Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 10 juillet 2023
Transports

Le Sénat demande à l'État de donner d'urgence les moyens aux collectivités de développer les transports 

La mission d'information sur le financement des autorités organisatrices de la mobilité du Sénat a rendu ses conclusions, la semaine dernière. Elle appelle à trouver de toute urgence des solutions de financement nouvelles pour permettre aux autorités organisatrices de faire face au « mur » de 100 milliards d'euros d'investissements qui les attend. 

Par Franck Lemarc

C’est un rapport de plus de 200 pages, élaboré sous la direction des sénateurs Hervé Maurey (Eure) et Stéphane Sautarel (Cantal), qui dresse un bilan inquiétant de l’état financier des AOM (autorités organisatrices de la mobilité), qui n’ont aujourd’hui pas les moyens de développer massivement leur offre, comme l’exigent pourtant les impératifs de la transition écologique. D’où la nécessité, selon les sénateurs, de solutions innovantes en matière de financement et d’un retour de l’État dans ce secteur. 

100 milliards

« Les dépenses des AOM vont augmenter massivement », affirment les sénateurs. D’ici 2030, ils chiffrent à la somme colossale de 100 milliards d’euros les investissements nécessaires, entre développement des infrastructures – y compris dans les zones rurales  et verdissement des flottes. En prenant en compte, de surcroît, le fait que les charges de fonctionnement des réseaux augmentent fortement, et vont continuer d’augmenter, en raison de l’inflation et de la hausse du coût de l’énergie. 

Pour que le pays atteigne ses objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre, « l’offre de transports en commun du quotidien doit progresser de 20 à 25 % d’ici 2030 », selon les sénateurs. Ce qui signifierait une hausse de coûts de fonctionnement comprise entre 3,3 et 3,9 milliards par an, soit 15,6 à 18,1 milliards d’euros cumulés d’ici 2030, pour les transports urbains. Pour les transports interurbains et TER (AOM régionales), la hausse cumulée des dépenses de fonctionnement atteindrait quelque 11 milliards d’euros. 

Côté investissement, les sénateurs chiffrent à 30 milliards les besoins de financement pour les transports urbains (y inclus les futurs « RER métropolitains » ). 

Enfin, la seule Île-de-France devrait faire face à quelque 50 milliards d’euros de dépenses d’ici 2030 (30 milliards en investissement et 20 milliards en fonctionnement). 

Désengagement de l’État 

Pour les sénateurs, les AOM ne sont plus en mesures de faire face à ces dépenses. Le « triptyque »  sur lequel repose 80 % du financement des transports collectifs (versement transport + contribution des collectivités + recettes commerciales)  ne suffira pas, pour plusieurs raisons : d’abord parce que les contributions des collectivités (subventions d’équilibre), qui représentent aujourd’hui un tiers des ressources des AOM, « pèsent fortement sur les budgets locaux »  ; ensuite parce que les recettes commerciales connaissent une baisse tendancielle : la part des recettes commerciales dans le financement des réseaux de transport est passée de 70 % en 1975 à moins de 20 % aujourd’hui. Le Sénat estime, au passage, qu’il serait contre-productif de chercher une issue du côté d’une hausse massive du prix des transports, pour l’usager :  « Les tarifs modérés pratiqués en France sont un atout à ne pas remettre en question. » 

En revanche, les sénateurs regardent du côté de l’État, qui s’est « très largement désengagé du financement des transports collectifs urbains ». Obligé de venir en aide aux AOM au moment de la crise du covid-19, l’État l’a fait sous forme d’avances remboursables, qui ont « alourdi l’endettement des AO et contraint leurs capacités d’investissement » … au moment où elles ont le plus besoin de développer leur offre. 

AOM locales

Le Sénat pointe deux difficultés particulièrement cruciales. D’une part, les négociations actuelles au niveau européen visant à faire interdire dès 2030 l’achat de bus thermiques (lire Maire info du 22 juin). Ce projet, qui a poussé le président de l’AMF a écrire à la Première ministre pour lui faire part de son inquiétude, risquerait de conduire… à une diminution de l’offre, puisque les collectivités n’ont pas les moyens d’acheter uniquement des bus électriques ou à hydrogène et se verraient contraintes de réduire leur flotte. Conscient de ce problème, le Sénat dénonce le « manque de soutien »  du gouvernement français, qui « abandonne les AOM à leur sort sur le plan financier ». 

Deuxième problème majeur : les territoires ruraux. Si la Lom a créé des AOM dans les communautés de communes, le législateur, malgré les demandes du Sénat, n’a pas prévu de financements pour les accompagner. Résultat, « les zones rurales restent les grandes oubliées du développement des transport du quotidien ». 

Vaste réforme

D’où la nécessité, plaident les sénateurs, d’une vaste réforme du financement des AOM, qui devrait passer en premier lieu par un réengagement de l’État : les sénateurs notent d’abord que le Fonds vert, aujourd’hui, n’est pas fléché vers le secteur des transports. Au-delà, il serait souhaitable, selon les rapporteurs, que l’État allège (« d’au moins 50 % » ) le remboursement des avances consenties pendant la pandémie et consacre « 700 millions d’euros par an jusqu’en 2030 »  en faveur de la mobilité dans les zones peu denses. Les sénateurs demandent également « - la création d’un fonds pour la transition écologique des transports du quotidien abondé par le produit de la mise aux enchères des quotas carbone revenant à l’État, en fléchant au moins 1 milliard d’euros au financement du verdissement des flottes de bus des AOM ». 

Les rapporteurs proposent également une réforme du VM (versement mobilité), par exemple en permettant son déplafonnement dans les zones les plus tendues, ou encore en ouvrant la possibilité aux AOM locales « de lever du versement mobilité, y compris lorsqu’elles n’organisent pas de services réguliers de transport public »  – que la Lom interdit pour l’instant. 

De nouvelles ressources pourraient aussi être mobilisées : part de taxe sur les énergies (ex-TICPE), taxe sur les plus-values immobilières générées par les nouvelles offres de transport, taxe sur les livraisons liées au commerce en ligne, majoration sur la taxe de séjour de certains hébergements « haut de gamme » … 

Dans la région francilienne, soumise à des contraintes supplémentaires, les sénateurs proposent « une hausse territorialisée des taux plafonds du VM »  et « une diminution de 140 millions de la redevance due à la Société du Grand Paris ». 

La mise à l’étude de ces mesures est urgente, juge le Sénat, qui publie son rapport au moment où est en train d’être élaboré le projet de loi de finances pour 2024. Et les sénateurs concluent : « Ce n’est qu’en opérant cette profonde refondation du modèle de financement des AOM que nous pourrons collectivement franchir une étape à la fois décisive dans la transition écologique de nos modes de vie et très concrète dans le quotidien de chacun. » 

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