Limitation des dépenses des collectivités : les contrats de Cahors, en pire
Par Franck Lemarc
C’est la troisième « ligne rouge » franchie par le gouvernement, pour reprendre les mots d’André Laignel hier, lors de la conférence de presse (lire article ci-dessous). Après maintes tergiversations et déclarations contradictoires, le gouvernement a finalement choisi de relancer un système qui ressemble fort aux contrats de Cahors… en pire.
« Modération de la dynamique des dépenses »
En juillet, pourtant, le ministre Christophe Béchu expliquait à Maire info que le gouvernement avait bel et bien renoncé à demander un effort financier de 10 milliards d’euros aux collectivités locales – projet qui figurait dans le programme du candidat Macron (lire Maire info du 8 juillet). « Il va de soi que l’idée de penser que l’on va faire dans ce quinquennat la même chose que ce que l’on a fait dans le précédent, avec un contrat de Cahors, des objectifs, etc., n’existe pas. Je le dis de manière très claire. »
Elle n’existait peut-être pas en juillet, mais elle figure pourtant en toutes lettres à l’article 16 du PLPFP (projet de loi de programmation des finances publiques) dévoilé hier par le gouvernement et publié depuis sur le site de l’Assemblée nationale.
Ce texte est rendu nécessaire par l’arrivée à expiration du précédent PLPFP, qui courrait sur la période 2018-2022. C’était, rappelons-le, ce texte qui avait fixé le principe des contrats de Cahors.
Dans l’exposé des motifs de ce nouveau texte, on peut lire sous la plume de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, et de Gabriel Attal, ministre chargé des Comptes publics, que pour les « administrations publiques locales », c’est-à-dire les collectivités territoriales et leurs groupements, celles-ci seront « associées à la modération de la dynamique des dépenses ». Objectif : « Agir sur la maîtrise de la progression de leurs dépenses réelles de fonctionnement, qui devront évoluer à un rythme inférieur de 0,5 point au taux d’inflation ».
La formule est compliquée, mais la réalité qui se cache derrière est simple : il s’agit bel et bien d’une diminution des dépenses des collectivités, puisque celles-ci devront évoluer moins vite que l’inflation. Si l’inflation est de 5 %, une collectivité qui a dépensé 100 en année N, devra, pour des services strictement équivalents, dépenser 105 euros l’année N+1. S’il lui est imposé d’augmenter ses dépenses de 0,5 point en dessous de l’inflation, dans notre exemple, elle ne pourra augmenter celles-ci que de 104,5.
3,8 % en 2023
La chose est très clairement énoncée à l’article 16 du PLPFP, au chapitre Cadre financier pluriannuel des administrations publiques locales.
Cet article dispose que lors du DOB (débat d’orientation budgétaire), chaque année, « chaque collectivité territoriale ou groupement de collectivités territoriales présente son objectif concernant l’évolution de ses recettes réelles de fonctionnement, exprimées en valeur », tant dans les budgets principaux que dans les budgets annexes.
Le texte donne une trajectoire sur cinq ans : l’an prochain, les dépenses ne devront pas augmenter de plus 3,8 % (soit 0,5 point de moins que l’inflation prévue de 4,3 %). L’année suivante, la limitation est fixée à 2,5 %, puis à 1,6 % en 2025 et 1,3 % en 2026 et 2027.
Ces chiffres appellent deux remarques : la première est que, dans le contexte économique et géopolitique actuel, il paraît bien hasardeux de faire des projets basés sur les chiffres de l’inflation dans quatre ou cinq ans. Qui eût cru, il y a seulement 18 mois, que le pays connaîtrait en 2022 une inflation de presque 5 % ? Dans son projet de loi, le gouvernement table sur une inflation, pour 2023, de 3 % (et donc une limitation à 2,5 % pour l’augmentation des dépenses des collectivités), mais bien malin qui peut prévoir, aujourd’hui, ce que sera l’inflation de l’an prochain.
Deuxième remarque : l’effort demandé, en 2026 et 2027, est plus important que celui qui était prévu dans les contrats de Cahors, qui prévoyaient une possibilité de modulation permettant aux collectivités d’aller jusqu’à 1,65 % d’augmentation de leurs dépenses.
Qui sera concerné ?
Le PLPFP n’en dit pas plus sur les conditions concrètes d’application de ces mesures, mais précise que les collectivités seront « associées à l’élaboration » de celles-ci.
Vraiment ? Si l’on en croit les propos tenus par Gabriel Attal dans la Gazette des communes, le dispositif est bouclé et n’attend plus qu’un « arrêté » co-signé par les ministres concernés.
La mesure toucherait avant tout « les collectivités ayant un budget supérieur à 40 millions d’euros, soit au global environ 500 collectivités ». Mais, ajoute aussitôt le ministre, « (cet) objectif doit guider et embarquer tout le monde ».
Le bâton sans la carotte
Le système des contrats de Cahors prévoyait un dispositif de sanction et de récompenses pour les collectivités qui ne parvenaient pas à tenir l’objectif fixé par le gouvernement. Côté bâton, des « reprises financières », c’est-à-dire une diminution de la somme versée mensuellement par l’État sur le compte d’avance de la collectivité. Côté carotte : le gouvernement avait finalement accordé une majoration du taux de subvention pour les opérations bénéficiant de la Dsil aux collectivités respectant à la lettre le contrat.
Ici, point de carotte, mais un bâton plutôt rude : Gabriel Attal expliquait hier que les collectivités (parmi les 500, d’après ce que l’on comprend) qui augmenteraient leurs dépenses au-delà des 3,8 %, la première année, se verraient privées « d’accès à toute dotation de l’État (Dsil, DETR, fonds vert…) ». Puis, si la situation perdure, elles pourraient être frappées de reprises financières.
Par ailleurs, apprend-on au détour de cette interview, le gouvernement va jusqu’à prévoit une forme de mise sous tutelle des collectivités « fautives » par le préfet : les collectivités qui ne respecteraient pas la règle devraient mener, « avec le représentant de l’État », une « analyse des structures de la dépense de fonctionnement (…), puis un travail pour un retour à une trajectoire financière de maîtrise des dépenses de fonctionnement ».
17 milliards de ponction pour les collectivités
On comprend donc l’amertume d’André Laignel qui, hier, dans sa conférence, rebaptisé « contrat de méfiance » ce nouveau dispositif. L’AMF a fait ses calculs : pour s’en tenir aux exigences gouvernementales, les collectivités devraient économiser 1 milliard d’euros en 2023, 2 milliards en 2024, 3 milliards en 2025, 4 en 2026 et 6 en 2027. Soit, sur la période, un total cumulé de 17 milliards d’euros. Soit 7 milliards de plus que « l’effort financier » prévu par Emmanuel Macron qui, en effet, « n’existe plus », puisqu’il a été remplacé par quelque chose de pire.
Outre que cet objectif paraît difficilement atteignable par les collectivités, compte tenu de l’inflation galopante, André Laignel a souligné, hier, son impact futur sur le maintien et la création des services publics. Surtout, il voit dans cette mesure, comme dans la non-indexation de la DGF sur l’inflation et la suppression de la CVAE, « une volonté de recentralisation de l’État au mépris de l’autonomie financière et fiscale des collectivités ».
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