Maire-info
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Édition du mardi 5 mars 2024
Société

La liberté de recourir à l'IVG désormais inscrite dans la Constitution 

Le Parlement, réuni en congrès à Versailles hier, a adopté le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse. La liberté de recourir à l'IVG sera désormais inscrite à l'article 34 de la Constitution – ce que le Premier ministre, Gabriel Attal, a qualifié « d'événement qui doit clore une fois pour toutes le monde d'hier ». 

Par Franck Lemarc

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© Assemblée nat.

780 députés et sénateurs ont voté pour l’inscription de la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution, 72 ont voté contre et 50 se sont abstenus. La mesure a donc très largement été adoptée – plus largement même que ce que l’on pouvait attendre au vu des scrutins à l’Assemblée nationale et au Sénat, un certain nombre de sénateurs LR, notamment, ayant évolué sur leur position entretemps. 

L’évolution du texte

La date d’hier a donc marqué l’aboutissement d’une séquence qui a commencé avec le coup de tonnerre, le 24 juin 2022, de la décision de la Cour suprême des États-Unis, annulant la jurisprudence Roe vs Wade de 1973. Cette décision a eu pour effet d’autoriser certains États des États-Unis à interdire le recours à l’IVG – ce que neuf d’entre eux ont déjà fait. 

Cet événement a poussé des députés de la France insoumise, du PCF, du PS et d’Europe Écologie Les Verts à déposer, le 7 octobre 2022, une première proposition de loi « visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception ». Cette proposition visait à introduire dans la Constitution les phrases suivantes : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. » 

Au sortir des discussions à l’Assemblée nationale, le texte avait été simplifié et était devenu : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse. » 

Le texte a ensuite été débattu au Sénat, où il a été entièrement récrit : si le Sénat a accepté l’inscription de l’IVG dans la Constitution, il a profondément modifié la rédaction du texte : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. »  Cette formulation a été adoptée difficilement, par la commission des lois du Sénat ayant, elle, rejeté la proposition, estimant qu’elle était « inutile, illusoire, voire dommageable ». Les sénateurs, dans le texte qu’ils ont finalement adopté, ont soigneusement choisi une formule qui ne mentionne pas l’expression « interruption volontaire de grossesse ». 

Ce texte initié par la gauche a arrêté là son parcours législatif, puisqu’un autre texte, cette fois-ci porté par le gouvernement, a pris sa place. Déposé le 12 décembre dernier, le projet de loi gouvernemental  se voulait à mi-chemin entre la version Assemblée nationale et la version Sénat de la proposition de loi initiale, comme l’expliquait, lors de sa présentation, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti : « ‘’La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse’’. Cette rédaction (…) retient les mots ‘’interruption volontaire de grossesse’’, afin de ne laisser subsister aucune ambiguïté sur l’objet de la protection constitutionnelle. Il consacre l’existence d’une liberté, conformément à l’esprit de la loi du 17 janvier 1975. Par ailleurs, en constitutionnalisant l’interruption volontaire de grossesse à l’article 34 de la loi fondamentale, le texte reconnaît le rôle du Parlement dans l’établissement des conditions dans lesquelles s’exerce cette liberté. » 

Droit ou liberté ?

Lors des débats, cette rédaction a suscité d’âpres discussions. La droite, notamment au Sénat, a bataillé – sans succès – pour faire retirer l’adjectif « garantie ». Et certains parlementaires de gauche ont tenté, eux aussi en vain, de remplacer le mot « liberté »  par celui de « droit », comme c’était le cas dans la version initiale. 

Finalement, c’est la rédaction proposée par le gouvernement qui est restée. La Constitution va reconnaître le recours à l’IVG comme une « liberté garantie »  et non comme un « droit ». Ce qui du reste, selon le Conseil d’État (qui a rendu son avis sur ce texte le 7 décembre dernier), ne change rien : « Au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui ne retient pas, en la matière, une acception différente des termes de droit et de liberté, le Conseil d’État considère que la consécration d’un droit à recourir à l’interruption volontaire de grossesse n’aurait pas une portée différente de la proclamation d’une liberté. » 

« Fermer la porte au tragique du passé » 

Dans son discours introductif, hier, le Premier ministre a fait de ce texte l’aboutissement de plus de deux siècles de luttes des femmes pour leurs droits – un combat « entamé par Olympe de Gouges », pendant la Révolution française. Gabriel Attal a égrené les grandes étapes de ces luttes : premières femmes ministres entrées au gouvernement en 1936, droit de vote pour les femmes en 1944, loi Neurwith de 1967 légalisant la pilule… Puis, en 1971, le Manifeste des 343, signé de 343 femmes qui « brisèrent le tabou du silence »  en affirmant avoir eu recours à l’avortement, alors illégal et puni de prison. En 1972, c’est le procès de Bobigny : la jeune Marie-Claire Chevalier, violée à 16 ans et enceinte, recourt à un avortement clandestin avec l’aide de sa mère, Michèle, et de trois de ses collègues. Les quatre femmes sont jugées devant le tribunal de Bobigny pour avortement et complicité. « Je ne suis pas coupable, s’écriera devant le juge la mère de Marie-Claire, c’est votre loi qui est coupable ! ». La relaxe de la jeune femme, qui avait été défendue par Gisèle Halimi, sera la dernière étape avant la loi Veil du 26 novembre 1974, qui légalise l’avortement et met fin à ce que Gabriel Attal a appelé hier « la loi scélérate de 1920, qui fait de l’avortement un crime passible de la cour d’assise ». 

Pendant les trois décennies qui ont suivi, le droit à l’avortement a été renforcé : en 2001, le délai légal a été allongé à 12 semaines. En 2013, l’IVG est remboursé à 100 % par l’Assurance maladie. En 2014, la notion de « détresse »  pour recourir à l’IVG est supprimée. 

Il restait à franchir l’étape de la « constitutionnalisation ». Vis-à-vis de ceux qui doutent de l’utilité de celle-ci, Gabriel Attal a eu hier des mots forts. « En une génération, en une année, en une semaine, on peut passer du tout au tout. Parlez-en aux Américaines qui doivent se battre pour le droit à l’IVG. (…) Parlez-en aux Hongroises et aux Polonaises pour qui l’IVG n’est plus une liberté consacrée. (…) En une génération, on a vu les Iraniennes passer du port de la jupe à celui du voile obligatoire, on a vu les Afghanes passer de la liberté d’aller à l’école à l’interdiction de s’instruire, on a vu tant et tant de femmes libres devenir des femmes tuées, oui, tuées, parce qu’elles refusent de se soumettre. » 

Inscrire la liberté d’avorter dans la Constitution, a conclu le Premier ministre, « c’est fermer la porte au tragique du passé, et à son long cortège de souffrances et de douleurs. (…) Oui, le train de l’oppression peut repasser. En ce jour, agissons pour que cela n’advienne pas. Que cela n’advienne jamais. » 

Ce discours a achevé d’emporter l’adhésion de l’écrasante majorité des députés et sénateurs, même certains qui étaient encore rétifs quelques jours auparavant. Comme, sans doute, a compté le poignant témoignage du sénateur de l’Allier Claude Malhuret sur son expérience, en tant que « jeune coopérant comme médecin-chef dans un hôpital d’un pays du sud »  – cétait au Maroc –, où il assista à l’arrestation d’une jeune femme ayant commis un infanticide à la naissance de son bébé, faute d’avoir pu recourir à l’interruption volontaire de grossesse. 

À l’énoncé du résultat du scrutin, hier, le Congrès s’est levé pour applaudir pendant de longues minutes – la présidente de l’Assemblée nationale elle-même, Yaël Braun-Pivet, se joignant aux applaudissements en dépit du protocole. 

Vendredi prochain, le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale du droit des femmes, le président de la République a annoncé qu’une cérémonie publique aurait lieu, au ministère de la Justice, pour procéder au « scellement »  du nouvel article de la Constitution. 

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