Les expulsions de squats, bidonvilles et campements en « nette augmentation » en 2024Â
Par A.W.
Plus de 108 000 personnes ont été expulsées cette année d’habitat précaire (squats, bidonvilles, campements, véhicules servant d’abri, matelas posés au sol…), selon le dernier rapport annuel de l'Observatoire des expulsions des lieux de vie informels, dont les auteurs dénoncent « une politique d’expulsions systématique ».
Un constat « très inquiétant », a déploré Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, lors d’une conférence de presse, en rappelant que ce rapport arrive « dans un contexte qui s’est durci depuis plusieurs années, et encore plus ces derniers temps (et qui) concerne tous les mal logés ».
Le Pas-de-Calais concentre 60 % des expulsions
Créé par huit associations dont Médecins du monde, la Ligue des droits de l'Homme, la Fnasat-Gens du voyage ou encore la Fondation Abbé Pierre, l’Observatoire a ainsi recensé, entre le 1er novembre 2023 et le 31 octobre 2024, près de 1 500 opérations d’expulsions sur le territoire. Un bilan qui n’est, toutefois, « pas exhaustif », mais de mieux en mieux documenté.
Un nombre en augmentation de 34 % par rapport à l’année précédente et qui n’a été dépassé que lors de l’année 2021-2022 (et ses 2 078 opérations d’expulsion), depuis que les associations ont produit leur premier rapport il y a six ans.
Une situation qui traduit « une politique d’expulsions systématique », estiment les auteurs du rapport qui constatent que plus de la moitié de ces opérations ont lieu sur la pointe septentrionale du pays avec 876 d'entre elles recensées sur le littoral nord, là où les migrants se regroupent pour partir au Royaume-Uni.
Avec plus de 80 000 personnes concernées sur l’année, cela représente en moyenne 220 par jour dans cette zone, alors que, sur l’ensemble des autres départements, ce sont 608 opérations qui ont été recensées (et 28 000 personnes concernées). Pour ces derniers, le nombre d’expulsions a cependant été multiplié par cinq depuis le premier rapport de 2019-2020.
Le Pas-de-Calais est ainsi le département qui bat tous les records et recense la très grande majorité de ces déplacements forcés (838 opérations et plus de 75 000 personnes expulsées). À elles seules, les communes de Calais, Dunkerque, Loon-Plage et Marck concentrent ainsi 60 % de la totalité des expulsions recensées par l’Observatoire.
Autres constats faits par l’Observatoire, plus de la moitié des expulsions ont lieu pendant la trêve hivernale, avec un pic au mois de février, et dans 87 % des cas les habitants voient leurs biens « détruits ou confisqués » au moment de l’expulsion.
Tendance à passer « de moins en moins par la justice »
Si certaines personnes subissent plusieurs expulsions au cours d’une même année, et sont donc comptabilisées plusieurs fois, dans 88 % des cas, les expulsions ne donnent lieu à aucune solution d’hébergement ou de logement et ces personnes retournent ainsi dans l’errance, alors même que 68 % d’entre elles se font « sans fondement légal ». Un taux qui pointe à 98 % sur le littoral nord, selon les associations.
Il y a une « accélération » des expulsions, a expliqué Manuel Domergue, celle-ci étant confirmée par une tendance à « passer de moins en moins par la justice, mais de plus en plus par des expulsions administratives avec moins de délais, de recours au droit, de possibilité de faire valoir ses droits ».
Le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre regrette, en outre, que les chiffres d’expulsions soient devenus des « sortes de trophées politiques » dont certains se « gargarisent » alors que « par le passé, les différents gouvernements n’en étaient pas très fiers ».
On peut noter également un autre phénomène relevé par les associations en Île-de-France, durant l’année 2024. La période des Jeux olympiques et paralympiques a mis « en lumière une répression croissante de ces personnes et un nombre accru d’expulsions, tout particulièrement les 10 jours précédant la cérémonie d’ouverture », « reléguant plus encore les populations sans domicile en dehors des zones touristiques ».
Espérance de vie réduite, saturnisme...
Les conséquences des expulsions sont, en outre, particulièrement délétères pour la santé. Dans ce contexte, « l’espérance de vie en moyenne de 30 ans inférieure à la population générale chez les personnes qui vivent sans domicile », a souligné le président de Médecins du monde, Jean-François Corty, expliquant que « plus les conditions d’habitat sont précaires et non sécurisées, plus le risque de développer des maladies chroniques et des épisodes de dépression sévère est élevé ».
« Le mal-logement est un déterminant social de santé souvent sous-estimé, alors qu’il est massif dans l’espérance de vie et la prévalence des pathologies respiratoires, cutanées ou psychologiques », a confirmé Manuel Domergue.
Le rapport fait ainsi le constat d’un différentiel important d’état de santé entre les habitants de lieux de vie informels et le reste de la population sur des problèmes d’hypertension, de diabète, d’asthme ou encore de maladies bucco-dentaires et d’obésité, mais aussi s’agissant de renoncement aux soins ou la vaccination contre la rougeole-oreillon-rubéole chez les enfants.
« Les expulsions répétées des lieux de vie informels ont des conséquences significatives sur la continuité du parcours de soins de leurs habitants, elles affectent leur santé globale sur le court comme le long terme. A chaque expulsion, les habitants subissent d’importantes ruptures dans leur accès aux soins de prévention ou de suivi, dans la gestion de leurs maladies chroniques et dans leur accompagnement psychosocial », indique le rapport.
Cette instabilité constante contraint les personnes à « mettre leur état de santé au second plan » avec des risques de complications médicales qui sont dès lors décuplés et une dégradation accélérée de leur santé.
D’autant que ces personnes sont souvent reléguées dans des lieux de vie particulièrement nocifs pour la santé (à proximité d’un axe ferroviaire ou routier, d’un site industriel, ou encore d’une déchetterie ou d’une décharge), et se retrouvent exposées à des maladies qui ont largement reculé dans le reste de la population, comme le saturnisme.
« Les personnes sont contraintes de se loger dans les interstices laissés libres en raison des nuisances et non désirés », toujours plus « près d’usines Seveso, sur des terrains aux sols pollués qui peuvent causer du saturnisme », a, par ailleurs, dénoncé le délégué général de l’Association nationale des gens du voyage citoyens (ANGVC), William Acker.
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