Maire-info
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Édition du jeudi 9 décembre 2021
Santé publique

Les stratégies des pays de l'OCDE pour en finir avec la désertification médicale

La Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) dévoile aujourd'hui un rapport présentant les solutions déployées dans différents pays de l'OCDE pour remédier aux pénuries de médecins.

Par Lucile Bonnin

Une étude publiée ce matin par la Drees vient alimenter le débat autour des déserts médicaux en France. C’est un fait : la désertification médicale s'amplifie d’année en année dans le pays. C’est ce qu’on pu observer les sénateurs Philippe Mouiller et Patricia Schillinger, rapporteurs du rapport d'information sur « les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action » , fait au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Mais la France n’est pas un cas isolé. Les États-Unis, le Canada, la Norvège, le Royaume-Uni, l’Italie : tous les pays du monde doivent faire face à ce problème. Ainsi, cette enquête intitulée « Remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques. Les leçons de la littérature internationale » , a pour ambition, selon la Drees, « de décrire ces politiques, de rassembler les éléments d’évaluation de leurs impacts et de dégager quelques réflexions pour alimenter le débat sur la situation française. » 

La formation initiale

Depuis la rentrée 2021, le numerus clausus en France n’existe plus. Il a laissé place à un numerus apertus (ouvert) qui, comme son nom l'indique, peut augmenter.

Le rapport de la Drees reconnaît que cette augmentation des capacités de formation a pu apparaître comme une bonne solution. Le raisonnement est simple : « Si on forme de plus en plus de médecins, les zones urbaines favorisées finiront par être saturées, et ils iront combler les besoins non couverts dans les zones mal desservies. »  Mais la réalité observée est bien différente. Les problèmes de répartition géographique ne sont pas réglés. 

En revanche, plusieurs pays se sont appuyé « davantage sur la formation pour accroître la présence médicale dans les zones mal desservies. Le levier principal est la sélection des étudiants admis en école de médecine, pour augmenter la part de ceux qui sont issus de communautés défavorisées en termes d’accès aux soins. » 

La sélection des étudiants semble donc être une stratégie efficace. Exemple d’une stratégie américaine : le Physician Shortage Area Programme (PSAP), en Pennsylvanie, sélectionne et forme des médecins qui exerceront en zone rurale aux États-Unis. « Le programme recrute et sélectionne des étudiants qui ont grandi ou ont vécu à la campagne ou dans des villes de petite taille, et qui souhaitent pratiquer la médecine de famille en zone rurale. Il faut noter que les zones considérées comme en pénurie de médecins aux États-Unis sont à 70 % des zones rurales ou semi-rurales. » 

Les incitations financières 

« Nombre d'heures élevé, permanences nombreuses, localisation dans une zone peu dense »  : les conditions d’exercices des médecins dans les zones rurales sont boudées par les jeunes professionnels. Le service statistique des ministères sociaux montre que, étonnament, « les incitations financières, souvent mises en œuvre, ont plutôt des résultats décevants » .

La Drees s’appuie aussi sur une étude menée sur des médecins généralistes australiens. Les conditions – pour ces médecins déjà installés – pour aller exercer en zone rurale vont bien au-delà d’une compensation financière. La très grande majorité n’accepterait aucune somme et pour le reste, « il faudrait une augmentation de revenu des deux tiers pour compenser une installation dans une petite commune à l’intérieur des terres, et ce à condition que les conditions de travail et de vie personnelle (horaires, charge de permanence des soins, facilité à se faire remplacer, etc.) soient satisfaisantes. » 

La régulation 

Une autre stratégie, « plus contraignante » , consiste à restreindre la liberté de choix pour les professionnels de santé. D’ailleurs, actuellement en France, deux propositions de loi suggèrent de conditionner le conventionnement des médecins à leur installation dans les déserts médicaux. Certains pays ont déjà mis en place ce type de régulation comme en Allemagne ou au Québec. La Drees les a classés en deux catégories. 

D’abord, il y a la régulation qui impose un passage d’exercice « dans des zones déficitaires fléchées, pendant une durée déterminée, pour certaines catégories de médecins. »  Cette obligation temporaire d’exercice en zone sous-médicalisée est une solution de court terme qui, dans certains cas, peut être contre-productive à long terme. Cette stratégie n’est donc pas la bonne selon la Drees. « Les médecins qui servent dans ces territoires non attractifs le font de manière contrainte, ils ne restent pas en général après leur période d’engagement, parfois même cette expérience subie les détourne d’un type d’exercice pour lequel ils auraient pu avoir certaines prédispositions. » 

Enfin, d’autres pays prévoient « une restriction plus globale de la liberté d’installation, les médecins exerçant leur choix dans le cadre d’un nombre limitatif de places (ou de postes, ou de contrats) défini par zone géographique. »  Pour la Drees, la régulation de l’installation conduit sans doute à une distribution géographique plus équitable, sans pour autant éviter les pénuries dans certaines zones. 

Au Danemark, par exemple, les médecins généralistes sont libéraux, mais ils doivent passer contrat avec les autorités régionales qui régulent la distribution géographique des cabinets. En Norvège, les généralistes sont également des libéraux pour l’essentiel, et sont sous contrat avec les municipalités. Les médecins spécialistes sont, eux, sous contrat avec les régions. « Là aussi, les possibilités d’installation des médecins sont donc restreintes par la nécessité de passer contrat, soit avec la municipalité, soit avec la région. » 

Les politiques de régulation des installations semblent donc avoir un impact positif sur l’équité de la distribution géographique. Néanmoins, les exemples efficaces n’ont été développé que dans des pays où le contexte historique et politique est spécifique comme dans les pays nordiques où « les préoccupations d’équité sont anciennes et inscrites dans la construction des systèmes de santé ». Cette politique est aussi à nuancer car elle est efficace au niveau régional et on en sait pas si la régulation des installations permet d’éviter les pénuries dans les zones peu attractives.

Le soutien professionnel et personnel

Le service statistique des ministères sociaux conclut que « le choix de s’installer dans une zone mal desservie est lié en premier lieu à un ensemble de facteurs personnels » . Des mesures de soutien aux professionnels ont d’ailleurs été déployées dans différents pays. On observe par exemple la mise en place d’une organisation et d’un financement de remplacements pour permettre aux praticiens de s’absenter ; des formations facilitées avec un développement professionnel continu et l’acquisition de compétences nouvelles (compensation de la perte de revenu, prise en charge de frais de transport) ; un aménagement des conditions de travail pour les médecins séniors, par exemple avec une réduction ou une suppression des gardes et astreintes ; et des stratégies de soutien et des interventions ponctuelles pour améliorer la santé et le bien-être psychologique des médecins ruraux.

En Australie, certains chercheurs suggèrent la mise en place de mesures comme « améliorer la qualité des logements »  ou encore « financer la présence de deux médecins dans les communautés à un seul médecin ». En parallèle, un programme a été lancé sous le nom de « Dr Doc »  pour améliorer la santé et le bien-être psychologique des médecins ruraux par des stratégies de soutien et des interventions ponctuelles.

Le rapport sénatorial Les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action préconise d’ailleurs aux collectivités de mener « des actions proactives afin de favoriser l’installation des médecins »  (logement, aides à l’emploi du conjoint, cadre de vie...).

Et en France ? 

La Drees rappelle enfin que la France a déjà mis en œuvre des incitations. Incitations conventionnelles à l’installation, contractualisation avec les agences régionales de santé (ARS), bourses ou aides financières aux étudiants et internes, aides financières des collectivités, Pacte territoire santé de 2012… Les initiatives sont nombreuses. 

En prenant en compte l’expérience étrangère, la Drees propose quelques pistes pour lutter contre les déserts médicaux. Les mesures isolées se montrent d’abord inefficaces. Il faudrait donc déployer « une politique d’ensemble, à adapter au cours du temps » . Autre recommandation : « l’origine territoriale et sociale des étudiants en médecine pourrait être plus diversifiée pour équilibrer à terme leur répartition sur les territoires ». Enfin, il est clair que le plus important est d’intensifier l’effort « pour proposer des conditions de vie et de travail épanouissantes » . Les auteurs du rapport suggèrent pour finir que « l’accompagnement des professionnels sur le terrain, par des mesures de soutien visant à améliorer leur cadre de vie et de travail, pourrait certainement être encore développé. » 

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