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Édition du jeudi 1er février 2024
Logement

La « bombe sociale » du logement est « en train d'exploser », selon la Fondation Abbé-Pierre

Dans son dernier rapport particulièrement sombre, la Fondation alerte sur les niveaux record de pauvreté, de demandeurs de HLM et de personnes dormant à la rue. Dans le même temps, le gouvernement est accusé d'attentisme.

Par A.W.

« Après avoir été annoncée, la bombe sociale du logement est en train d’exploser sous nos yeux. »  La Fondation Abbé-Pierre tire la sonnette d’alarme et présente un constat particulièrement sombre sur « l'état du mal-logement »  en France, dans son dernier rapport annuel qu'elle a publié hier.

Selon elle, « la crise s’accélère de manière très inquiétante »  et touche dorénavant de nouveaux publics. Pointant la saturation de l'hébergement d'urgence, les difficultés d'accès au logement social et privé ou encore la hausse des expulsions locatives, la Fondation dénonce une absence de réponse réelle de l’exécutif, malgré les annonces de Gabriel Attal, ce mardi, qui ne l’ont clairement pas convaincue. 

Une crise « inédite », d’une « violence extrême » 

De par son aspect « inédit »  et sa « violence extrême », cette crise « grippe toutes les sphères du logement en même temps, avec une force et une rapidité inouïes », constate la Fondation Abbé-Pierre qui énumère : « Effondrement de la production de logements (dont la production de logements sociaux et très sociaux), mobilité résidentielle en berne, hausse des taux d’intérêt et des coûts des travaux, factures d’énergie insoutenables, raréfaction des terrains à construire ».

« De nombreux indicateurs sont au rouge, et laissent craindre que les effets sociaux de cette crise se fassent sentir pendant des années », s’inquiètent les auteurs du rapport.

Parmi ces signaux, on observe déjà une progression du nombre des expulsions locatives par la force qui ont atteint un niveau record (17 500 en 2022) – dont la mise en place a été facilitée par le gouvernement l’été dernier avec la loi « anti-squat »  – , tout comme celui des interventions pour impayés de gaz et d’électricité (plus de 863 000 en 2022) et des ménages demandeurs de HLM (2,6 millions en 2023, contre 2 millions en 2017)… 

Résultat, entre 2017 et 2022, « la baisse du taux de satisfaction annuel des demandes HLM est générale, passant de 22 à 17 % pour l’ensemble des demandes de logement social et elle est particulièrement significative pour les ménages les plus modestes ». En effet, « ceux qui disposent moins de 500 euros par mois voient leur taux de succès baisser de 22 % en 2017 à 12 % en 2022 », observe la Fondation alors que la construction de nouveaux logements, notamment de logements sociaux, chute. 

« Pour les personnes mal logées, dans un contexte de montée de la pauvreté et des inégalités, cette réalité prend un tour dramatique », commente-t-elle ainsi.

2 800 enfants à la rue chaque soir

Alors que, durant ces 25 dernières années, jamais autant de personnes n’avaient vécu sous le seuil de pauvreté (plus de 9 millions, soit 1,5 million de plus que 20 ans plus tôt), la Fondation s'inquiète du nombre de personnes à la rue en constante augmentation, en particulier celui d'enfants. Plus de 8 300 personnes ont ainsi été refusées chaque soir par le 115 à l'automne dernier, contre 6 300 un an plus tôt.

En outre, « il y avait 920 demandes d’hébergement émanant d’enfants non pourvues chaque soir à l’automne 2020, 1 700 en 2022 et plus de 2 800 en octobre 2023 », constate la Fondation, rappelant que « cette situation a conduit des maires de grandes villes à attaquer l’État en justice pour les carences de son action ».

D’autant que le problème de la saturation de l'hébergement d'urgence n’est désormais plus un problème saisonnier, réservée à la période hivernale, mais se « vérifie tout au long de l’année ». « La pénurie d’offre d’hébergement malgré l’augmentation du nombre de places, conduit à hiérarchiser la misère et parfois à organiser la rotation dans les structures d’hébergement, pour offrir un moment de répit à celles et ceux qui n’ont que la rue comme horizon », critiquent les auteurs du rapport.

Rétrécissement de l’offre locative

Sans compter que les problématiques liées au logement ne concernent pas seulement les plus vulnérables, mais touchent désormais « bien d'autres publics »  et « de très nombreux territoires », s'inquiète la Fondation, qui rappelle au passage que le pays compte « au moins 600 000 taudis, dont 150 000 en Outre-mer ». 

Les étudiants et les ménages se retrouvent ainsi confrontés au « rétrécissement de l'offre locative »  et à une hausse des loyers dont les locations touristiques de courte durée sont accusées d’en être la cause. À la dernière rentrée universitaire, les loyers étudiants ont, par exemple, augmenté « en moyenne de 9 % à 10 % », mais avec « de fortes variations selon les villes ».

Une situation confirmée par une étude publiée cette semaine par le site d’annonces immobilières SeLoger. Les loyers ont ainsi augmenté de 3,5 % en 2023 en France, progressant partout dans l’Hexagone, sauf dans les Ardennes. À Paris, au 1er janvier 2024, « le stock d'annonces d'appartements à louer s'amenuise considérablement avec une réduction de 74 % sur trois ans »  et même de 50 % en un an. 

En cause, la difficulté croissante de trouver un appartement à louer avec une pénurie qui s’est « installée et aggravée ces deux dernières années avec fin 2023 une baisse de 36 % en deux ans ». La hausse des taux d'intérêt a eu un impact sur le nombre des biens à louer. « Contraints de renoncer à leur projet d'achat, de nombreux primo-accédants ne libèrent pas leur location », explique le site. 

« Politique d'austérité »  du gouvernement

Pourtant, cette crise était « prévisible », assure la Fondation, qui souligne que l’effort public n’a jamais été aussi bas avec 1,6 % du PIB consacré au secteur, contre plus de 2 % au tournant des années 2010.

Elle reproche notamment aux représentants de l’État un diagnostic erroné puisque ceux-ci « anticipent la baisse de la croissance démographique et surestiment les capacités du parc existant à y répondre »  et accuse le gouvernement d’être « dans l’attentisme, voire le déni, comme s’il sous-estimait l’ampleur des besoins en logements ». 

Un sentiment d’ailleurs partagé par les trois quarts des Français, selon un sondage récent, qui estime que le gouvernement n’aurait pas pris la mesure de la crise. Comme un symbole, l’exécutif n’a toujours pas nommé de ministre du Logement en titre, plus de trois semaines après la nomination de Gabriel Attal et d’une partie de son gouvernement. 

Ce dernier continue ainsi de traiter la question de l'habitat « avant tout à travers le prisme budgétaire, comme un gisement d’économies », dénonce la Fondation. « Le gouvernement poursuit sa politique d'austérité », a, de son côté, déploré le délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, Christophe Robert, pour qui « c’est une erreur fondamentale ».

Alors que « le président de la République semble avoir surtout retenu que la crise se limitait au logement des couches moyennes et qu’il fallait développer du logement locatif intermédiaire à leur intention », Christophe Robert critique cette « nouvelle martingale du gouvernement ». « C’est une erreur d'analyse car ces loyers sont certes un peu inférieurs au marché mais s'adressent avant tout aux cadres, voire cadres supérieurs »  quand 70 % des 2,4 millions de demandeurs ont des niveaux de ressources qui les rendent éligibles aux logements très sociaux financés en PLAI. 

« La liste est longue des actions urgentes à mener de la part d’un gouvernement qui voudrait faire reculer le mal-logement : relancer le financement du logement social, revaloriser les APL, rehausser les minima sociaux, soutenir le travail social, généraliser l’encadrement des loyers, ériger en priorité nationale que plus personne ne dorme à la rue, en prenant appui sur la philosophie du Logement d’abord… », conclut la Fondation.
 

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