hausse répercutée sur le taux du Livret A. Une évolution qui pourrait les mettre très vite en difficulté puisque ceux-ci tirent leur financement de ce produit d’épargne. L’essentiel de leurs prêts étant contractés à taux variable, les intérêts qu’ils doivent rembourser augmentent ou baissent ainsi en fonction de l’évolution du taux du livret préféré des Français. 

Or, « il ne faut pas s’attendre à ce qu’il rechute. On sait que ça va augmenter en 2023, peut-être à 3 % voire plus, et on aura au moins un an, deux ans, trois ans d’augmentation du Livret A. Et ça change tout ! » , a prévenu la présidente de l’Union sociale pour l’Habitat (USH), Emmanuelle Cosse.

En un an, le taux de ce produit d’épargne est passé de 0,5 % à 2 %, ce qui a déjà alourdi la charge de la dette du secteur de plus de 2 milliards d’euros. Dans ce contexte, les prélèvements effectués sur les bailleurs sociaux depuis 2018 (via la baisse des APL, la Réduction de loyer de solidarité (RLS) ou encore la hausse du taux de TVA) ne sont plus vraiment soutenables, aux yeux de l’ancienne ministre du Logement. 

La solution serait-elle alors de décorréler le taux du Livret A des prêts des bailleurs ? Pas si simple, à en croire Marcel Rogemont, président de la Fédération des offices publics de l’habitat (OPH), qui a répondu à cette question à l’occasion du débat consacré aux présidents des différentes fédérations qui composent le secteur : « Dans ce cas, qui paiera la différence? C’est très difficile, il faut faire très attention à ne pas changer de modèle dès qu’un petit problème apparaît. Le système est robuste et j’aspire à ce qu’il ne change pas » , a-t-il mis en garde. 

Moins réservée sur la question, la présidente des Coop’HLM, Marie-Noëlle Lienemann, assure que, « pour combler l’écart, la méthode c’est l’aide à la pierre. J’ai vécu cette période où son niveau était calibré au regard de l’impact du Livret A sur le financement du logement social ».

Les charges, « le vrai problème de cet hiver » 

Au-delà du « grignotage des outils qui font (sa) solidité » , le mouvement HLM rappelle également que « l'indice de référence des loyers (IRL) ne va pas au même niveau que l’inflation, les revenus des locataires ne la suivent pas non plus et, par ailleurs, on n’a pas toujours droit à l’augmentation des loyers » .

Comment les bailleurs sociaux peuvent-ils alors retrouver des marges de manœuvre ? Pour cela, Emmanuelle Cosse dit vouloir retrouver, notamment, « plus d’aide à la pierre pour la rénovation »  mais aussi davantage de « subventions locales, qui baissent » . « La difficulté c’est qu’il faut accélérer les investissements, notamment sur la rénovation des logements, mais si c’est juste avec des prêts, en fait on ne sait pas faire, à un moment donné on ne peut pas » , assure-t-elle.

Reste qu’à court terme, « le vrai problème pour l’hiver prochain »  c’est la question des charges. « Dans les mois à venir, nous allons voir croître les difficultés en matière de chauffage, en matière de hausse des charges qui vont être très concrètes pour les locataires et les bailleurs sociaux » , a insisté le président de la Fnar (Fédération nationale des associations régionales HLM), Jean-Luc Vidon.

Et Marcel Rogemont d’illustrer le problème avec une quittance de loyer d’un F3 qui va, par exemple, « passer de 476 euros à 579 euros avec le bouclier tarifaire, elle serait à 606 euros sans celui-ci » . Selon lui, « on est devant une vraie question, et j’aspire à ce que le gouvernement (...) prenne en compte la réalité de ce qui se passe, et qui fait que le bouclier tarifaire est insuffisant » .

Construction : les indicateurs en berne

Alors qu’Elisabeth Borne a proposé, cet été, un « pacte de confiance »  entre l’État et les acteurs des HLM, les bailleurs sociaux réclament également des moyens supplémentaires afin d’accélérer la rénovation du parc de logements et atteindre les objectifs affichés pour 2050. « Actuellement, on dépense un milliard d’euros par an pour la rénovation thermique, il faudrait en dépenser plus de trois milliards par an pour être au rendez-vous de 2034 » , date à laquelle les logements de catégories E, F et G seront interdits à la location. 

Sans compter que le secteur de la construction s’attend à voir le marché « se gripper » . Malgré un très bon premier trimestre, « tous les indicateurs craquent avec des abandons d’opérations, des appels d’offres infructueux qui se développent, des ventes de promoteurs et de maisons individuelles en chute de l’ordre de - 20 % ou - 30 % » , a expliqué Bernard Coloos, ancien délégué général adjoint à la Fédération française du bâtiment. « C’est en train de se gripper partout, et on l’observe également dans les travaux sur l’existant, que ce soit sur le résidentiel ou non. Tous les indicateurs s’effondrent. » 

Briser l’inflation « ne se fera pas sans coût » 

Faut-il alors s’inquiéter d’un choc inflationniste qui dure ou celui-ci finira-t-il par être brisé rapidement ? « On arrivera peut-être »  à endiguer l’inflation, explique Daniel Cohen, mais « cela ne se fera pas sans coût et ce sera très difficile à traverser » , notamment en 2023. « Les banques centrales vont tenter de crever toutes les bulles financières qu’elles ont créées ces dix dernières années. Et on ne peut donc pas exclure que, dans le marché de l’immobilier, des tensions nouvelles se fassent jour et viennent changer la donne en matière de financement et de soutien des prix. Et la spéculation deviendra plus difficile. » 

Le professeur d’économie à Normale sup’ se veut d’ailleurs plutôt rassurant pour le secteur HLM : « Ce sera dur, mais ce le sera sans doute moins »  que pour d’autres secteurs. En effet, si celui du logement social va être exposé à la hausse des taux, celui-ci a un « avantage comparatif »  : « Cette crise générale, (les bailleurs sociaux ont) les moyens de mieux la traverser que les autres car, au fond, c’est davantage un problème de liquidités, au moins à court terme, qu’un problème de solvabilité, du fait que les taux de long terme ne seront jamais supérieurs à l’inflation, ce qui n’est pas nécessairement le cas pour le secteur privé ».

Reste que, comme l’a rappelé Daniel Cohen, « le problème de l'inflation, c’est qu’elle s’auto entretient (et) les banques centrales n’ont pas de remède miracle pour la fixer » . Et le professeur d’économie à Normale sup’ de paraphraser une métaphore de Milton Friedman, l’un des plus célèbres économistes américains du XXe siècle : « L’inflation, c’est comme le dentifrice. Quand il est sorti du tube, c’est très difficile de l’y faire rentrer. » 
 

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