La France s'enfonce dans la crise du mal-logement
Par Franck Lemarc
Nombre de personnes à la rue, logement social, précarité énergétique… la situation se dégrade sur tous les fronts, alerte ce matin ce qui va devenir la « Fondation pour le logement des défavorisés ». L’association publie « pour la dernière fois » son rapport annuel sous le nom de Fondation Abbé-Pierre, avant son changement de nom décidé après la révélation des violences sexuelles commises pendant des décennies par son fondateur. Mais comme l’écrit la fondation, « notre nom change, par notre combat contre le mal-logement ». Et ce combat n’est pas près de s’arrêter, si l’on en croit les chiffres alarmants publiés dans ce rapport de près de 350 pages.
Des chiffres alarmants
L’effort budgétaire national en faveur du logement a été cette année « historiquement bas », dénonce en préambule la présidente de l’association, Marie-Hélène Le Nédic, « aggravant les tensions pour les ménages et les difficultés pour le secteur ».
La France « s’enfonce dans la crise du logement ». Conséquence la plus dramatique de cette situation, le nombre de personnes mortes à la rue en 2024 a atteint un record depuis que ce bilan est dénombré par le collectif Les morts de la rue, avec 735 décès. Mais d’autres chiffres sont alarmants : le nombre de personnes sans domicile, en hébergement ou à la rue atteindrait 350 000 – ce qui représente une augmentation de plus de 100 % depuis 2012. 2,7 millions de personnes sont en attente d’un logement social – c’est deux fois plus qu’il y a vingt ans et quatre fois plus qu’il y a quarante ans. Alors que, parallèlement, l’offre ne cesse de diminuer, avec « environ 84 000 logements sociaux financés en 2024 » contre 124 000 en 2016.
Cette année 2024 a également connu un record en matière d’expulsions locatives (19 000, soit + 17 % en un an), alors même que la loi Kasbarian du 27 juillet 2023, qui facilite les expulsions, n’a pas encore pleinement produit ses effets.
La Fondation rappelle également que d’après le Médiateur de l’énergie, 30 % des ménages ont eu froid dans leur logement en 2024 (contre 14 % en 2020). 600 000 logements sont considérés comme « indignes ».
Et cette progression des chiffres du mal-logement s’accompagne (ou s’explique), selon la Fondation, d’une politique gouvernementale qui a largement favorisé les plus aisés (lire Maire info d’hier) et tout autant lésé les plus défavorisés : les mesures fiscales et sociales prises en 2023 ont, selon les chiffres de l’Insee, induit une baisse de niveau de vie annuelle de 290 euros pour les 10 % de ménages les plus pauvres.
« Changement de cap »
La Fondation pointe avant tout la diminution inquiétante de « l’effort public pour le logement », qui a culminé en 2010 à 2,2 % du PIB pour tomber aujourd’hui à 1,5 %, son plus bas niveau depuis plus de trente ans : « Faute d’être reconnu comme une priorité, le logement a finalement été délaissé », écrit la Fondation.
Celle-ci demande donc, d’urgence, un « changement de cap », avec un certain nombre de mesures volontaristes – dont il faut remarquer qu’aucune ne figure, ni de près ni de loin, dans le budget qui va être adopté au Parlement.
En premier lieu, la Fondation demande que des « capacités d’action » soient rendues aux organismes HLM pour relancer la construction et améliorer l’existant, d’abord en « revenant sur la ponction opérée à travers la RLS et la hausse de la TVA sur la production de HLM ». Elle demande également de rompre avec la logique qui consiste à voir dans les aides au logement « un gisement d’économies » (avec « 4 milliards d’euros prélevés chaque année » ).
La Fondation demande également « une action résolue de production de logements à bas loyer, en particulier dans les communes SRU », et « l’amplification des mesures de régulation du marché locatif privé ». Elle réclame l’abrogation de la loi « anti-squatteurs » de Guillaume Kasbarian et « le soutien aux collectivités locales pour réussir le ZAN, en particulier en abondant le Fonds vert et en dissuadant davantage la vacance et les résidences secondaires ».
À plus long terme, la Fondation demande un meilleur encadrement du foncier « à travers une taxation croissante dans le temps des terrains classés constructibles, la redistribution accrue des plus-values foncières, le soutien aux organismes de foncier solidaire (OFS) et aux établissements publics fonciers ».
Pour les personnes handicapées, le mal-logement « en pire »
Cette année, la Fondation a choisi de consacrer une large partie de son rapport à la problématique du logement pour les personnes en situation de handicap. Les problèmes liés au logement touchent en effet encore plus durement cette population que la population générale (en moyenne de 4 %). Beaucoup de personnes en situation de handicap connaissent « toutes les facettes du mal-logement, en pire », écrit la Fondation. Par exemple, les structures d’hébergement provisoire comme les hôtels ne sont souvent pas adaptées au handicap. L’accès au logement social est encore plus difficile pour ces personnes, dans la mesure où « seuls 18 % des logements sociaux sont considérés comme accessibles » – une situation aggravée par la loi Elan de 2018 qui a réduit de 100 % à 20 % l’obligation de logements accessibles dans le neuf. Résultat : « 23 % des personnes en situation de handicap ont une demande de logement social de cinq années ou plus, contre 12 % pour les autres demandeurs ».
Parmi d’autres propositions, la Fondation demande donc le rétablissement d’une obligation de 100 % de logements neufs accessibles, l’augmentation de MaPrimeAdapt’ (qui permet de prendre en charge une partie des travaux de mise en accessibilité des logements), et une action résolue auprès des bailleurs sociaux pour les sensibiliser à la prise en compte des besoins particuliers des personnes en situation de handicap.
Une année de « renoncements »
En conclusion de ce sombre rapport, la Fondation fait le bilan d’une année « d’attentisme et de renoncements », « une année blanche pour le ministère du Logement ». Les engagements ont été « trahis », comme les 1,2 milliard d’euros promis pour la rénovation énergétique des HLM, les budgets (Fonds vert ou MaPrimeRénov’) ont été « rabotés ». Les gouvernements successifs, selon la Fondation, n’ont rien fait pour prendre à bras le corps la crise de la construction, qui est tombée à son plus bas niveau depuis 1991. On peut ajouter que les aides aux maires bâtisseurs, pourtant promises par François Bayrou dans sa déclaration de politique générale, étaient une nouvelle promesse en l’air, puisqu’elles ne figurent pas dans le projet de budget.
Et la Fondation conclut : « Finalement, alors que la France s’enfonce dans la crise du logement et la chute de l’activité immobilière, les pouvoirs publics ont cherché des boucs émissaires plutôt que des solutions. Les coupables désignés sont les normes écologiques et les politiques de défense des mal-logés, les ménages les plus pauvres qui accumulent parfois des impayés, squattent des locaux vides pour s’y abriter faute de mieux, ou survivent dans des abris de fortune, parfois en situation irrégulière. Renoncer par facilité à ses obligations sociales et environnementales aboutirait pour l’État à les abandonner, purement et simplement. »
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2

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