Le Sénat relance le débat sur le non-cumul des mandats
Par Franck Lemarc
Disons-le d’emblée : cette proposition de loi, qui n’a l’aval ni du gouvernement ni de la majorité, n’a aucune chance d’être adoptée par l’Assemblée nationale. Ses auteurs le savent bien, du reste, puisque le sénateur qui porte ce texte, Hervé Marseille (Union centriste, Hauts-de-Seine), a lui-même reconnu en séance que l’objet de ce texte était davantage de « faire vivre le débat » que d’espérer changer la loi. Objectif atteint : le débat qui a eu lieu au Sénat autour de ce texte a permis de dresser une forme de bilan politique de la réforme de 2014.
Lois « hors-sol »
Pour Hervé Marseille, les choses sont claires : la loi de 2014, qui a interdit aux parlementaires d’exercer un mandat exécutif local – en premier lieu celui de maire – n’a pas « amélioré le fonctionnement de la démocratie ». « Le non-cumul n'a pas ramené les Français aux urnes et l'on entend désormais dénoncer des élus hors sol. » Le rôle du Parlement n’a pas non plus été « renforcé » depuis, estime le sénateur, et « les maires, qui ne sont plus parlementaires, ont du mal à faire entendre leurs voix ».
Françoise Gatel (Ille-et-Vilaine), elle aussi au nom du groupe UC, a, elle aussi, dressé un bilan plus que mitigé de la loi de 2014, estimant qu’aucun de ses objectifs n’a été rempli : « On prétendait que l'interdiction du double mandat renouvellerait la classe politique ; mais elle a renforcé le pouvoir des partis politiques, qui ont implanté localement des hommes et des femmes du sérail. (…) L'efficacité de la loi et de l'action publique s'en trouve-t-elle renforcée ? Non. Les lois restent trop souvent hors sol. »
Le texte proposé initialement par le groupe Union centriste était concis : composé de deux articles, il proposait, premièrement, de rétablir la possibilité de cumuler un mandat de parlementaire et un mandat exécutif local, sauf pour les maires des communes de plus de 10 000 habitants, les maires d’arrondissement, les maires délégués et les adjoints aux maires de communes de plus de 10 000 habitants. Un deuxième article – supprimé en commission – visait à interdire le cumul des indemnités : « Un parlementaire ne peut toutefois percevoir aucune indemnité pour l’exercice des fonctions de maire ou d’adjoint au maire. »
Après son passage en commission des lois, le texte a été modifié. Outre la suppression de l’article sur le non-cumul des indemnités, la commission a proposé de réduire l’interdiction de cumul des mandats aux seuls maires de communes de plus de 10 000 habitants et présidents d’EPCI de plus de 10 000 habitants.
Clivage gauche-droite
En séance publique, le débat a dessiné un très net clivage gauche-droite sur le sujet : la gauche opposée à toute remise en cause du non-cumul des mandats et la droite favorable au texte d’Hervé Marseille. Le gouvernement et les sénateurs LaREM ont eux aussi dit leur opposition à ces dispositions.
La ministre chargée de la Ville, Nadia Hai, a listé les raisons pour lesquelles « le gouvernement n’est pas favorable à cette proposition de loi », estimant que « le cumul n’est pas une solution aux besoins exprimés par nos concitoyens ». Rappelant que la loi n’interdit pas aux parlementaires d’être conseillers municipaux (145 parlementaires ont d’ailleurs un tel mandat), la ministre a estimé qu’il s’agissait d’une bonne solution pour « rester proche des enjeux locaux ». Sur un plan plus juridique, elle a noté que le seuil de 10 000 habitants évoqué dans le texte ne correspond à aucun seuil officiel existant dans le Code électoral.
Plusieurs sénateurs socialistes se sont exprimés pour dire leur désaccord avec le texte. Jean-Yves Roux (PS, Alpes-de-Haute-Provence), a estimé qu’un « retour en arrière, dans un contexte d'abstention importante, serait contre-productif ». Éric Kerrouche a rappelé que les maires des communes de 3 500 à 10 000 habitants « déclarent consacrer 45 heures hebdomadaires » à leur fonction ». « De quoi a besoin la République ? D'un Parlement qui exerce ses missions, de collectivités locales reconnues et respectées », a poursuivi Éric Kerrouche, qui estime que le non-cumul doit être maintenu et qu’il doit permettre de « valoriser les mandats ».
A contrario, les sénateurs LR ont défendu le texte : Rémy Pointerau (Cher) a estimé que l’impossibilité d’être député-maire ou sénateur-maire était « une erreur » destinée à « être agréable aux populistes ». Il a mis en avant les « incohérences » de la loi, qui autorise un maire de grande ville à être également « président de métropole et vice-président de région ». Un autre sénateur LR, Stéphane Le Rudulier (Bouches-du-Rhône), a d’ailleurs rappelé non sans ironie qu’on ne peut plus être sénateur-maire, mais que l’on peut être ministre-maire : « Trois ministres restent titulaires d'un mandat exécutif local, sans contrition ni signe d'épuisement. » Jean-Marc Boyer, pour le groupe LR toujours, a estimé que la loi sur le non-cumul avait coupé « le lien » entre les parlementaires et les citoyens : « Comment parlementer si nos concitoyens ne peuvent plus nous faire confiance car ils n'ont plus de lien avec nous ? La ruralité, en particulier, a le sentiment d'être abandonnée. Nos concitoyens reprendront le chemin des urnes quand ils auront le sentiment que les élus leur apportent des réponses. »
À l’issue du débat, le texte a été adopté, du fait de la majorité de droite du Sénat. Il est peu probable que l’Assemblée nationale se dépêche de le mettre à son ordre du jour… Mais le texte, comme le voulaient ses auteurs, a au moins permis de relancer le débat sur la question.
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