La Cour des comptes demande la relance du mouvement des communes nouvelles
Par Franck Lemarc
Quarante ans après les lois Deferre, la Cour des comptes estime que le processus de décentralisation reste « inachevé » et qu'il s’est « essoufflé » . Le rapport 2023 de la Cour des comptes fait le récit de quatre décennies de décentralisation, dont les dernières années ont été marquées par la création des super-régions, le renforcement de l’intercommunalité avec la couverture totale du territoire par des EPCI à fiscalité propre, et la loi sur les communes nouvelles de 2015.
Richesse ou « handicap » ?
Les formulations de la Cour sont claires : un chapitre du rapport s’intitule par exemple « la persistance d’un trop grand nombre de petites communes » . Ce qui, pour beaucoup, est vu comme une richesse, est perçu par la Cour comme « un handicap » : il y a 34 955 communes en France, dont la moitié compte moins de 500 habitants. Pour les magistrats financiers, « la taille des petites communes est devenue un handicap lorsque l’acte I de la décentralisation a supprimé la tutelle préfectorale et leur a confié de nouvelles compétences techniques, notamment en matière d’urbanisme ».
Les auteurs du rapport constatent que malgré la loi Pélissard du 16 mars 2015, le mouvement de fusion de communes pour constituer des communes nouvelles n’a pas fondamentalement changé la donne – bien que le nombre de communes ait diminué, depuis, de plus de 1 700. Ils citent le cas de l’Allemagne, où le nombre de communes est passé en 30 ans (entre 1960 et 1990) de 24 000 à 8 500. Ce processus a été le résultat de « fusions forcées » , solution « jusqu’à présent écartée » par le législateur en France.
La Cour des comptes est obligée de le reconnaître : c’est « l’attachement des Français à leur commune » qui a empêché l’État de prendre ce type de décision. « De fait, expliquent les magistrats, la commune est le seul échelon de gestion locale qui bénéficie d’un véritable affectio societatis » (intention de s’associer pour faire société, volonté de réaliser un projet commun). « Les Français s’identifient ainsi davantage à leur commune qu’aux échelons supérieurs et connaissent mieux leur maire que le président du conseil régional, départemental ou communautaire » , reconnaissent, visiblement à contrecœur, les Sages de la rue Cambon.
« Résistance des communes »
Ils constatent en revanche qu’en matière d’intercommunalité, l’État n’a pas hésité à user de la contrainte, avec l’obligation (loi RCT de 2010) de procéder à l’intercommunalisation de l’ensemble du territoire, puis avec la loi Notre de 2015 qui a fixé la taille minimale des intercommunalités à 15 000 habitants, faisant passer le nombre d’EPCI à fiscalité propre de 2 133 à 1253. Ce mouvement s’est accompagné d’une forte réduction du nombre de syndicats intercommunaux, qui a été divisé par deux entre 1992 et 2021.
Si les compétences des EPCI n’ont cessé d’augmenter, cela ne s’est pas traduit, note la Cour, par une diminution du nombre d’agents dans les communes. Les effectifs cumulés des communes et des EPCI « se sont accrus de 700 000 agents dans les 40 dernières années », semble s’alarmer la Cour des comptes. C’est une présentation quelque peu biaisée : si le chiffre semble considérable, il ne faut pas oublier que pendant ces « 40 dernières années » , l’État a transféré aux collectivités un nombre considérable de compétences, et que les agents recrutés l’ont été pour exercer, précisément, ces compétences.
Les rapporteurs relèvent que le mouvement d’intercommunalisation « se heurte parfois à une certaine résistance des communes », notamment dans le monde rural. Sans compter les résultats, parfois délétères, de la création des intercommunalités « XXL » , où « le territoire intercommunal paraît trop vaste pour la mise en œuvre de services publics de proximité » . La Cour rappelle comment ces difficultés (ce que l’ancien ministre chargé des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, appelait « les irritants » , on s’en souvient) ont conduit « à la réaffirmation par le législateur du primat de la commune » , notamment avec l’instauration de la conférence des maires et le transfert « à la carte » de certaines compétences facultatives.
La Cour juge cette approche « porteuse de risques » , notamment dans la mesure où « elle ne contribue pas à améliorer la lisibilité et la légitimité des EPCI ».
Communes-communautés
Le rapport de la Cour des comptes fustige « l’imbrication » des compétences entre les différentes strates de l’organisation territoriale (communes, EPCI, départements et régions), qui nuit « à la lisibilité et à l’efficacité de l’action publique ». Les rapporteurs regrettent que les collectivités ne s’emparent pas suffisamment des « outils de coopération » – notamment de la possibilité de désigner une collectivité chef de file d’une politique publique – et jugent les efforts de mutualisation « insuffisants ».
Mais la Cour n’est pas tendre non plus avec les services de l’État, parlant d’un véritable « délitement » du contrôle de celui-ci avec, d’une part, un profond affaiblissement des services techniques déconcentrés et, d’autre part, une diminution inquiétante des capacités de l’État en matière de contrôle de légalité, due notamment à la réduction drastique des effectifs des préfectures : « Dans 17 préfectures, les agents chargés du contrôle sont censés vérifier chacun plus de 2 000 actes par an, ce qui n’est pas réaliste. »
Dans les « pistes » qu’elle évoque pour « relancer la décentralisation », la Cour appelle clairement à « ne pas renoncer à réduire le nombre des communes » . Mais au moins ne souhaite-t-elle pas le faire de façon autoritaire : elle propose de relancer des « incitations » (financières, peut-on supposer) à la création de communes nouvelles. Elle se dit également très favorable au développement des communes-communautés, créées par la loi Gatel du 1er août 2019 – l’idée avait été inventée par l’AMF –, permettant à une commune nouvelle de ne pas adhérer à un EPCI de plus grande taille, et d’exercer à la fois les compétences communales et intercommunales.
Parmi les autres propositions de la Cour, on retiendra celles, visiblement inspirées des « communes-communautés » , de créer des « métropoles-départements » , par « absorption par la métropole, sur son territoire, des compétences du département » ; ou encore des « départements-intercommunalités », « transfert au département des compétences et ressources des EPCI ».
La contribution de l’AMF
Dans la contribution qu’elle a adressée à la Cour, l’AMF estime que « plusieurs constats relevés par la Cour des comptes rejoignent » les siens, notamment « sur l’essoufflement du processus de décentralisation et une réorganisation territoriale des services de l’État peu cohérente avec les effets de la décentralisation ». C’est la raison pour laquelle l’association « porte avec détermination le projet d’une nouvelle loi sur les libertés locales » , dans le but de « revitaliser » la décentralisation.
Elle ne partage en revanche les constats de la Cour ni sur le trop grand nombre de communes ni sur « une approche rigide et tutélaire » de l’intercommunalité. Elle n’est pas non plus favorable aux « métropoles-départements » et aux « départements-intercommunalités » , qui reviendraient à « éloigner les lieux de décision des habitants et écarter les maires et les communes ».
En revanche, l’AMF « constate comme la Cour le besoin d’État dans les territoires » . Plutôt que de remplacer peu à peu les services publics « par des plate-formes numériques » , écrit l’AMF, « il faut réinvestir les services de l’État territorial : renforcer le nombre des interlocuteurs des collectivités et accompagner leurs projets (sur le plan technique et financier) ».
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