Les mouvements sectaires « surreprésentés » dans les départements ruraux, constate Marlène Schiappa
Stages de jeûne longue durée, maltraitance financière de personnes âgées, médecines traditionnelles utilisées par des prédateurs pour abuser, souvent sexuellement, des personnes dont une majorité de femmes… « Les sectes, aujourd’hui, ce n’est plus ou plus seulement Charles Manson, l’Église de Scientologie ou le Temple solaire, mais beaucoup de petits groupes. On en dénombre 500 en France, soit 140 000 personnes dont 90 000 enfants et adolescents ». Dans une interview accordée à L’Obs, la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, résume ainsi l’état des lieux et les tendances des mouvements sectaires que lui a remis, hier, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). « Cela concerne toutes les classes sociales. Les femmes, plus souvent en situation de précarité ou victimes de prédations sexuelles, sont particulièrement touchées ».
Une circulaire de mobilisation est sur le point d'être adressée aux préfets afin de « sensibiliser et former leurs personnels via les ressources nationales ou associations locales » ; « mobiliser les instances locales de pilotage des politiques de sécurité autour de la lutte contre les dérives sectaires (états-majors de sécurité, CLIR, groupe de travail dérives sectaires du conseil départemental de prévention de la délinquance) » et « systématiser les signalements aux autorités judiciaires (article 40) ».
Des dérives sectaires exacerbées par la crise sanitaire
La crise sanitaire a, semble-t-il, favorisé l’émergence des dérives sectaires, que la Miviludes distingue de la radicalisation. « L’émergence séculaire de ces comportements tire son origine d’une opposition entre les églises, accommodant leurs exigences à la vie quotidienne du plus grand nombre, et des groupes exigeant de l’ensemble de leurs membres un engagement total, marginal, et une "pureté exemplaire" ».
La Mission a reçu 3 008 signalements en 2020 (contre 2 800 en 2019), dont 686 jugés sérieux, et une vingtaine de procédures judiciaires ont été engagées contre des personnes qui ont profité de la crise sanitaire pour développer en France une emprise sectaire. Il peut s'agir, par exemple, de groupes pseudo-religieux entretenant la défiance vis-à-vis de la vaccination et mettant en avant des thérapies parallèles visant un public fragilisé. L'un d'eux, nous apprend le rapport, utilise la pandémie mondiale pour dénoncer un complot de la 5G qui serait à l'origine de l'apparition du virus. Rien qu'entre mars et juin 2020, 80 signalements en lien direct avec la crise sanitaire ont été enregistrés.
« Santé, bien-être, mouvements religieux ou apocalyptiques… La crise sanitaire a eu un impact sur les dérives sectaires, des personnes mal intentionnées profitent du moment de flou et de peur dans lequel nous sommes pour manipuler et tirer avantage de personnes vulnérables, confiait, hier, au Figaro Marlène Schiappa. Mais je tiens à alerter le grand public: cela peut tomber sur n'importe qui, vous, moi… Nous prenons la lutte contre les dérives sectaires à bras-le-corps avec des moyens concrets, inédits et forts pour protéger les gens. C'est le cœur de mon action.»
La santé et le bien-être, nouvelles tendances de la dérive sectaire
« Dans les signalements, il s’agit de repérer l’état de dépendance de la personne (sujétion psychologique ou emprise mentale) ; la dangerosité des convictions (idéologies conduisant à des pertes de chance thérapeutique ou éducative ; à des actes contraires aux lois et aux valeurs communes ; légitimant la violence) ; les infractions, délits ou crimes qui accompagnent les agissements sectaires ».
Fait nouveau : « La majorité des procédures traitées vise des thérapeutes ou des coachs proposant des soins divers (parfois à distance) ou des séances de développement personnel, visant en apparence le bien-être des clients et en réalité l’enrichissement personnel démesuré des auteurs », poursuit la Miviludes. De fait, l’essor de l’offre de soins a engendré de nombreux signalements mettant en exergue les effets déviants de certaines pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (PNCAVT) et les agissements de certains "pseudo-thérapeutes". »
Les départements ruraux particulièrement touchés
Sur le plan géographique, enfin, « les départements ruraux sont particulièrement touchés », et même « surreprésentés » selon Marlène Schiappa, par le phénomène sectaire, « en raison, d’une part, de la désertification médicale et d’autre part, de la plus grande facilité à créer des communautés en marge de la société, dans un projet de ''retour à la terre'' ou de développement d’activités répréhensibles (…) Par ailleurs, une expansion des mouvements sectaires est observée en outre-mer. Le phénomène peut s’expliquer par plusieurs facteurs, notamment la baisse de la fréquentation des églises catholiques » , conclut la Miviludes, dont Marlène Schiappa a promis le renforcement.
Ce qui était loin d'être gagné : le rattachement, en juillet 2020, de la Mission, sous le giron de Matignon depuis sa création en 2002, au ministère de l’Intérieur, précisément au sein du Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR), avait suscité l’incompréhension des professionnels. Certains évoquant même « une condamnation à mort ». Celle-ci semble finalement s'éloigner : la ministre déléguée à la Citoyenneté a annoncé, hier, la nomination d'Hanène Romdhane, magistrate, à la tête de la Mission sans président depuis deux ans ainsi que l'installation à ses côtés d'un conseil d’orientation de la Miviludes, composé des représentants des ministères, d’experts, de parlementaires et d’associations.
Ludovic Galtier
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