Maire-info
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Édition du jeudi 1er février 2024
Outre-mer

Le gouvernement lance les débats sur le « dégel » de la liste électorale spéciale en Nouvelle-Calédonie

Le gouvernement a présenté lundi, en Conseil des ministres, un projet de loi constitutionnelle pour s'attaquer à la très épineuse question de la constitution du corps électoral pour les élections du congrès et des assemblées de province en Nouvelle-Calédonie. Explications et enjeux. 

Par Franck Lemarc

Ce sont deux projets de loi excessivement importants pour la Nouvelle-Calédonie qui ont été présentés en Conseil des ministres le 29 janvier, et aussitôt déposés au Sénat où ils seront débattus dès la fin février. Le premier est un projet de loi de révision constitutionnelle, qui permettrait de modifier la liste électorale spéciale ; le second est un projet de loi organique, visant à repousser de sept mois les élections des assemblées provinciales. 

Liste générale et liste spéciale

Le mandat des élus aux assemblées provinciales de Nouvelle-Calédonie, d’une durée de cinq ans, prendra fin le 12 mai prochain – les précédentes élections ayant eu lieu le 12 mai 2019. Le gouvernement souhaite modifier la composition du corps électoral pour ces élections et, en conséquence, retarder ces dernières pour laisser le temps à cette réforme d’aboutir. 

Pour comprendre ce sujet, il faut se rappeler que la Nouvelle-Calédonie, comme l’ont acté les Accords de Nouméa de 1998, compte non pas une mais deux listes électorales. La première est la liste électorale « générale », qui ouvre le droit à voter aux élections nationales (présidentielle, législatives, etc.). Mais il existe une deuxième liste, plus restreinte, appelée « liste spéciale », qui permet également de voter pour les élections spécifiques à la collectivité de Nouvelle-Calédonie : l’élection du congrès et celle des assemblées de province. Les Accords de Nouméa ont en effet conclu à l’existence d’une « citoyenneté propre à la Nouvelle-Calédonie, en complément de la citoyenneté française », rappelle le gouvernement. Ainsi, des personnes inscrites sur la liste générale mais pas sur la liste spéciale n’ont pas le droit de voter aux élections du congrès et des assemblées. 

La loi du 19 mars 1999 a fixé les conditions pour être inscrit sur la liste électorale spéciale : il faut notamment être établi en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans à la date des élections provinciales, ou bien pour les personnes ayant atteint la majorité après le 31 octobre 1998, « soit justifier de dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998, soit avoir eu un de leurs parents remplissant les conditions pour être électeur au scrutin du 8 novembre 1998, soit avoir un de leurs parents inscrit au tableau annexe et justifier d'une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection ». 

Or ce corps électoral a été « gelé »  en 2007. Autrement dit, tout citoyen français qui s’est installé en Nouvelle-Calédonie après 1998 se voit privé de la possibilité d’être inscrit sur la liste électorale spéciale et, par conséquent, de voter aux élections du congrès et des assemblées de province. 

« Corriger les distorsions » 

Avec le temps, le nombre de citoyens concernés a logiquement augmenté : il était, selon les chiffres du gouvernement, de 8 338 électeurs en 1999, et est aujourd’hui de 42 596. Autrement dit, 20 % des électeurs votant en Nouvelle-Calédonie aux élections générales ne peuvent pas voter aux élections provinciales. 

Pour le gouvernement, cette situation devient intenable : « Il est devenu aujourd'hui difficile de justifier que des électeurs installés de façon permanente en Nouvelle-Calédonie après l'approbation de l'accord en novembre 1998 – donc depuis 25 ans pour certains – ne puissent toujours pas participer à l'élection des membres du congrès, alors même que cette assemblée adopte les lois du pays et les réglementations locales qui régissent leur quotidien, dans le champ de compétence très étendu de la Nouvelle-Calédonie ou des provinces, et déterminent les choix politiques fondamentaux du territoire. » 

Sans remettre en question le principe fondamental selon lequel le corps électoral permettant d’élire les assemblées locales est restreint, le gouvernement propose donc de « corriger les distorsions qui résultent de l'écoulement du temps et des évolutions démographiques depuis plus de deux décennies ». 

Le projet de loi constitutionnelle vise donc à « dégeler »  la liste électorale spéciale, en l’ouvrant aux électeurs inscrits sur la liste générale dès lors qu’ils sont nés en Nouvelle-Calédonie ou y résident depuis plus de 10 ans. Cette modification, selon le gouvernement, permettrait à environ 25 000 électeurs supplémentaires d’être inscrits sur la liste électorale spéciale. 

Si le Parlement adopte ce texte – ce qui suppose, puisqu’il s’agit d’une modification de la Constitution, une réunion du Congrès, c’est-à-dire une réunion commune de l’Assemblée nationale et du Sénat avec adoption à la majorité des trois cinquièmes –, il entrera en vigueur le 1er juillet prochain. Mais le gouvernement prévoit la possibilité d’une autre solution, car en même temps, des négociations sont en cours entre les signataires des Accords de Nouméa sur le même sujet. Si ces négociations devaient aboutir avant le 1er juillet, ce serait alors cet accord qui prévaudrait, même si le projet de loi constitutionnel a été adopté entretemps. Dans ce cas, ce texte deviendra « caduc ». 

Report des élections

Au regard de tous ces éléments – négociations en cours et corps électoral devenu trop éloigné des réalités calédoniennes – il paraît impossible au gouvernement d’organiser les élections du congrès et des assemblées de province en mai prochain. D’où la décision de celui-ci de présenter en même temps un projet de loi organique reportant ces élections « au plus tard le 15 décembre 2024 », et prolongeant d’autant le mandat des élus. 

Autre option possible, prévue par le projet de loi constitutionnelle : en cas d’accord politique, qui prendrait alors le pas sur cette loi, les élections pourraient, par décret en Conseil d'État, être repoussées jusqu’au 30 novembre 2025 au plus tard. 

Le site du Sénat indique que le projet de loi concernant le report des élections sera débattu en séance publique le 27 février prochain, mais n’indique pas encore de date pour le projet de loi constitutionnelle. 

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