Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 18 novembre 2022
Ruralité

La désertification bancaire menace les territoires ruraux

Fermetures d'agences bancaires, disparition progressive des distributeurs dans les villes et villages : le phénomène de la désertification bancaire qui touche en particulier les territoires ruraux inquiète les élus. Le gouvernement indique être vigilant quant à cette problématique.

Par Lucile Bonnin

Voilà plusieurs années que les élus assistent à un désengagement bancaire sur les territoires, et en particulier dans les communes rurales. En 2019 déjà, un rapport de la Banque de France montrait que « si les de plus de 5 000 habitants disposent presque toutes d’au moins un distributeur automatique de billets (Dab), la quasi-intégralité de celles de moins de 1 000 habitants n’est pas équipée (0,9 % des communes de moins de 500 habitants en ont au moins un à leur disposition) »  (lire Maire info du 24 juillet 2019). 

Puis la crise sanitaire est passée par là et a impulsé une « évolution des pratiques sociales et du lien à l'argent liquide, notamment par la généralisation du paiement sans contact par carte bancaire » , comme l’explique Fabien Genet, sénateur de la Saône-et-Loire, à l’occasion d’une question au gouvernement publiée au JO.

Résultat : dans un État des lieux de l'accès du public aux espèces en France métropolitaine, publié le 18 juillet 2022, la Banque de France ne totalise plus que 47 853 automates fin 2021, chiffre en recul de 2 % par rapport à l'année précédente. C’est ce constat qui a également alerté Jean-Noël Guérini, sénateur des Bouches-du-Rhône, et l'a aussi poussé à poser une question au gouvernement le mois dernier à ce sujet. 

Les solutions du gouvernement 

En réponse aux deux questions posées par les sénateurs à propos de la raréfaction des Dab, le gouvernement affirme qu’il lutte contre ce phénomène depuis 2018. Un groupe de travail dédié a d’abord été mis en place « avec l'ensemble des acteurs de la filière fiduciaire concernée (établissements bancaires, transporteurs de fonds). » 

Bercy rappelle également dans sa réponse publiée hier que « la loi du 2 juillet 1990 prévoit que La Poste a l'obligation de faire en sorte que, sauf circonstances exceptionnelles, 90 % de la population de chaque département soit éloignée de moins de vingt minutes de trajet automobile, des plus proches points de contact de La Poste. » 

Le ministère identifie également les réseaux de points contact gérés par La Poste « dans les zones rurales et de montagne, les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les départements d'outre-mer. »  comme étant une solution adéquate. Selon les chiffres du gouvernement, ils permettent « à plus de 1,4 million de personnes, les plus éloignées du système bancaire classique, de bénéficier de la mission d'accessibilité bancaire. » 

Un autre service avait été fléché comme étant une potentielle solution pour pallier le manque de Dab dans les territoires : le cash back, autorisé depuis décembre 2019 en France. Le principe : « Acheter par carte bancaire un bien coûtant, par exemple 20 €, mais vous effectuer un paiement de 60 € afin de récupérer 40 € en espèces. »  Mais deux ans après son autorisation, on ne sait pas combien de commerces proposent ce système actuellement ni à quel point la pratique se développe dans les campagnes.  

Impasse

Mais force est de constater que la situation peut rapidement s’aggraver et que le gouvernement ne compte pas pour le moment prendre de mesures supplémentaires pour freiner cette désertification et « garantir un service bancaire de qualité et de proximité. » 

Il faut rappeler que le gouvernement ne peut pas imposer aux établissements bancaires de prendre en compte l’aménagement d’un territoire et les besoins des habitants, au-delà de cette loi du 2 juillet 1990. D’autant plus que, comme l’observe Jean-Noël Guérini, « le nombre de retraits dans les distributeurs a diminué de près de 23 % en 2020 »  et par conséquent, « les distributeurs ne sont plus rentables pour les banques auxquelles chaque appareil coûte entre 25 000 et 32 000 euros hors taxes par an. »  De plus, l’arrivée sur le marché des banques en ligne n’arrange en rien l’état du réseau de Dab. 

Si le gouvernement indique qu’il va rester « vigilant quant à l'accessibilité de tous les Français à des points de retrait d'espèces » , aucune nouvelle annonce n’a été faite en la matière.

Une proposition de loi avait été déposée au Sénat en septembre 2018 par le sénateur Éric Gold notamment pour obliger les établissements bancaires à informer le maire de tout projet de fermeture d'une agence et des moyens mis en œuvre pour garantir la continuité de l'accès à leur réseau et pour rendre obligatoire d’installation d’un Dab dans les zones rurales à faible densité dans un périmètre accessible à quinze minutes en voiture. Cette PPL n'a jamais été examinée. 

Risque de fractures

Fabien Genet alerte sur le fait que ce désengagement bancaire a « de lourdes conséquences pour les populations les moins digitalisées, qui s'exposent à un risque d'isolement et à une réduction de l'accès aux services bancaires qui est indispensable à leur vie quotidienne. »  La fracture numérique est à prendre en compte face à ce désengagement des banques dans les territoires. 

Autre facteur déterminant : la dépendance à la voiture pour accéder à de l’argent liquide. Dans un contexte perturbé par l'inflation et le réchauffement climatique, devoir faire entre 10 et 20 minutes de voiture pour retirer de l’argent semble invraisemblable. Quid d’ailleurs des citoyens n’ayant pas de voiture et vivant dans des territoires ruraux, où les transports en commun sont inexistants ? En janvier dernier, le journal Libération rapportait qu'à Nogent-sur-Oise, avant juillet 2020, les habitants devaient faire 30 minutes de marche aller-retour pour retirer de l'argent à partir du centre-ville. 

Voilà pourquoi l’inquiétude des élus se porte notamment sur ces territoires où les services publics et privés disparaissent progressivement. Mais le gouvernement atteste que « si le nombre de distributeurs a légèrement reculé en 2021 (- 2 %) »  ce sont surtout « les villes les plus peuplées et les mieux équipées »  qui sont concernées. Ce chiffre serait alors plutôt la preuve d’une « optimisation des installations existantes dans les zones les mieux équipées. » 

Mais Bercy semble contourner le problème. Serge Maître, président de l'Association française des usagers des banques (Afub) expliquait dans les colonnes du Figaro en mars 2019 que « tout le monde va être concerné, villes et campagnes » . C'est inévitable. L’enjeu ici est donc d’assurer un maillage territorial cohérent pour lutter contre les zones blanches ou les inégalités, et le plus vite sera le mieux. 

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