Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du jeudi 20 mars 2025
Laïcité

Tangage au gouvernement sur l'interdiction des signes religieux dans le sport : le Premier ministre tranche

De vives tensions se sont exprimées au sein du gouvernement à propos de la proposition de loi interdisant le port de signes religieux dans le sport. Le Premier ministre a fini par trancher, mais cette crise est révélatrice d'un problème d'équilibre dans le gouvernement, sans doute plus profond.

Par Franck Lemarc

Le Premier ministre a dû convoquer, avant-hier, quatre ministres de son gouvernement – dont les trois premiers dans l’ordre hiérarchique – pour leur intimer de cesser de se critiquer publiquement entre eux. Cette réunion de recadrage, particulièrement tendue selon les témoignages de ceux qui y ont participé, fait suite aux dissensions qui se sont exprimées ces derniers jours à propos de la proposition de loi Savin « visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport » 

La proposition de loi Savin

Pour rappel, ce texte a été largement adopté au Sénat le 18 février dernier (lire Maire info du 20 février). Cette proposition de loi LR s’attaque au fait qu’aujourd’hui, chaque fédération sportive définit librement les règles en termes de neutralité religieuse. Ainsi, par exemple, les fédérations de football ou de basket-ball interdisent le port du voile par les joueuses, alors que celles de handball ou de rugby ne le proscrivent pas. Pour Michel Savin, auteur de la proposition de loi, fixer les règles à l’échelle nationale permettrait de protéger « les dirigeants sportifs, responsables associatifs et élus locaux »  qui font les frais aujourd’hui du « flou juridique ». 

Après les débats au Sénat, ce texte est composé de cinq articles. Le premier interdit le port de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse », lors « des compétitions départementales, régionales et nationales organisées par les fédérations sportives délégataires, leurs organes déconcentrés, leurs ligues professionnelles et leurs associations affiliées ». L’article 2 interdit explicitement l’utilisation d’un équipement sportif appartenant à une collectivité territoriale « pour l’exercice d’un culte », lorsqu’il est utilisé pour la pratique sportive. Cette disposition vise à empêcher, par exemple, l’exercice de la prière avant ou pendant un match. Elle n’exclut pas, en revanche, qu’une collectivité mette à disposition un équipement sportif « à la disposition d’une association qui souhaite l’utiliser à des fins cultuelles », dès lors que cela ne se fait pas dans un cadre sportif. 

L’article 3 du texte est relatif aux piscines publiques. Il prévoit que les gestionnaires de ces équipements ne peuvent « prévoir d’adaptation susceptible de nuire au bon fonctionnement du service ou de porter atteinte à l’ordre public », et doivent y interdire « le port de signes ou de tenues susceptibles d’y contrevenir ». 

Adopté par le Sénat par 210 voix contre 81, le texte a été transmis à l’Assemblée nationale. 

Dissensions publiques

Pendant l’examen du texte au Sénat, cette proposition de loi a été soutenue sans ambigüité par le gouvernement, représenté par François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l’Intérieur. « Les salles et les terrains de sport ne peuvent en aucun cas devenir de nouveaux espaces d’expression du séparatisme », a-t-il notamment déclaré pendant la discussion, et le sport « ne doit en aucun cas devenir le nouveau terrain de conquêtes passant par l’affirmation d’une différence religieuse ». « L’entrisme menace partout notre cohésion nationale, a poursuivi le ministre, c’est partout qu’il nous faut le combattre. »  Le gouvernement « soutient donc ce texte avec force », a conclu François-Noël Buffet. 

Mais quelques jours plus tard, il est apparu que cette position n’était pas partagée par tous les membres du gouvernement, en particulier par la première concernée, à savoir la ministre des Sports, Marie Barsacq. Dans le cadre d’une audition devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, le 12 mars, la ministre a pris ses distances vis-à-vis des propos tenus par son collègue au Sénat, réfutant en particulier le fait que le port du voile soit systématiquement synonyme « d’entrisme ». Il faut « éviter les confusions et les amalgames », a déclaré la ministre devant la commission : « Le port du voile n’est pas nécessairement une forme d’entrisme et l’entrisme (…) ne se réduit pas au port du voile. »  Vivement interpellée par le député RN Julien Odoul, qui l’a accusée de « faire l’autruche », la ministre a rappelé que « la loi de 1905 autorise »  les femmes à « exercer leur liberté religieuse ». Marie Barsacq s’est défendue de toute « naïveté »  et s’est dite partisane de « la tolérance zéro »  face à l’entrisme, mais a répété que le voile « ne se résume pas à l’entrisme ». 

Quelques jours plus tard, lundi 17 mars, c’est la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, qui a elle aussi pris ses distances sur ce point. Invitée de la matinale de France info, l’ancienne Première ministre a déclaré que c’était, à ses yeux, plutôt « la responsabilité des fédérations [sportives] de définir leur règlement intérieur ». « Le Conseil d’État nous l’a confirmé : quand les fédérations mettent en place des règlements intérieurs qui disent ‘’la tenue, c’est la tenue’’, ça suffit et ça protège. » 

Ces dissensions sont caractéristiques de la très délicate question du voile, depuis plusieurs dizaines d'années, qui ne peut d'ailleurs se résumer à un simple clivage entre gauche et droite. À preuve, la prise de position de l'ancienne ministre communiste des Sports, Marie-George Buffet, qui dans une audition devant le Sénat, sur cette question du voile dans le sport, avait déclaré : « Nous devons mener ce combat pour le respect de la laïcité dans la pratique sportive. (....) Je pense à nos sœurs afghanes à qui on a expliqué qu’il fallait cacher leur corps pour faire du sport, puis sans regard extérieur, avant de tout leur interdire. (…) Une fois pour toutes : le corps des femmes n'est pas à cacher. Les femmes ont besoin de pouvoir pratiquer le sport en pleine liberté. Je mènerai ce combat. » 

Quoi qu'il en soit, ces prises de position de Marie Barsacq et d'Élisabeth Borne ont fortement agacé le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, qui a déclaré le lendemain que « l’on ne peut pas accepter le moindre accommodement avec le communautarisme ». Lors d’une interview sur TF1, il a publiquement « regretté »  les prises de position de ses deux collègues : « Il faut interdire le voile dans les compétitions sportives, c’est une évidence. (…) Je regrette que la ministre des Sports comme la ministre de l’Éducation nationale ne soutiennent pas plus cette autorité républicaine. »  Et le garde des Sceaux est allé plus loin, dans une autre interview, déclarant que « l’on ne peut pas rester dans un gouvernement qui cède sur ces questions-là ». 

C’est la deuxième fois, en quelques jours, qu’un poids lourd du gouvernement brandit la menace de la démission, après Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, qui a fait de même sur la question de la « fermeté »  de la France vis-à-vis de l’Algérie. 

Fragile équilibre

Le Premier ministre, François Bayrou, a sifflé la fin de la partie mardi, d’abord, en envoyant la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, exprimer devant l’Assemblée nationale « la ligne unique »  du gouvernement : « Il n’y a qu’une seule ligne au sein du gouvernement. (…) Cette ligne politique est très claire : nous disons explicitement qu’aucun signe religieux ostentatoire ne doit être porté lors des compétitions sportives. (…) La ligne du gouvernement consiste en ceci : refus de l’entrisme islamiste, de l’intégrisme religieux et des signes religieux ostentatoires lors des compétitions sportives ; soutien à la proposition de loi adoptée par le Sénat. »  Devant les sénateurs, le lendemain, la même ministre a affirmé que « le gouvernement inscrira (cette) proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ». 

C’est également mardi 18 mars que le Premier ministre a convoqué les quatre ministres impliqués dans ce différend, Gérald Darmanin, Bruno Retailleau, Marie Barsacq et Élisabeth Borne, ainsi qu’Aurore Bergé. Au cours de cette réunion, apparemment très tendue, le chef du gouvernement a sommé ses ministres de ne pas se critiquer entre eux publiquement. S’il a, sur le fond, soutenu la position de Gérald Darmanin et de Bruno Retailleau – celle de soutenir sans ambigüité le texte de Michel Savin –, il a également fermement recadré ces derniers sur leurs menaces de démission. 

Le gouvernement soutiendra donc une loi sur l’interdiction des signes religieux, nonobstant la position de Marie Barscq et d’Élisabeth Borne. Mais cet épisode est révélateur de la difficulté qu’il y a à « tenir »  le fragile équilibre d’un gouvernement à la composition politiquement disparate, entre ministres venus de la gauche, comme Élisabeth Borne, et ministres venus de la droite, comme Bruno Retailleau et Gérald Darmanin. Et ce d’autant plus dans une période où certains ministres, comme le même Bruno Retailleau, poursuivent des objectifs politiques qui leur sont propres – il est en lice pour la présidence du parti Les Républicains. Ce télescopage entre des positions politiques divergentes additionnées à des visées personnelles ne peut, évidemment, que nuire à l’homogénéité politique du gouvernement, d'autant que plus que de l'avis de tous les observateurs, le mode de gestion du Premier ministre est plus individuel que collégial, et n'encourage pas forcément à la mise en place d'une solidarité gouvernementale. Cette crise n’est sans doute pas la dernière. 

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