Maire-info
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Édition du vendredi 24 janvier 2025
Outre-mer

Les députés adoptent en première lecture un texte contre la vie chère en outre-mer

L'Assemblée nationale a adopté en première lecture hier une proposition de loi du Parti socialiste sur la lutte contre la vie chère, avec le soutien seulement partiel du gouvernement. 

Par Franck Lemarc

La proposition de loi socialiste adoptée hier a été déposée en octobre, et vise à répondre à la question cruciale de la vie chère dans les territoires ultramarins, question qui a provoqué de très nombreux mouvements de contestation dans la population, depuis le mouvement animé par le LKP en Guadeloupe en 2009 jusqu’aux récentes manifestations en Martinique, en passant par la Guyane, Mayotte et La Réunion. 

Dans l’exposé des motifs du texte, quelques chiffres « vertigineux »  sont rappelés : pour les prix alimentaires, les écarts de prix avec l’Hexagone atteignent 42 % en Guadeloupe, 40 % en Martinique, 39 % en Guyane… La grande pauvreté est « 5 à 15 fois plus fréquente outre-mer qu’en France hexagonale ». Il y a donc urgence, plaident les députés socialistes, à se pencher sur les pratiques commerciales ayant cours outre-mer et notamment sur le phénomène de la concentration, qui doit être « régulé ». 

Dans le texte initial, plusieurs dispositifs étaient prévus dans ce sens. D’abord, une modification du Code du commerce pour faire réellement appliquer le « bouclier qualité prix »  déjà existant, en « intégrant pleinement »  les observatoires des prix, des marges et des revenus aux négociations annuelles sur les prix. 

Un deuxième article vise à renforcer la transparence en renforçant les sanctions en cas de non-publication des comptes par les grands distributeurs ultramarins. Un troisième article avait pour but de limiter la concentration pour lutter contre les « monopoles »  dans les territoires d’outre-mer. 

La position du gouvernement

Lors de l’examen du texte, hier, le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, s’est longuement exprimé pour dire la préoccupation du gouvernement face à cette question et rappeler les décisions qui ont été prises après le récent mouvement en Martinique. Il a reconnu que « le partage et la chaîne de valeur, outre-mer, ne sont pas équitables, pas justes. (…) L’opacité et l’accumulation de marges excessives (…) sont au cœur du problème ». Manuel Valls a rappelé les trois objectifs du protocole signé en octobre dernier entre l’État et la collectivité de Martinique : « Faire baisser les prix de 6 000 produits de consommation courante ; augmenter la transparence en renforçant les contrôles sur la formation des prix afin que chacun puisse comprendre ce qu’il paie ; doper la production alimentaire locale en soutenant l’agriculture du territoire pour favoriser l’autonomie alimentaire. » 

Sur la proposition de loi elle-même, Manuel Valls a affirmé la « soutenir », mais s’est opposé à deux dispositions figurant dans le texte issu des travaux en commission. 

À l’article 1 avait été ajouté un dispositif plus radical que celui-ci proposé initialement, imposant la conclusion d’un accord « garantissant pour chaque famille de produits des prix équivalents aux prix moyens annuels en France hexagonale ». Manuel Valls a jugé ce dispositif excessif et même probablement « constitutionnellement fragile »  en ce qu’il représenterait une atteinte à la libre concurrence et à la « liberté d’entreprendre ». Il a donc proposé de remplacer cet « alignement des prix »  par un « objectif de réduction ». 

Le ministre s’est également résolument opposé au nouvel article 4 introduit dans le texte en commission, qui visait à interdire, outre-mer, à un groupe de distribution « de détenir une part de marché supérieure à 25 % (…) sans avoir mis en œuvre les mesures nécessaires afin de faire revenir sa part de marché sous ce seuil ». Manuel Valls a estimé que cet article remettait en cause le droit de propriété et posait donc « un vrai enjeu constitutionnel ». 

Le texte adopté et durci

Le ministre n’a pas convaincu la représentation nationale, puisque ces articles ont été adoptés tout de même, voire durcis.

Dans la version finale, l’article 1, qui impose un alignement des prix ultramarins sur l’Hexagone, a été conservé, et même enrichi, incluant, au-delà des produits de première nécessité, « la téléphone, l’informatique, les abonnements [internet et téléphoniques], l’électroménager et les pièces détachées automobiles ». Il a également été ajouté que les associations de consommateurs et les collectivités concernées devront participer aux négociations sur les prix. 

L’article 2 fixe les modalités des sanctions qui seraient appliquées en cas de non-publication des comptes par les sociétés. Un nouvel article vise à interdire à titre expérimental, pour dix ans, « toute nouvelle implantation commerciale d’une surface supérieure à 1 000 mètres carrés d’un groupe ou d’une société détenant déjà plus de 15 % des parts de marché ».

L’article 4, que Manuel Valls jugeait attentoire au droit de propriété, a été maintenu. Mais au lieu du seuil fixé par la loi d’interdiction de détenir une part de marché supérieure à 25 %, les députés ont choisi de mentionner « un seuil fixé par le pouvoir réglementaire ». 

Enfin, le texte a été durci par l’ajout de deux articles proposés par le groupe LFI. Le premier vise à réguler les marges, en permettant aux préfets de fixer « un coefficient multiplicateur maximal entre le prix d’achat effectif et le prix de revente du produit au consommateur pour chaque catégorie de denrées alimentaires ». Le second imposerait « les prix de vente des produits destinés aux commerces de proximité ne (puissent) être supérieurs aux prix appliqués par les grossistes aux grandes surfaces ». Cette disposition vise à lutter contre les accords qui peuvent être passés entre grossistes et grands distributeurs au détriment des petits commerces.

Le durcissement du texte, ainsi que le maintien des mesures que le gouvernement avait refusé, a finalement poussé certains députés – ceux du MoDem, par exemple, qui s’en sont expliqués – à s’abstenir sur ce texte, alors qu’ils souhaitaient initialement le voter. 

Le texte va maintenant partir au Sénat, où il sera sans doute très largement modifié. Quoi qu’il en soit, le ministre des Outre-mer a répété hier son souhait de voir ce texte « aller au bout »  de son chemin parlementaire. 

Accéder au texte adopté.

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