Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 30 octobre 2019
Laïcité

Le Sénat adopte le texte interdisant le port du voile dans les sorties scolaires, l'Assemblée nationale « ne suivra pas »

Sans surprise, le Sénat a adopté hier la proposition de loi de Jacqueline Eustache-Brinio (LR) sur l’interdiction du port de signes religieux par les accompagnatrices de sorties scolaires, par 163 voix pour et 114 contre. Mais cette proposition de loi n’a aucune chance de passer ensuite l’étape de l’Assemblée nationale – le gouvernement et les responsables de la majorité l’ont dit très clairement.
Au Sénat, les groupes PCF et La République en marche ont voté unanimement contre le texte.  Le groupe socialiste a voté contre, mais avec 15 sénateurs qui ont refusé de prendre part au vote. Les radicaux de gauche ont voté majoritairement pour le texte, ainsi bien entendu que Les Républicains (130 voix pour, 3 contre, 10 abstentions). C’est le groupe Union centriste qui se trouve le plus divisé sur ce sujet : les voix s’y sont partagées entre les pour (13), les contre (9), les abstentions (20) et les refus de participer au vote (9).

Débat houleux
C’est Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, qui a représenté le gouvernement dans ce débat. Il a assumé les propos qu’il a tenus il y a quelques semaines, qui avaient fait polémique, sur le voile qu’il avait jugé « pas souhaitable ». Le ministre a ajouté hier : « pas souhaitable », mais « pas interdit ». Il s’est très clairement prononcé contre cette proposition de loi, jugeant qu’elle va « au-delà du nécessaire »  et qu’elle aurait « des effets contre-productifs » : « Nous voulons rapprocher les familles des écoles, c'est la meilleure chance d'accomplir le projet républicain. » 
Lors du débat, Françoise Laborde (RDSE, Haute-Garonne), a ainsi justifié la position de la majorité du groupe des radicaux de gauche : « L'insécurité juridique est préjudiciable à tous. (…) Il revient au législateur de trancher cette situation avant qu'elle ne devienne explosive et instrumentalisée par les extrêmes. »  Pour elle, les sorties scolaires « sont le prolongement de l’activité scolaire, sur le temps scolaire ». Les mêmes règles que celles qui prévalent dans l’enceinte de l’école doivent donc s’appliquer. Les sénateurs LR sont allés dans le même sens, avec des propos parfois assez durs – comme ceux de Philippe Pemezec (Hauts-de-Seine), qui a déclaré : « Si pour une mère de famille retirer son voile et montrer ses cheveux est insupportable, elle peut rester chez elle, mais qu'elle ne prétende pas collaborer à un service public laïc et démocratique si elle ne veut pas en accepter les règles. » 
Antoine Karam (Guyane, LaREM) a expliqué que « l’interdiction du foulard [dans les sorties], dans certaines écoles, mettrait les enseignants dans de grandes difficultés ». En concluant : « J'entends parler de courage de légiférer. Mais le véritable courage, ne serait-il pas d'assumer le principe selon lequel la liberté doit être la règle et la restriction de police l'exception ? » 
Au nom du groupe socialiste, Laurence Rossignol (Oise) a dit se sentir « prise dans un étau »  entre d’un côté « les racistes, ceux qui détestent les Arabes et les musulmans »  et de l’autre « l’emprise religieuse de l’islam politique ». Rappelant que le voile n’est pas seulement un symbole religieux mais aussi un signe « d’oppression des femmes », Laurence Rossignol a néanmoins jugé que cette proposition de loi ne permettrait « ni de réduire la fracture actuelle, ni de désarmer les haineux, ni de nous extraire du face-à-face sinistre entre les identitaires de deux camps ». 
A suivi un débat houleux, parfois violent dans les termes – tel sénateur comparant les mères voilées à des « sorcières d’Halloween », telle autre accusant le camp adverse de « racolage ». Jean-Michel Blanquer l’a conclu en estimant que « l'état du droit permet déjà au directeur d'école de refuser un accompagnant. [Le Sénat a] renforcé cette possibilité en votant l'article 10 de la loi pour une école de la confiance qui interdit tout prosélytisme aux abords des établissements. Le directeur aura des arguments juridiques solides – et il aura son ministre avec lui. » 

Fin de partie
Le ministre de l’Éducation nationale n’a pas laissé beaucoup d’espoirs aux sénateurs favorables à ce texte sur son issue finale, laissant entendre que l’Assemblée nationale, à majorité LaREM, ne se pressera pas de l’inscrire à l’ordre du jour : « Nous savons que cette proposition de loi prendra du temps à être présentée à l'Assemblée nationale et le sort qu'elle y rencontrera. » 
Après l’adoption du texte par le Sénat, Stanislas Guerini, délégué général de La République en marche et député de Paris, est allé dans le même sens, sans la moindre ambiguïté : « Le vote du Sénat ne sera pas suivi par notre majorité à l'Assemblée nationale. Il n'est pas question d'interdire les signes religieux pour les accompagnateurs scolaires. Nous respectons la loi de 1905 : l'État est laïc mais la société ne l'est pas. » 

Franck Lemarc

Accéder au texte adopté.

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