Maire-info
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Édition du mardi 5 juillet 2022
Libertés publiques

La Défenseure des droits alerte sur « l'érosion des libertés » et la dégradation de l'accès au service public

La Défenseure des droits, Claire Hédon, a présenté hier le rapport 2021 de l'institution, qui permet comme chaque année de pointer les dysfonctionnements de l'administration - avec un accent particulier, cette fois, sur la crise sanitaire et les limites du « tout numérique ». 

Par Franck Lemarc

En 2021, la Défenseure des droits a reçu « 115 000 réclamations », un niveau « jamais atteint auparavant », en hausse de presque 20 % par rapport à l’année précédente. 

Deux dossiers sont particulièrement mis en avant dans ce rapport 2021 : les saisines liées à la crise sanitaire, et la question de la dématérialisation toujours plus poussée des services publics. 

« Érosion progressive des libertés » 

L’institution a été saisie à de multiples reprises pendant la crise sanitaire sur des sujets divers : fermeture de certains services publics qui a conduit des ayants droit à ne pas pouvoir toucher certaines aides, conséquences sur les enfants des mesures sanitaires telles que les fermetures de classe, discriminations lors des contrôles de police durant le confinement… La Défenseure des droits a par exemple été saisie du cas d’un enfant dont l’école a refusé qu’il ne porte pas de masque, alors qu’il bénéficiait de certificats médicaux établissant qu’il ne pouvait le porter à cause de lésions cutanées. 

Autre dossier problématique : le pass vaccinal et ses « défaillances », qui se sont révélées « hautement préjudiciables »  pour certains usagers : « défaillances informatiques », inversions de pass entre deux usagers, patients vaccinés apparaissant comme « non vaccinés »  sur l’application numérique de la Sécurité sociale… Autant de cas qui ont fait l’objet d’interventions de la Défenseure des droits. 

Claire Hédon a également été saisie de « plusieurs dizaines de réclamations »  liées à l’obligation vaccinale, en particulier sur le fait que des agents ont été suspendus pour non-respect de cette obligation alors qu’ils étaient en arrêt maladie. La Défenseure des droits a estimé qu’il s’agissait d’une « discrimination fondée sur l’état de santé », ce que le Conseil d’État a confirmé en mars dernier. 

Plus généralement, la Défenseure des droits, si elle reconnaît évidemment que l’épidémie appelait à des mesures exceptionnelles, a « alerté sur les risques inhérents à la mise en place de procédures de contrôle généralisé de la situation des personnes ». Ses craintes, écrit-elle, « se sont confirmées », l’institution constatant « l’érosion progressive de nos libertés et de la cohésion de la société. En parallèle, les inégalités sociales et la précarité n’ont fait que s’aggraver. » 

Un risque de « dégradation irréversible »  de la relation aux usagers

Un autre chapitre important est consacré à l’accès aux services publics, et plus particulièrement à la dématérialisation et « aux effets délétères du tout numérique ». Claire Hédon dresse le bilan de « plusieurs décennies »  de réformes de l’administration qui, au travers de divers plans (RGPP, Programme action publique, Préfectures nouvelle génération, etc.), ont conduit à une dégradation de l’accès au service public. « Souvent pensées par le prisme de l’optimisation, de l’efficience ou de la simplification, les politiques de modernisation ou de transformation publique ont incontestablement eu des effets sur l’accès aux droits de toutes et tous », écrit Claire Hédon. 

La dématérialisation donne lieu à des réclamations « toujours plus nombreuses »  auprès de l’institution – problème dont Claire Hédon affirme toutefois que l’État a « pris conscience ». Quelque 10 millions de personnes ont des « difficultés persistantes »  avec l’outil numérique (personnes âgées, jeunes, étrangers, personnes handicapées, majeurs protégés, détenus…). Mais au-delà de ces publics, « toute personne peut, un jour, rencontrer un blocage incompréhensible face à un formulaire en ligne, ne pas parvenir à joindre un agent, échouer à dénouer un problème… ». La réduction de plus en plus drastique des agents présents physiquement en guichet s’est traduite, souligne la Défenseure des droits, par « un report systémique sur l’usager de tâches et de coûts qui pesaient auparavant sur l’administration », puisque c’est maintenant à lui « de se former et de s’équiper ». Ce que Claire Hédon résume en une formule frappante : « On demande aux usagères et usagers de faire plus pour que l’administration fasse moins et puisse économiser des ressources. » 

Cette évolution n’est pas dommageable que pour les usagers : elle l’est aussi, selon l’institution, pour les agents publics, « en quête de sens ». « Comment ne pas comprendre qu’un sentiment d’absurdité gagne les agents lorsqu’on observe, par exemple, que pour accéder simplement aux guichets préfectoraux et demander un titre de séjour, dans plusieurs départements, les personnes étrangères sont aujourd’hui tenues de saisir le tribunal administratif afin qu’il enjoigne au préfet de leur accorder un rendez-vous ? » 

La Défenseure des droits alerte donc sur le danger « d’une dégradation irréversible de la relation à l’usager, si la tendance se poursuit à la fermeture des guichets et à la précarisation des agents au contact des usagers ». 

Accéder au rapport.

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