Ordonnance sur le recul du trait de côte : l'AMF et l'Anel saisissent le Conseil d'ÉtatÂ
Par F.L.
C’est le 7 avril qu’a été publiée au Journal officiel l’ordonnance « relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte » , texte prévu par l’article 248 de la loi Climat et résilience (lire Maire info de ce jour).
Manque de concertation
Rappelons qu’une ordonnance est un texte qui a valeur de loi, mais qui présente l’avantage, pour le gouvernement, de ne pas être débattu au Parlement. Ce qui peut se comprendre dans le cas où des textes doivent être adoptés au plus vite, pour faire face à des situations d’urgence, comme cela a été le cas pendant l’épidémie de covid-19… mais un peu moins pour des sujets comme celui-ci, qui demandent au contraire autant de réflexion que de consultations. Et de consultations, il n’y en a guère eu : le gouvernement n’a même pas pris la peine de consulter le Conseil national de la mer et des littoraux et, s’il a bien consulté (en « extrême urgence » ) le Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), il n’a tenu aucun compte de son avis. Car lors de l’examen de ce texte au Cnen du 25 mars, les représentants des élus se sont unanimement prononcés contre le projet d’ordonnance.
Un sujet essentiel
Que contient ce texte ? Sur le fond, le sujet est très attendu par les communes littorales exposées au recul du trait de côte, confrontées à des « situations juridiques et humaines inextricables », comme l’écrit l’AMF. Rappelons, pour mémoire, l’affaire emblématique de l’immeuble Signal à Soulac-sur-Mer : cet immeuble de quatre étages construit, en 1967, à 200 mètres du rivage, n'est plus qu'à une dizaine de mètres de l'océan, sur une dune prête à s'effondrer. Les propriétaires ont été évacués mais pas indemnisés, certains copropriétaires perdant dans l’affaire les économies de toute une vie, n’ayant pas réussi à faire reconnaître le recul du trait de côte au titre des risques naturels donnant droit à indemnisation.
Trouver enfin une réponse juridique à ce type de problèmes, qui risque fort de se multiplier du fait du réchauffement climatique, est donc une nécessité. Mais les solutions proposées par le gouvernement ne conviennent pas aux élus.
Transfert de charges
D’abord parce que l’ordonnance, comme l’ont signalé les élus lors de la séance du Cnen, s’écarte fortement « de la volonté du législateur », c’est-à-dire du contenu de la loi Climat et résilience. Ensuite, comme le notent l’AMF et l’Anel dans un communiqué publié hier, parce que l’ordonnance « crée une rupture d’égalité entre les citoyens au regard de leurs droits de propriété en instaurant des modalités distinctes d’évaluation des biens selon les situations administratives et non pas selon la réalité des faits et risques auxquels ils sont exposés ». Enfin, parce que le texte « opère un transfert de charges masqué de l’État vers les communes, sans les ressources financières dédiées, alors que l’impact financier de l’érosion du littoral est estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros ». L’ordonnance prévoit notamment, rappelons-le, que les opérations de « renaturation » (démolition et dépollution) d’un terrain à l’issue du nouveau bail de longue durée prévu par le texte seraient potentiellement à la charge des communes. Et ce y compris dans certaines communes où ce ne sont pas des bâtiments isolés qui sont concernés mais parfois des quartiers entiers.
Enfin, lors de la séance du Cnen, les élus avaient fustigé le fait que les dérogations à la loi Littoral prévues par le texte ne puissent se faire que dans le cadre d’un nouveau « PPA » (projet partenarial d’engagement) signé entre les communes et l’État, vus par les associations d’élus comme « de simples contrats d’adhésion à la main de l’État », qui font « annihiler les marges de manœuvre que le législateur a souhaité donner aux collectivités pour la mise en œuvre de projets de relocalisation durable des constructions ».
Enjeux « colossaux »
Ce sont toutes ces raisons qui ont conduit – fait rare – l’AMF et l’Anel à prendre la décision de contester cette ordonnance devant le Conseil d’État, ce qui a été fait le jeudi 19 mai. Il s’agit d’interroger la plus haute juridiction administrative sur « le bien-fondé de ce texte », afin de « garantir la sécurité juridique de l’ensemble du dispositif et d’accompagner l’action des maires ». Les deux associations souhaitent « limiter les futurs contentieux (et) préciser les nombreuses zones d’ombre qui pèsent sur un texte qui conditionnera l’action des collectivités et des différents opérateurs intervenant en matière d’aménagement des littoraux ». Car, comme l’avait fait remarquer le président de l’AMF, David Lisnard, lors de la dernière réunion du Bureau de l’association, « cette réforme fait peser sur les élus des enjeux juridiques et financiers colossaux ».
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