Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 15 janvier 2024
Santé publique

Le gouvernement a-t-il débloqué « 32 milliards supplémentaires » pour la santé comme l'a déclaré le Premier ministre ?

En visite au CHU de Dijon, samedi, Gabriel Attal a déclaré que « 32 milliards d'euros supplémentaires vont être investis dans notre système de santé », ce qui a a pu être interprété comme une annonce nouvelle. Ce n'est pas le cas. 

Par Franck Lemarc

Le nouveau Premier ministre multiplie les déplacements sur le terrain depuis sa nomination : à chaque jour, une nouvelle visite, aux sinistrés dans le Pas-de-Calais, aux policiers dans le Val-d’Oise, à la rencontre des habitants sur un marché de Caen… Samedi, il s’est rendu au CHU de Dijon, en compagnie de la nouvelle ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin. Interpellé par des soignants particulièrement désespérés (« l’hôpital est en train de mourir, je ne sais pas si vous en avez conscience », lui a lancé l’une d’entre elle), le Premier ministre a répondu que « parmi tous les problèmes à résoudre, l’hôpital est en haut de la pile », déclarant ensuite : « Nous allons continuer à investir massivement pour l’hôpital et plus largement pour notre système de santé. Dans les cinq ans qui viennent, c’est 32 milliards supplémentaires qui seront investis dans notre système de santé. (…) Le prochain budget que mon gouvernement aura à présenter sera un budget historique pour l’hôpital public ». 

Somme « colossale » 

Sur le moment, cette déclaration a suscité un certain enthousiasme chez les acteurs de la santé, qui ont cru y voir une annonce nouvelle. Plusieurs médias ont d’ailleurs relayé l’annonce en titrant sur « une promesse de 32 milliards supplémentaires », ce qui aurait en effet constitué une excellente nouvelle pour le système de santé. Des députés de la majorité ont d’ailleurs alimenté l’ambiguïté, comme le député Renaissance de la Côte-d’Or, Didier Martin, qui s’est empressé de twitter : « Merci Gabriel Attal d’avoir choisi Dijon pour annoncer un plan de 32 milliards d’euros supplémentaires ». « Annoncer », les mots sont choisis, et même certaines organisations professionnelles se sont laissées prendre. 

Ainsi, le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs a réagi en saluant une annonce qui va « dans le bon sens », tout en s’interrogeant sur la « ventilation »  de ces milliards. Le vice-président du Samu Urgence de France a déclaré sur France info que cette somme « semble colossale, c’est une bonne nouvelle ». 

Quant à Patrice Pelloux, de l’Association des médecins urgentistes de France, il n’a pas remis en question le caractère nouveau de la somme, mais n’y a pas cru, parlant de « coup de com’ »  et se demandant « où le gouvernement irait chercher »  ces 32 milliards. 

Ni promesse ni annonce

Quelques heures plus tard, le soufflé est en peu retombé, dès que certains commentateurs, dont la Fédération hospitalière de France, ont établi qu’il ne s’agit ni d’une « promesse », ni d’une « annonce », mais d’un budget déjà voté en loi de programmation des finances publiques et loin d’être uniquement dédié à l’hôpital. Arnaud Robinet, maire de Reims et patron de la FHF, a rappelé dès samedi qu’il s’agit de « la hausse naturelle déjà votée (…) pour suivre le GVT [glissement vieillesse technicité], l’évolution des techniques, l’inflation. »  La FHF reste donc « en attente d’arbitrages majeurs, sans lesquels le budget 2024 est d’ores et déjà insuffisant ». 

Philippe Juvin, député LR des Hauts-de-Seine et chef des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou à Paris, est allé dimanche dans le même sens : c’est un « effet d’annonce ». « Il faut arrêter de nous raconter des histoires : ce ne sont pas 32 milliards en plus, ce sont 32 milliards qui sont déjà inscrits dans la perspective de dépenses publiques. Quand on annonce une dépense nouvelle qui n’existe pas, on trahit la confiance. »   

L’entourage du Premier ministre a d’ailleurs lui-même fortement nuancé l’effet « annonce », en indiquant à France info, dès hier, que les déclarations de Gabriel Attal correspondent à « la hausse du budget de la branche maladie qui a été adoptée dans la dernière loi de financement de la Sécurité sociale » … rectification qui complique encore un peu plus les choses puisque ce n’est pas de cela qu’il s’agit ! Comme son nom l’indique, la loi de financement pour la Sécurité sociale (LFSS) pour 2024 ne prévoit le budget que pour… 2024. En réalité, c’est bien la loi de programmation des finances publiques (LPFP) qui fixe une trajectoire non pas pour la seule année 2024 mais pour les cinq ans à venir. On y trouve bien, à l’article 18, la trajectoire d’évolution de l’objectif des dépenses d’assurance maladie (Ondam), qui prévoit entre 2023 et 2027 une augmentation de ces dépenses de 30 milliards d’euros (et non 32), passant de 247,6 à 278 milliards d’euros. Étant entendu qu'il ne s'agit pas que des dépenses liées à l'hôpital mais à l'ensemble des dépenses d'assurance maladie, la médecine de ville constituant le premier poste de dépenses devant l'hôpital. 

« Coup de rabot » 

La FHF ne s’est pas privée de rappeler, ces dernières heures, que loin des « annonces »  plus ou moins précises, la réalité immédiate de l’hôpital est d’arriver à faire face aux dépenses qui ont explosé avec l’inflation, alors que le budget de la Sécurité sociale promulgué en décembre ne prévoit pas de compensation pour l’inflation, ce que la FHF assimile à un « coup de rabot »  et « un plan d’économies majeures ». La fédération a rappelé, en décembre, que le déficit des hôpitaux publics a doublé entre 2019 et 2022 tandis que celui des ehpad a été multiplié par 20. Les différentes fédérations du secteur, ainsi que l'AMF, n’ont eu de cesse, pendant le débat sur le budget de la Sécurité sociale, de demander une « rallonge »  d’au moins un milliard d’euros pour l’hôpital et 200 millions d’euros pour les ehpad. En vain. 

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