Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique en passe d'être adopté
Par Lucile Bonnin
Le projet de loi avait été présenté il y a presque un an en Conseil des ministres par le ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, Jean-Noël Barrot. Ce texte visait à « établir un ordre public dans l'espace numérique » ainsi qu’« à sécuriser et réguler l’espace numérique, en interdisant en ligne ce qui n’est déjà pas autorisé dans la vie hors ligne. Les mesures très concrètes qu’il porte permettront de protéger les Français en leur garantissant la cybersécurité du quotidien » (lire Maire info du 11 mai 2023).
Les débats ont été longs et complexes notamment du fait que certaines subtilités juridiques (notamment l’alignement avec les règles européennes) ont dû être prises en compte, mais aussi parce que certaines mesures ont été qualifiées de « liberticides » au cours des discussions.
Un consensus a finalement été trouvé en commission mixte paritaire (CMP) il y a quelques jours, puis a été adopté au Sénat mardi dernier. Ce texte sera soumis au vote de l’Assemblée nationale demain.
Le texte issu de la CMP contient des mesures très diverses ayant pour principal but de construire un continuum de sécurité dans un espace numérique. Plusieurs d’entre elles concernent les élus et les collectivités. Comme l’a rappelé Patrick Chaize, sénateur de l’Ain et président de l’Avicca, lors des travaux de la CMP : « Même si texte ne semble pas concerner [nos élus locaux] de prime abord, je puis vous assurer qu'ils sont bel et bien mobilisés sur plusieurs sujets relevant du domaine qui nous occupe aujourd'hui. »
Cyberharcèlement
Parmi ces sujets, on retrouve évidemment le cyberharcèlement. En effet, les élus locaux sont de plus en plus victimes de violences, et en particulier les maires. Rappelons que la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux a introduit une nouvelle circonstance aggravante en cas de harcèlement moral, notamment en ligne, contre des élus (pour un cyberharcèlement, jusqu'à 3 ans de prison et 45 000 euros d'amende).
Dans le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, les sanctions contre les personnes condamnées pour haine en ligne et cyberharcèlement ont été durcies. Le texte issu de la CMP contient également une mesure controversée : l’article 5 bis introduit un « délit d’outrage en ligne », qui vise à punir, par une amende forfaitaire et un an d’emprisonnement, sans passer par un tribunal, quiconque diffuse en ligne un contenu à « caractère injurieux ». Cette mesure inquiète, notamment du côté des journalistes, qui craignent l’instauration d’un frein à la liberté d’expression en ligne.
Le texte rassemble d’autres nombreuses mesures comme le renforcement de la lutte contre l’accès des mineurs aux sites pornographiques, la suspension d’un compte pour infraction, ou encore le déploiement du « filtre anti-arnaques » dont l’objectif est de lutter contre les actes de cybermalveillance.
Souveraineté et protection des données
Comme les données représentent un bien précieux pour les collectivités, il est important de savoir que le projet de loi prévoit un droit d’accéder aux données créées par sa propre activité et de les transporter vers une plateforme concurrente. Le texte vise à garantir la capacité des utilisateurs de choisir librement les fournisseurs de service cloud répondant au mieux à leurs besoins.
Le projet de loi supprime les contraintes liées au transfert de données (y compris les frais de transferts) et prévoit un plafonnement à un an des crédits cloud (avoirs commerciaux) ainsi qu’une obligation pour les services cloud d'être interopérables.
Dans un communiqué diffusé vendredi, l’Avicca se réjouit de « la progression atteinte dans le domaine de la régulation du marché de l’informatique en nuage » considérant que « cette disposition, essentielle pour lever certaines barrières à l'entrée » qui « permettra aux entreprises de changer plus facilement de fournisseurs ». L’Avicca salue également le fait que « l’État et ses opérateurs devront recourir à des entreprises européennes pour l'hébergement des "données stratégiques et sensibles" (exigences SecNumCloud). »
L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) sera chargée de cette réglementation.
Expérimentation Jonum
Le développement des jeux à objets numériques monétisables (Jonum) a fait l’objet de nombreux débats durant le parcours législatif du texte. Comme l’a rappelé Patrick Chaize en CMP, l'article 15 a été modifié en commission spéciale, sur l'initiative du rapporteur de l'Assemblée nationale, par un amendement qui autorise par principe l'octroi de récompenses de jeux sous forme de cryptomonnaies.
Or le projet de loi vise à encadrer ces nouveaux jeux d’argent et de hasard en raison des nombreux risques qu'ils représentent (addiction, blanchiment d'argent...). La rédaction adoptée par le Sénat selon laquelle, par principe, les entreprises de Jonum ne peuvent pas distribuer de gains monétaires a donc été conservée dans le texte final.
Ces jeux numériques fondés sur les technologies émergentes du Web 3 vont faire l’objet d’une expérimentation pour trois ans. L’article 15 prévoit que « la liste des catégories de jeux autorisées à titre expérimental dans les conditions prévues au présent article est fixée par un décret en Conseil d’État pris après avis de l’Autorité nationale des jeux, dont les observations tiennent compte notamment des risques de développement d’offres illégales de jeux en ligne, et après consultation des associations représentatives des élus locaux et des filières du jeu d’argent et de hasard et du jeu vidéo. »
« Les associations représentatives d'élus locaux, en particulier l'Association nationale des élus des territoires touristiques, l'Association nationale des élus des littoraux, l'Association nationale des maires de communes thermales et l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité » ne sont pas favorables à cette expérimentation de trois ans. Le gouvernement devra remettre au Parlement un bilan d'étape au bout de dix-huit mois d’expérimentation.
Réguler les meublés de tourisme
Comme l’a indiqué en CMP Mireille Clapot, députée de la Drôme, « l'article 17, seul article qui concerne les collectivités, crée une interface numérique sur un sujet très sensible, à savoir les données relatives à la location des meublés de tourisme. Les données des plateformes seront accessibles aux communes de façon centralisée, ce dispositif remplaçant un système lourd et archaïque qui pénalise les services administratifs. Les communes seront ainsi mieux aidées pour remplir leurs obligations et exercer leurs facultés de régulation, en particulier le contrôle du fameux plafond annuel de 120 jours de location qui s'applique aux résidences principales ».
Le dispositif évoqué par la députée est en réalité l’expérimentation « API meublés » qui associait cinq communes et cinq plateformes de location jusqu’en 2022. Cette expérimentation consistait à tester en conditions réelles l’utilisation de la plateforme en ligne API Meublés visant à faciliter la transmission des données. Elle va être donc améliorée et généralisée.
La commune sera ainsi « informée par l’organisme public unique lorsqu’un meublé déclaré comme résidence principale du loueur a été loué plus de cent vingt jours au cours d’une même année civile ».
Le texte va être définitivement voté demain à l’Assemblée nationale. Reste à savoir si une saisine du Conseil constitutionnel interviendra, ce qui retarderait la promulgation du texte.
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