Le Sénat propose la création d'un fonds pour indemniser les dégâts liés aux émeutes
Par Franck Lemarc
Les parlementaires semblent bien décidés à s’emparer du sujet de l’assurabilité des biens communaux. Après la proposition de loi de Sébastien Pla dont Maire info faisait état lundi dernier, qui a pour objectif d’interdire les ruptures brutales de contrat d’assurances des collectivités en imposant un préavis d’un an, un nouveau texte a été déposé, a annoncé hier le député LR de la Meurthe-et-Moselle Jean-François Husson.
Ce texte, intitulé « proposition de loi visant à garantir une solution d’assurance à l’ensemble des collectivités territoriales », a été co-signé par quelque 190 sénateurs, issus des rangs de la plupart des partis représentés au Sénat.
Encore « aucune traduction concrète » des différents rapports
Ce texte s’appuie sur les recommandations du rapport de la mission sénatoriale rendu le 27 mars 2024, mission pilotée par le même Jean-François Husson. Ce rapport, élaboré notamment après une consultation des élus en ligne, avait mis en lumière les « difficultés grandissantes » que rencontrent les collectivités locales pour assurer leurs biens – 60 % des répondants à la consultation avaient indiqué avoir déjà « rencontré un problème important avec leur assureur ». Résiliations brutale, explosion du montant des primes ou des franchises – des milliers de communes rencontrent aujourd’hui ces problèmes et se retrouvent, parfois, sans assureur.
Le rapport sénatorial avait identifié plusieurs causes à ces difficultés : notamment une trop forte concentration du secteur de l’assurance des collectivités et un manque criant de concurrence ; et une augmentation des risques – qu’il s’agisse des risques climatiques ou des émeutes – qui poussent les assureurs à se retirer de certains territoires jugés trop exposés.
Ces constats ont été partagés par les conclusions de la mission Chrétien-Dagès, rendues en septembre dernier.
Pourtant, regrette Jean-François Husson, plus d’un an après la remise du rapport sénatorial, « force est de constater que les recommandations du Sénat » – au nombre de quinze – « n’ont fait l’objet d’aucune traduction concrète ».
Le sénateur et ses collègues ont donc présenté une proposition de loi permettant de mettre en œuvre les recommandations qui relèvent du législateur.
Le texte comporte trois chapitres : le premier « visant à conforter la concurrence », le deuxième « à rééquilibrer les relations entre assureurs et collectivités » et le dernier à créer un nouveau dispositif visant à couvrir le risque d’émeutes.
Observatoire
Le premier chapitre comprend deux articles, destinés à imposer un suivi spécifique du marché de l’assurance des collectivités par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Ils visent également à instaurer un « observatoire des tarifs assurantiels applicables au secteur public ».
Au deuxième chapitre, il est en particulier prévu d’encourager la médiation, en confiant notamment au médiateur de l’assurance « une compétence d’accompagnement des collectivités qui ne trouvent pas d’assureur ». Objectif : faire en sorte que « toute collectivité qui se trouve privée d'assureur ait un interlocuteur unique officiel vers qui se tourner ».
L’article 4 prévoit que les contrats souscrits par les collectivités et EPCI soient systématiquement assortis d’une franchise – comme c’est le cas des garanties CatNat –, et ce afin de « responsabiliser la collectivité contractante et d'améliorer sa gestion des petits risques ».
Un fonds pour les « émeutes et mouvements populaires »
C’est le chapitre 3 de ce texte qui apparaît le plus novateur, en proposant d’instaurer un dispositif de couverture du risque émeutes similaire à celui du régime CatNat.
Premièrement, les sénateurs proposent d’élargir l’actuel « dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques » (article L1613-6 du CGCT), qui deviendrait une « dotation d’équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements face aux risques majeurs ». En plus des risques climatiques et géologiques, cette dotation couvrirait la réparation des dégâts causés par « les émeutes et les mouvements populaires ».
Par ailleurs, le texte propose de créer un nouveau chapitre dans le Code des assurances, entièrement consacré aux dommage causés par des émeutes, définies comme « un mouvement séditieux accompagné de violences et dirigé contre l’autorité en vue d’obtenir la satisfaction de certaines revendications d’ordre politique ou social ». Les « mouvements populaires » dont définis comme « tout mouvement spontané ou concerté d’une foule désordonnée ».
La proposition de loi propose de rendre obligatoire la couverture des dommages résultant de ces émeutes et mouvements populaires dans les contrats d’assurance « dommages aux biens ».
Pour financer cette nouvelle garantie, c’est la solution de la mutualisation qui est retenue : il est prévu de créer une prime additionnelle, qui serait payée par tous les assurés (toutes personnes physiques et morales), comme c’est le cas pour le risque CatNat ou le risque terrorisme (régime Gaerat). Le montant de cette prime additionnelle serait fixé par arrêté.
Il serait interdit aux assureurs de refuser d’appliquer ces dispositions, avec possibilité pour la collectivité assurée de saisir le bureau central de tarification en cas de refus et, à terme, de retirer son agrément à l’assureur s’il persiste dans son refus.
Fonds de type « Barnier » pour les émeutes
La prime exceptionnelle prévue alimenterait un fonds similaire au Fonds Barnier pour les catastrophes naturelles, baptisé « fonds de gestion des risques d’émeutes et de mouvements populaires ». Ce fonds viendrait se substituer aux assurances lorsqu’il s’agit de réparer les dégâts d’émeutes « d’intensité exceptionnelle ».
Exactement comme il existe une procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, donnant lieu à la publication d’un arrêté ministériel, « l’émeute ou le mouvement populaire d’intensité exceptionnelle » serait constaté par arrêté. Cet arrêté déterminerait « les zones et les périodes où s’est situé cette émeute ou ce mouvement populaire ainsi que la nature des dommages résultant de ceux-ci qui peuvent faire l’objet d’une indemnisation par le fonds ». Comme, là encore, pour les catastrophes naturelles, il reviendrait aux communes de demander à l’État la reconnaissance de l’émeute ou du mouvement populaire d’intensité exceptionnelle.
Le texte prévoit que le fonds ne puisse indemniser les dégâts que dans la limite d’un milliard d’euros.
Il est à noter que plusieurs mesures inscrites dans cette proposition de loi figuraient également dans le rapport Chrétien-Dagès : c’est le cas de la création d’un observatoire de l’assurance dans le secteur public ou du fait de charger l’autorité de contrôle prudentielle d’une « mission de vigilance accrue » sur la concurrence dans ce secteur.
Le rapport préconisait aussi de lancer une « réflexion pour construire un dispositif de mutualisation du risque social exceptionnel », sur le modèle du Gareat ou du régime CatNat. La discussion sur la proposition de loi de Jean-François Husson permettra cette réflexion – et sera peut-être également l’occasion de débattre de savoir si, comme le demande notamment l’AMF, les fonds inutilisés du régime Gareat (terrorisme) ne pourraient pas utilement être reversés pour financer les dégâts des émeutes, plutôt que d’être conservés par les assureurs.
Reste à savoir quand aura lieu ce débat. La proposition de loi n’a, pour l’instant, toujours pas été mise à l’ordre du jour Sénat.
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