Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 1er octobre 2021
Gouvernement

Le torchon brûle entre le gouvernement et les régions

Jean Castex est venu conclure, hier, le 17e congrès de Régions de France, avec quelques annonces et surtout beaucoup de distance vis-à-vis des revendications des collectivités. L'association a dénoncé, dans la foulée, « une volonté de l'État de ne pas travailler » avec les présidents de région, et cette séquence interroge sur un changement de ton du gouvernement vis-à-vis des associations d'élus.

Par Franck Lemarc

« Les régions et le gouvernement ne partagent pas la même vision de la réalité du pays. »  Le titre, amer, du communiqué diffusé hier par Régions de France en dit long sur la déception des présidents de région, après le discours du Premier ministre.

Tout n'avait pourtant pas trop mal commencé : à Montpellier, où il a jadis siégé comme conseiller régional du Languedoc-Roussillon, Jean Castex s’est dit « fier et heureux »  de conclure le congrès de l’association, avec laquelle le gouvernement a « formidablement travaillé ». Mais le ton n’est pas resté aussi aimable très longtemps : le Premier ministre a rapidement balayé les critiques acerbes des responsables de Régions de France qui venaient de s’exprimer en les qualifiant de « propos d’estrade »  et, plus tard dans son discours, de « polémiques stériles ». 

« La petite musique »  de la recentralisation

Sur le fond, Jean Castex a répondu aux demandes de Régions de France (qui rejoignent celles de l’AMF et de l’ADF) sur une plus grande décentralisation, par exemple dans le domaine de la santé. Et c’est une fin de non-recevoir.

« J’entends vos revendications. (…) Mais qui aurait pu imaginer une seule seconde qu’en plein déroulement de la crise, nous eussions changé les règles du jeu ? C'eût été irresponsable de notre part. »  Et d’ajouter : « J’entends cette petite musique sur une gestion centralisée, étatiste de la crise sanitaire. Faites comme moi, avec humilité, laisser les Français apprécier comment notre pays aura géré cette crise sanitaire. (…) Ce que je constate, c’est une implication sans faille des élus sur le territoire avec l’État, aux côtés de l’État. (…) On peut autour de ça essayer de créer des polémiques, mais je suis serein. » 

Ironie

Le chef du gouvernement a ensuite abordé la question des finances locales, sur un ton tout aussi offensif. L’impact de la crise sur les budgets des collectivités locales, a déclaré Jean Castex, c’est « 4 milliards ». « 4 milliards c’est beaucoup », a-t-il ironiquement poursuivi, c’est « 1,7 % de vos budgets consolidés ». « C’est beaucoup mais l’État, lui, c’est 92 % milliards et 24 % de son budget. Et il n’y a personne vers qui je puis me retourner pour dire : ‘’comblez !’’ ». Jean Castex a donc fait mine d’oublier, dans cette comparaison, que les collectivités locales ne peuvent pas, à la différence de l’État, avoir un budget en déficit ; et qu’elles ne bénéficient pas, c’est le moins que l’on puisse dire, des mêmes leviers en matière de ressources fiscales.

Pour autant, « nous ne vous laissons pas tomber », a expliqué le Premier ministre, qui ne s’est pas privé de rappeler que sous Emmanuel Macron, les baisses de dotation ont été stoppées. Sans mentionner qu’il ne les a pas non plus rétablies, et que les ressources perdues, entre 2014 et 2017, par les collectivités, le sont toujours. 

Sur la question de la suppression partielle des impôts de économiques locaux (CVAE notamment) qui touchent principalement les régions, Jean Castex s’est engagé à « neutraliser toutes les conséquences de [cette suppression] en compensant l’année prochaine la baisse des frais de gestion perçus au titre du financement de la formation professionnelle ». L’exemple illustre parfaitement le problème posé par les associations d’élus : le gouvernement va compenser, « cette année », la perte, par un dispositif qu’il décide et qu’il pilote. Mais l’année suivante ? C’est tout le problème du passage d’une ressource fiscale à la main des collectivités à une dotation à celle de l’État. 

Jean Castex a également évoqué les pertes de recettes tarifaires des régions en matière de transport dues à la crise sanitaire, annonçant qu’outre l’Île-de-France, la situation serait « réglée »  dans « deux autres régions », dont il n’a pas donné le nom. Il a en outre annoncé un réabondement de 350 millions d’euros des financements sur la formation des demandeurs d’emploi.

« Nous avons le devoir d’afficher de la sérénité, du sérieux, a conclu assez brutalement le Premier ministre en réponse au discours de la présidente de Régions de France, Carole Delga. Il ne faut pas croire que d’un coup de menton (…) tout va se régler. Tout cela n’est pas si simple. » 

« Main tendue »  rejetée

Sans surprise, ce discours a été très mal perçu par les présidents de région, dont certains se sont dit, à l’issue, « choqués », dénonçant le ton « condescendant »  et « une incompréhension totale de la relation État-collectivités » 

Régions de France a publié dans la foulée un communiqué au vitriol. Alors que les régions ont fait « une proposition de main tendue et [montré] une volonté de travailler en partenariat avec l’État », le Premier ministre n’a, selon les présidents de région, pas saisi cette main tendue. « Les réponses du Premier ministre ne sont pas à la hauteur des attentes des Français (…). Nous avons entendu le portrait idyllique d’un État apportant seul les réponses à tous les problèmes du pays. (…) Les régions voulaient avoir les moyens réels d’agir pour les mobilités, pour la santé, pour la transition écologique, pour tous ces sujets qui concernent la vie quotidienne de nos concitoyens. Nous voulions savoir comment le Premier ministre voyait la « République de la confiance », indispensable à la réussite de la relance et au redressement de la France. Eh bien, la réponse est restée : la « République de la centralité »  conforme à la ligne du quinquennat d’Emmanuel Macron. » 

Les présidents de région jugent cette situation « très regrettable »  et constatent que « le partenariat »  qu’ils appelaient de leurs vœux « reste au point mort ». À l’opposé du « partenariat incarné par Territoires unis »  (structure qui regroupe l’AMF, l’ADF et Régions de France), l’état « exprime clairement la volonté »  de ne pas travailler avec les régions, conclut Régions de France. 

La présidente de l’association annonce qu’elle va convoquer « un conseil des Régions extraordinaire »  dans les prochains jours « pour tirer les conséquences de cette prise de position »  du Premier ministre.

Ce discours offensif du Premier ministre annonce-t-il un changement de stratégie du gouvernement à l’égard des associations d’élus ? On peut le craindre. À l’approche de l’élection présidentielle, l’exécutif sait parfaitement qu’il ne pourra pas compter sur les associations d’élus pour chanter les louanges de son action. Peut-être a-t-il décidé de jouer la carte de la décrédibilisation de celles-ci – tout le monde aura noté l’appel au « sérieux »  lancé dans le discours de Jean Castex. On verra très vite – notamment à l’occasion du congrès de l’AMF en novembre – si telle est la stratégie choisie par le gouvernement pour les mois à venir. 

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