La vidéoprotection algorithmique va-t-elle être pérennisée ?
Par Lucile Bonnin
L’utilisation de la vidéoprotection algorithmique durant les Jeux olympiques et paralympiques de l’été dernier avait fait l’objet de nombreux débat dans le cadre de l’adoption de la loi du 19 mai 2023 relative à l’organisation des Jeux. Cet arsenal législatif prévoyait notamment un dispositif de sécurité musclé dans les villes accueillant des épreuves ou la flamme olympique mais instaurait également des mesures allant bien au-delà de la seule organisation des Jeux. La vidéoprotection algorithmique en fait partie.
De quoi parle-t-on ? Classiquement, l'analyse des images captées par des caméras de surveillance est faite par des humains, dans des centres de contrôle. La vidéoprotection algorithmique consiste à automatiser, en tout ou partie, le dispositif : ce sont des algorithmes (programmes informatiques) qui analysent les images et sont chargés de repérer, par exemple, des comportements suspects, des objets abandonnés, voire, en théorie, de faire de la reconnaissance faciale.
Strictement encadrée dans la loi, l’expérimentation prévue jusqu’au 31 mars 2025, permet concrètement « l’application de traitements algorithmiques à des images collectées par des systèmes de vidéoprotection ou de drones » . La pratique a été utilisée dans les « lieux accueillant des manifestations et à leurs abords ainsi que dans les véhicules et emprises de transport public et sur les voies les desservant, afin de détecter, en temps réel, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler ces risques et de les signaler en vue de la mise en œuvre des mesures nécessaires par les services compétents. »
Le comité d’évaluation indépendant institué par la loi « JOP » a remis il y a quelques jours au gouvernement et au Parlement un rapport pointant « un bilan contrasté sur le plan opérationnel » de cette expérimentation. Hier, la commission des lois du Sénat a publié un rapport d’information pour évaluer sa mise en œuvre et appelle à la prolongation de son utilisation, moyennant quelques ajustements. Mais de son côté, le gouvernement semble vouloir aller plus vite que la musique.
Une efficacité relative et un manque de visibilité
Le comité d’évaluation rappelle que cette expérimentation interdit expressément « la reconnaissance faciale et toute forme de recoupement avec des fichiers ». De plus, ce type de vidéoprotection ne peut permettre de détecter que huit situations prévues par le décret du 23 août 2023 : la présence d’objets abandonnés ; la présence ou l’utilisation d’armes ; le non-respect par une personne ou un véhicule du sens de circulation commun ; l’intrusion d’une personne ou d’un véhicule dans une zone interdite ; la présence d’une personne au sol à la suite d’une chute ; les mouvements de foule ; une densité trop importante de personnes et les départs de feux.
Le rapport du comité montre que l’intérêt du dispositif est « plus marqué lorsque la présence policière est insuffisante pour couvrir toute la zone considérée mais néanmoins suffisante pour permettre une intervention en temps utile » . Cependant, de nombreux « faux positifs » ont été signalés en particulier pour détecter des objets abandonnés. Globalement, il apparaît que le « nombre d’interventions réalisées du seul fait du traitement par les différents opérateurs, aux fins de constater ou empêcher un risque ou une infraction, est demeuré extrêmement résiduel. »
Pour les principaux concernés, c’est-à-dire la police et la gendarmerie nationales, les polices municipales, les services d’incendie et de secours ainsi que les services internes de sécurité de la RATP et de la SNCF, le dispositif est satisfaisant et permet de « favoriser la complémentarité des caméras classiques et des caméras IA ». Les citoyens sont « globalement favorables » à ce dispositif mais expriment « certaines inquiétudes quant aux garanties qui s’y attachent, en particulier si de tels traitements venaient à être étendus à d’autres utilisateurs ou à d’autres contextes d’utilisation. »
Au-delà des manifestations liées aux Jeux, la préfecture de police de Paris y a aussi eu recours pour le Nouvel an par exemple, la SNCF pour le Festival Solidays et les marchés de Noël, la RATP pour la Fête de la musique, la Fête nationale et la commune de Cannes pour le Festival de Cannes et le marché de Noël. Au total, le dispositif aura été mis en œuvre à 47 reprises, pour une trentaine de manifestations et dans environ 70 lieux et au moyen d’environ 800 caméras, pour un coût budgétaire global de 0,9 million d’euros.
Pour résumer, cette courte expérimentation de quelques mois « ne permet en aucun cas de se prononcer de façon générale sur la pertinence du recours à l’IA en matière de vidéoprotection ».
En route vers une prolongation, notamment dans les communes
L’enjeu est donc désormais de savoir s’il faut aller plus loin en la matière. Forte de ces constatations tirées par le comité, la Commission des lois s’est prononcée dans un rapport d’information en faveur d’une éventuelle prolongation de l’expérimentation, mais sous certaines conditions.
Plusieurs aménagements pourraient être opérés, selon les rapporteures. Les sénateurs sont favorables à une mise en œuvre plus large du dispositif, et ce « même en l’absence de grandes manifestations », en vue de la surveillance de zones clairement délimitées à l’aune de risques sécuritaires importants, pour des cas d’usage strictement proportionnés » . La mission estime aussi que dans le cadre d’une prolongation du dispositif, il serait bon de « conférer davantage d’autonomie aux services utilisateurs pour le choix et la calibration des solutions technologiques à expérimenter, dans des conditions qui resteraient rigoureusement encadrées et contrôlées par le ministère de l’intérieur ainsi que la Cnil. »
Une autre proposition importante pour les communes vise l’extension du « champ des agents autorisés à accéder aux signalements à des agents communaux n’appartenant pas à la police municipale, à condition que ces agents soient en nombre limité, nominativement désignés, dûment formés et habilités, et restent sous la supervision d’un policier municipal » . Du point de vue de la commune de Cannes, qui a expérimenté le dispositif, « le fait de réserver aux policiers municipaux la mise en œuvre de l’expérimentation dans les communes entraîne d’importantes difficultés opérationnelles, alors que la vocation principale de ces derniers, lors de grands événements, est d’être mobilisés sur la voie publique. » Pour les rapporteures, « une telle évolution paraît de nature à favoriser la participation des communes à l’expérimentation. »
Si cette prolongation est finalement confirmée, les sénateurs ajoutent cependant qu’il faudra mieux former les agents habilités à accéder aux signalements mais surtout « renforcer significativement l’information des personnes, point faible de l’expérimentation souligné par le comité d’évaluation ».
Une prolongation déjà prévue dans une proposition de loi
Surprise ! Le gouvernement n’a pas attendu les conclusions de la mission d’information du Sénat et est favorable à cette prolongation. Dans le cadre de l’examen de la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports discutée il y a une dizaine de jours à l’Assemblée nationale, un amendement introduit discrètement par le gouvernement prévoit cette prolongation. C’est l’article 9 bis du texte qui vise à modifier l’article 10 de la loi du 19 mai 2023 propose de remplacer la date du « 31 mars 2025 » par le « 31 décembre 2027 ».
L’introduction de cet amendement a été largement fustigé par la gauche mais aussi par le groupe parlementaire centriste Les Démocrates. « Nous devions discuter calmement du rapport d'évaluation » , a regretté le député Philippe Latombe qui craint qu’en « repoussant simplement la date, le Conseil constitutionnel va considérer que c'est un cavalier législatif ». D'autant que l'expérimentation ne concerne pas que les transports.
Le texte va désormais être examiné en commission mixte paritaire (CMP) le 6 mars prochain. Maire info reviendra sur le sujet dans une prochaine édition.
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