Le fossé se creuse entre usagers et services publics, selon la Défenseure des droits
Par Lucile Bonnin
Selon le rapport annuel du Défenseur des droits publié hier, 137 894 réclamations, informations et orientations ont été portées auprès de l’autorité, soit une hausse de 10 % par rapport à 2022. Parmi les réclamations, 92 400 concernent les relations avec les services publics en 2023, un chiffre inédit et en augmentation de 12 %.
Les services publics apparaissent en effet comme une thématique prédominante dans les réclamations reçues en 2023 avec un taux de 8 %. Le premier motif de saisine de l’institution reste celui des atteintes aux droits des étrangers qui atteignent désormais 28 %. Les réclamations en matière de discrimination sont aussi particulièrement nombreuses en 2023 dans le domaine de l’emploi privé par exemple (2 %), la fonction publique (3 %) ou encore le logement (2 %).
Cette nette hausse des saisines inquiète la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui constate que 2023 « fut une année de particulière fragilisation des droits, et de banalisation des atteintes aux droits » . Elle précise que cette fragilisation « n’est pas nouvelle et s’inscrit dans une tendance de fond ».
Services publics : forte hausse des réclamations
Pension de vieillesse (25 %), prestations familiales (16 %), assurance maladie (15 %), aide sociale (12 %) : de nombreuses demandes liées aux services publics concernent la protection et la sécurité sociales. D’autres portent sur les droits des étrangers : titre de séjour (74 %), regroupement familial (5 %), naturalisation (4 %)… La justice également a fait l’objet de réclamations liées aux services publics concernant pour plus de la moitié le droit des détenus (56 %) ou encore l’état civil (12 %).
La hausse des réclamations portées à propos des services publics s’explique selon le rapport « en grande partie du fait de la difficulté d’accès à ces services dans les territoires ». Le Défenseur des droits constate – et ce n’est pas une nouveauté – que « les services publics se sont éloignés des usagers du fait d’une dématérialisation excessive, de fermetures de guichets et font peser sur les usagers la charge administrative » .
Le rapport met notamment en cause le manque de moyens alloué à cette problématique mettant en cause la relation des usagers avec les services publics. Pour la Défenseure des droits, « la création du dispositif des espaces France services permet de combler cette distance dans le lien population/services publics » . Cependant, « l’accueil offert aux usagers dans ces structures ne saurait être la réponse unique aux difficultés que chacun peut rencontrer avec les organismes chargés de mission de service public ».
Le rapport souligne également qu’en 2023, une évaluation de l'accueil téléphonique de quatre organismes, à savoir la Cpam, la CAF, Pôle emploi et la Carsat, a été menée. Résultats : 40 % des appels n'ont pas abouti et le taux de réponses satisfaisantes à une demande d'informations ne dépasse jamais 60 %. Pour la Défenseure des droits, c’est encore une occasion de rappeler que « la dématérialisation des procédures administratives doit être une offre complémentaire, non substitutive, au guichet, au courrier papier et au téléphone, afin de garantir un accès équitable aux services publics » et prendre davantage en compte certains publics vulnérables.
Alerte sur les territoires d’outre-mer
Le rapport annuel 2023 du Défenseur des droits dédie une place importante à la situation des territoires ultramarins. « Plusieurs déplacements et travaux de l’institution sur la question du respect des droits et libertés et de la garantie de l’accès aux droits notamment aux Antilles, Mayotte et à La Réunion ont marqué l’année 2023 » , indiquent les auteurs. Plusieurs problématiques ont été dénoncées en 2023 par l’institution comme les « nombreuses défaillances de la part des services publics qui entraînent des conséquences significatives dans les conditions de vie et le quotidien des habitants » aux Antilles.
Concernant la préoccupante situation de Mayotte, la Défenseure des droits rappelle « que la nécessité de garantir l’ordre public et la sécurité ne pouvait autoriser des atteintes aux droits et libertés fondamentales » dénonçant ainsi l’expulsion et la destruction de plusieurs domiciles qui constitue « l’une des atteintes les plus graves » . Pour rappel, le gouvernement a lancé en avril 2023 l’opération Wuambushu qui vise à réduire l’habitat insalubre, lutter contre la délinquance et expulser les migrants en situation irrégulière, pour la plupart venus de l’archipel des Comores voisines (lire Maire info du 24 avril et Maire info du 23 mai).
L’institution a aussi alerté le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies « sur les atteintes récurrentes aux droits des enfants à Mayotte, notamment le droit à l’éducation » . Plus globalement, « dans l’hexagone le droit à l’éducation a été remis en cause pour 27 000 élèves à la rentrée 2023 du fait d’une absence ou d’un retard significatif d’affectation au lycée. À ce chiffre, il faut ajouter les milliers d’enfant d’Outre-mer qui n’ont pas accès à l’école », dont la plupart sont à Mayotte.
Les difficultés liées à l’éloignement des services publics sont aussi croissantes en outre-mer. « Mayotte souffre en outre d’un inégal accès aux services publics en matière de santé, de prestations sociales et de logement extrêmement critique ». Le rapport dénonce « des atteintes aux droits ont été amplifiées par une nouvelle crise de l’eau » à Mayotte mais aussi « les lacunes dans l'offre de transport en commun » aux Antilles par exemple. Ainsi le Défenseur des droits alerte les pouvoirs publics sur les nombreuses défaillances constatées dans le fonctionnement des services publics : l’accès à l’eau, aux transports, à l’école, ou encore, aux soins… Les citoyens réunionnais ont aussi largement saisi le Défenseur des droits « sur des difficultés liées à l’éloignement des services publics, à la numérisation des démarches administratives et à l’existence de discriminations, notamment en raison du handicap, de l’état de santé ou de l’origine ».
Le rapport fait également état d’un recul des droits fondamentaux des personnes étrangères, d’atteintes aux droits de l’enfant qui se multiplient, des discriminations toujours très présentes et des contrôles d’identité insuffisamment encadrés. Au regard de ces constatations, l’institution développe plus que jamais « une stratégie de "l’aller-vers" afin de pallier les difficultés que rencontrent de nombreuses personnes dans leurs démarches ».
Consulter le rapport annuel 2023.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Les aires d'accueil de grands passages de gens du voyage devront rester ouvertes jusqu'au 31 octobre
Augmenter et moduler le prix de l'eau pour financer le coût exponentiel de sa gestion
France : les catastrophes climatiques ont coûté 6,5 milliards d'euros en 2023