Le Sénat adopte l'extension du scrutin de liste paritaire aux communes de moins de 1000 habitants
Par Franck Lemarc

« Rien n’est joué », écrivait hier Maire info à propos du débat qui devait avoir lieu, l’après-midi, au Sénat, sur l’instauration du scrutin de liste paritaire dans les communes de moins de 1 000 habitants. En effet, le scrutin a été serré : le texte a finalement été adopté par 192 voix pour et 111 contre. Le groupe Les Républicains, majoritaire au Sénat, s’est particulièrement divisé sur ce texte : 66 sénateurs LR ont voté contre, mais 53 ont voté pour, ce qui a conduit à l’adoption de la proposition de loi.
La parité divise toujours
Les débats ont montré un clivage profond entre partisans et adversaires de ces dispositions. Si personne, naturellement, ne se prononce contre la parité, beaucoup de sénateurs ont estimé que celle-ci allait rendre plus difficile la constitution de listes aux élections municipales.
Du côté des partisans du texte (soit la gauche hors PCF, le RDPI et une partie des Républicains, ainsi que le gouvernement représenté par la ministre chargée de la Ruralité, Françoise Gatel), on a mis en avant le fait que seule l’obligation légale de parité a fait réellement avancer celle-ci au fil des évolutions législatives. Beaucoup ont fait remarquer qu’à chaque loi sur la parité – la première a été adoptée il y a 25 ans –, les mêmes arguments ont été avancés, selon lesquels il serait plus difficile de trouver des femmes que des hommes pour s’engager dans la vie publique… et qu’à chaque fois les faits ont démontré le contraire.
« Nous n'aurons pas plus de mal à trouver des femmes que des hommes pour former les listes », a affirmé Françoise Gatel, avec d’autres sénateurs qui ont souligné que dans les communes rurales, non seulement les femmes sont plus nombreuses que les hommes (comme dans le reste de la société, du reste), mais qu’elles jouent également un rôle prépondérant dans la vie associative. Le sénateur Michel Masset (RDSE, Lot-et-Garonne) a fait remarquer qu’alors que la parité progresse partout, il n’y a toujours que « 38 % de femmes » titulaires d’un mandat municipal dans les communes de moins de 1 000 habitants. « Chaque fois que nous avons franchi un palier, la réforme a eu ses détracteurs », a rappelé Ghislaine Senée (Yvelines, Écologistes). « Il est parfaitement possible de constituer une liste paritaire dans une commune de 300 habitants ! »
À l’inverse, les détracteurs du texte ont dénoncé des règles « absurdes, stratosphériques, détachées des réalités du terrain » (Cédric Chevalier, sénateur les Indépendants de la Marne). « Par ces temps mauvais de désengagement républicain, nul ne peut nier que la quête de candidats et candidates relève du chemin de croix. Dans ce contexte, est-il pertinent d'instaurer une contrainte supplémentaire, fût-elle vertueuse ? », a demandé Olivier Paccaud (Oise, LR). « L'engagement féminin ne doit pas reposer sur la contrainte administrative », a ajouté Jocelyne Guidez (Union centriste, Essonne).
Beaucoup de sénateurs ont rappelé que l’AMF, l’AMRF et Intercommunalités de France se sont prononcées sans ambiguïté en faveur de cette proposition de loi. Christian Bilhac (RDSE, Hérault), par exemple, a exprimé sa confiance dans le point de vue des associations d’élus : « Dans l’Hérault, certains maires sont pour, d’autres sont contre. L’AMF soutient cette proposition de loi, l’AMRF aussi. Je voterai donc ce texte. »
Des sénateurs ont affirmé que certaines associations départementales de maires étaient contre ces dispositions ; d’autres qu’ils avaient « sondé » les maires de leur département et qu’une large majorité était défavorable à cette proposition de loi. Ce à quoi les défenseurs du texte ont rappelé que beaucoup d’élus étaient défavorables, déjà, à la loi sur la parité de 2000, avant qu’elle passe tout simplement dans les mœurs.
On notera en passant l’intéressant cri du cœur de la sénatrice communiste Cécile Cukierman (Loire) qui, répondant aux sénateurs qui expliquaient que l’AMF est pour cette réforme, s’est écriée : « Évitons de nous renvoyer les positions des associations d'élus : ou alors, l'année prochaine, votons à l'unanimité l'indexation de la DGF sur l'inflation, que réclament ces associations ! »
La question du panachage
La question de la parité n’a pas été la seule à faire débat hier, au Sénat. Car au-delà de celle-ci, la proposition de loi instaurera le scrutin de liste, à la proportionnelle, dans les quelque 25 000 communes de moins de 1 000 habitants. Ce sera donc la fin du scrutin plurinominal avec possibilité de panachage – et possibilité pour les électeurs de rayer des noms. De nombreux sénateurs, et la ministre elle-même, ont rappelé que cette pratique est souvent surnommée « le tir aux pigeons ». Pour Françoise Gatel, les choses sont claires : « Il s'agit de favoriser la constitution d'équipes cohérentes. (….) Il faut sortir du panachage qui favorise les affrontements interpersonnels. L'élection municipale doit se faire autour du triptyque : une commune, une liste, un projet » – reprenant ici une expression tirée d'une prise de position de l'AMRF.
Pour Agnès Canayer (Seine-Maritime, LR), « ce texte renforcera la stabilité en évitant que les querelles de clocher ne se répercutent sur la vie démocratique ». Dans le même sens, Didier Rambaud (Isère, RDPI) est convaincu qu’avec cette réforme, « nous inciterons les citoyens à voter non pas contre un candidat qui n'aurait pas, en tant que maire, accordé une autorisation d'urbanisme, mais bien pour des projets ». Ce texte « protégera la cohésion des équipes des effets pervers du mode de scrutin actuel », a surenchéri Michel Masset. « Je pourrais vous raconter moult histoires liées à des querelles familiales ancestrales – sans parler du remembrement. Il faut une équipe, un projet et un leader, puis le choix des urnes », a conclu Bruno Belin.
À l’inverse, d’autres sénateurs sont farouchement contre le scrutin de liste dans les petites communes. « Pourquoi cette obsession d’uniformiser ?, a demandé Cécile Cukierman. Le panachage permet aux électeurs de construire leur liste, après quoi les élus n'ont d'autre choix que d'avancer ensemble. » Pour Cédric Vial (Savoie, LR), « l'introduction du scrutin proportionnel va politiser les petites communes, jusqu'ici préservées de la politique politicienne ». « Pourquoi le gouvernement s'attache-t-il à faire la guerre à la liberté ?, s’est emporté Étienne Blanc (Rhône, LR). La liberté de choisir celui qu'on veut élire, de porter un jugement sur tel ou tel comportement, telle ou telle politique. Vous me direz : c'est une histoire de chasse, de voisinage, de querelle familiale antédiluvienne... Mais c'est la réalité de la France. » Vincent Louault (Indre-et-Loire, Les Indépendants) s’est même dit « peu fier de participer à la remise en cause du dernier bloc de simplicité de notre pays ».
Plusieurs amendements ont été discutés et adoptés, notamment sur les communes nouvelles et l’élection des conseillers communautaires. Au-delà du contenu des débats, Maire info reviendra naturellement dans une prochaine édition sur le contenu précis de ce texte, qui va à présent revenir devant les députés, probablement en avril.
Peut-être la conclusion la plus optimiste de ces débats enflammés revient-elle au député PS de la Meurthe-et-Moselle, Olivier Jacquin, qui a lancé à ses collègues opposés à l’adoption de ce texte : « C'est comme lors d'une journée ensoleillée où nous devons plonger dans une piscine à l'eau un peu fraîche. On hésite, on y va timidement, mais après l'immersion on ne regrette rien, bien au contraire ! ».
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