Le gouvernement organise le retour des assiettes et couverts en plastique dans les cantines et provoque un tollé
Par Franck Lemarc
C’est dans une relative discrétion et sans publicité que le gouvernement a lancé, le 20 février, une consultation publique sur un projet de décret – consultation qui doit prendre fin vendredi 14 mars. Repérée par nos confrères du Monde, l’information circule depuis hier, et le nombre de contributions sur le site de la consultation publique a explosé. En jeu : le retour des couverts en plastique dans les services de restauration collective des établissements scolaires et des établissements d’accueil du jeune enfant. Une proposition qui, pour beaucoup, est totalement à rebours du sens de l’histoire.
L’état du droit
Petit retour en arrière. En 2018, le Parlement adopte la loi Egalim (loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), dont l’article 28 dispose qu’à partir du 1er janvier 2025, « il est mis fin à l'utilisation de contenants alimentaires de cuisson, de réchauffe et de service en matière plastique » dans les services de restauration scolaire, universitaire et dans les établissements d’accueil des enfants de moins de 6 ans. Un délai supplémentaire était accordé aux services gérés par les communes de moins de 2 000 habitants, où cette interdiction entrera en vigueur le 1er janvier 2028. Rappelons que par ailleurs, la loi Agec de 2020 applique la même interdiction, à compter du 1er janvier 2025, dans les services de pédiatrie, d’obstétrique et de maternité, ainsi que les services de protection maternelle et infantile.
Si ces décisions sont de portée législative, la définition de ces ustensiles interdits est, elle, d’ordre réglementaire : elle est définie par l’article D541-338 du Code de l’environnement : « Objets destinés à contenir des denrées alimentaires et entrant en contact avec ces mêmes denrées, qui sont utilisés pour la cuisson, la préparation, la remise en température, la présentation, le service ou la consommation des plats, y compris la vaisselle et les couverts. »
Cette définition, puisqu’elle est d’ordre réglementaire, peut donc être modifiée par un simple décret. C’est ce que tente de faire le gouvernement, qui a rédigé un projet de décret modifiant la définition des ustensiles interdits. Le projet de décret supprime la fin de la phrase, c’est-à-dire notamment les mots « y compris la vaisselle et les couverts ». Si ce texte est publié, l’usage des ouverts, assiettes et gobelets en plastique sera donc à nouveau autorisé dans les cantines gérées par les communes de plus de 2 000 habitants, et les communes de moins de 2 000 habitants n’auront pas à les retirer à compter du 1er janvier 2028.
Une loi mal écrite ?
Pourquoi ce revirement ? Depuis le début de la loi Egalim, il y a un débat sur ce sujet du plastique dans la restauration collective, porté par le lobby de l’industrie du plastique, évidemment très hostile à ces dispositions. Il y a bien un hiatus dans les textes : la loi parle de « contenants », et la réglementation en vigueur y inclut « les couverts », qui ne sont pas, stricto sensu, des contenants. En revanche – même si le lobby du plastique prétend le contraire – les assiettes et les gobelets sont bien des contenants, et il est donc logique qu’ils rentrent dans le champ de l’interdiction.
On peut certes regretter que la loi n’ait pas été écrite différemment, et que son manque de précision ait ouvert la voie à d’interminables arguties juridiques de Plastalliance, le syndicat des professionnels de la plasturgie. Mais est-ce une raison pour revenir en arrière, comme semble vouloir le faire le gouvernement ?
En réalité, il semble – selon le quotidien Le Monde – que le gouvernement anticipe le fait que Plastalliance va attaquer le texte dans son ensemble. Un membre du cabinet de la ministre Agnès Pannier-Runacher indique au quotidien : « Nous avons préféré retirer [les assiettes et les couverts] plutôt que de courir le risque d’une invalidation de l’interdiction de tous les contenants alimentaires. »
Mais le gouvernement aurait pu faire d’autres choix, comme celui de porter ou soutenir un texte au Parlement pour sécuriser juridiquement l’article 28 de la loi Egalim. Il ne l’a pas fait, préférant manifestement céder au lobby du plastique.
« Incompréhension » et « sentiment d’abandon » chez les maires
Ce choix désespère les associations de défense de l’environnement, les scientifiques, les experts en santé publique – qui s’expriment par milliers sur le site de la consultation publique. L’écrasante majorité des quelque 3485 avis exprimés ce matin sur le site émane de contributeurs hostiles au projet de décret – voire révoltés. Ce sera, d’ailleurs, une bonne occasion de voir si les consultations publiques servent à quelque chose : si le gouvernement choisit de tenir compte des avis exprimés, il n’aura pas d’autre choix que de remballer son projet de décret.
Cette situation désespère tout autant les maires, dont beaucoup ont fait d’énormes efforts pour se conformer à la loi – sans y être réellement contraints, puisque la loi Egalim ne prévoit pas de sanction.
En 2024, un an avant la prise d’effet de la loi dans les communes de plus de 2 000 habitants, une enquête menée par l’AMF montrait que 62 % des communes n’utilisaient déjà plus « de contenants alimentaires de cuisson, de réchauffe ou de service en plastique » dans leurs cantines. Et sur les 38 % restants, un tiers annonçait être en train de procéder au retrait de ces ustensiles. Depuis, ce chiffre a encore augmenté.
D’où la stupéfaction de Gilles Pérole, adjoint au maire de Mouans-Sartoux et co-président du groupe de travail Restauration scolaire à l’AMF, contacté ce matin par Maire info. « C’est incompréhensible et assez ubuesque. On travaille depuis des années pour retirer le plastique des cantines, dans un contexte difficile, et voilà que le gouvernement fait marche arrière. C’est une prime à ceux qui ne font rien. »
Gilles Pérole rappelle que le retrait du plastique des cantines, là où il a eu lieu, ne s’est pas fait sans mal, parce qu’il pose des enjeux financiers, logistiques et même sociaux. On se rappelle qu’en 2017, toutes les cantines de Bordeaux avaient été en grève lorsque le maire, Alain Juppé, avait fait remplacer les assiettes en plastique par des assiettes en céramique, bien plus lourdes et plus pénibles à manipuler pour les personnels. « Il a fallu expliquer, convaincre, travailler sur les postures et les conditions de travail, mais aussi créer de nouveaux espaces pour le lavage des assiettes ou des contenants en inox », rappelle Gilles Pérole. Tout cela pour voir le gouvernement reculer en rase campagne « face à un lobby du plastique qui pinaille sur les mots… c’est terrible ».
Gilles Pérole est toutefois relativement confiant sur le fait que les maires qui ont franchi le pas ne « reviendront pas en arrière », parce qu’ils l’ont fait davantage « par conviction » que par crainte de sanctions, qui n’existent pas. « Mais quel mauvais signal ! Sans compter l’enjeu des communes de moins de 2 000 habitants, qui ne seront pas incitées à renoncer au plastique si ce décret entre en vigueur. »
L’adjoint au maire s’interroge sur les motivations du gouvernement, qui semble décidément peu enclin à « écouter les scientifiques » sur ces sujets d’écologie et de santé publique. « Il y a eu l’attaque contre l’Agence bio, il y a la ministre qui ne veut pas signer le texte sur le Nutriscore, et maintenant ce décret », se désole Gilles Pérole. « Sur le terrain, il n’y a pas de clivage politique sur ces sujets : je connais autant de maires de droite que de gauche qui font un travail formidable sur l’alimentation. Mais au gouvernement, ça a l’air plus compliqué. » L’élu pointe « un manque de soutien sur des sujets qui ne sont pas simples », et « un sentiment d’abandon » chez les élus.
Il reste à savoir si l’incompréhension quasi générale suscitée par ce projet de décret va pousser le gouvernement à reculer. On le saura très vite, puisque la consultation publique se termine en fin de semaine.
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