Projet de loi « séparatismes » : le Conseil d'État refuse le retour du pouvoir de tutelle des préfets, le gouvernement obtempère
À quoi ressemblera le texte présenté demain en Conseil des ministres par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin ? En tout cas, il sera assez nettement différent des versions qui ont été présentées jusque-là : le Conseil d’État a rejeté certaines dispositions, en a modifié d’autres, a procédé à plusieurs nouvelles rédactions de certains articles. Il s’en est expliqué dans un long avis, diffusé notamment hier sur le blog de l’avocat spécialiste des collectivités Éric Landot.
Le pouvoir rendu au juge
L’un des points les plus clivants de ce texte – aux dires des représentants des élus au Cnen – est la mise en place d’un système de « déféré suspension » donnant de très importants pouvoirs aux préfets. En cas de « grave atteinte au principe de neutralité d’un service public », prévoyait le gouvernement, le préfet pourrait demander la suspension d’un acte pris par une collectivité, suspension qui prendrait effet immédiatement. La décision du préfet serait soumise au juge administratif qui aurait 30 jours pour se prononcer, faute de quoi l’acte suspendu redeviendrait exécutoire. Par ailleurs, dans certains cas d’atteinte grave à la neutralité des services publics, le préfet pourrait procéder d’office à l’exécution d’une décision et, le cas échéant, « exercer l’autorité hiérarchique sur les agents du service public ».
Au Cnen (lire Maire info du 1er décembre), les représentants des élus avaient éreinté cette disposition, estimant qu’elle signifierait le retour du pouvoir de tutelle du préfet et une réintroduction du contrôle a priori.
Le Conseil d’État va dans le même sens, sans mâcher ses mots : « Les dispositions (…) créant un déféré suspensif nouveau assorti de la reconnaissance d’un pouvoir de substitution du préfet modifient de façon excessive l’équilibre du contrôle administratif et du respect des lois par les collectivités territoriales. » Certes, le Conseil d’État souscrit pleinement à la volonté de « rendre plus rapides les procédures » destinées à faire cesser les manquements au principe de neutralité des services publics, qu’il compte parmi « les dysfonctionnements du service public les plus graves ». En particulier, les magistrats pointent les manquements qui pourraient affecter « les équipements sportifs, les cantines, les bibliothèques ». Mais en la matière, « l’appréciation relative à l’existence d’actes qui portent gravement atteinte au principe de neutralité des services publics (peut) s’avérer délicate », poursuit le Conseil d’État, qui préconise que « cette appréciation relève du juge plutôt que de l’auteur du déféré », c’est-à-dire le préfet.
Le Conseil d’État « ne retient pas les mesures » du projet de loi et en propose d’autres : il suggère d’utiliser, dans ce cas, la procédure de « déféré accéléré », permettant à un juge de statuer dans les 48 heures. Rappelons que cette solution était précisément celle que les représentants des élus, au Cnen, avaient préconisée.
Sur ce sujet enfin, le Conseil d’État remarque qu’il ne paraît pas très juste de limiter ces dispositions nouvelles aux seules collectivités locales – que les élus du Cnen avaient eux aussi jugées « stigmatisées » –, dans la mesure où « de tels manquements sont tout autant susceptibles d’affecter les services de l’État ».
Scolarisation à domicile
Les magistrats ont demandé la modification de nombreuses autres dispositions de ce texte – il reste à savoir ce que le gouvernement en retiendra. Sur la scolarisation obligatoire par exemple, les magistrats relèvent que cette disposition « soulève de délicates questions de conformité à la Constitution », eu égard au principe de « liberté de l’enseignement ». En l’état, « le projet du gouvernement ne répond pas à la condition de proportionnalité » permettant de remettre en cause « une liberté de longue date reconnue par la loi aux parents », celle d’instruire les enfants au sein de la famille. Les magistrats proposent donc de retourner la formulation du gouvernement : plutôt que d’interdire la scolarisation à domicile « sauf impossibilité », ils proposent de l’autoriser sous conditions, en énonçant un certain nombre de « motifs précis », en « offrant des garanties aux familles qui entendent mettre en œuvre un projet éducatif de qualité ».
Le déféré suspension retiré du texte
Des conseillers ministériels des cabinets concernés par le projet de loi ont donné, en fin de matinée, un certain nombre de détails : le cabinet du ministère de l’Intérieur a notamment confirmé ce matin que l’avis du Conseil d’État serait bien pris en compte, et que le très critiqué « déféré suspension » a vécu. Il est remplacé par un nouveau « déféré laïcité », permettant au préfet de saisir le juge administratif en cas de décision d’une collectivité portant atteinte au principe de laïcité. Le juge aura 48 h pour prendre une décision. Parmi les décisions qui pourraient déclencher ce dispositif, l’entourage de Gérald Darmanin a cité « l’instauration de menus communautaires dans les cantines », par exemple, ou encore l’instauration d’horaires différenciés dans les équipements sportifs d’une commune.
Le projet de loi s’appellera finalement : « Projet de loi confortant le respect des principes de la République ». Les conseillers ministériels se sont réjouis que le Conseil d’État n’ait exprimé des réserves de fond « que sur quatre articles » du texte sur 54. Ils ont aussi insisté sur le fait que l’un des points majeurs du texte est de « graver dans le marbre de la loi » l’extension du principe de laïcité aux entreprises de droit privé délégataires d’une mission de service public.
Franck Lemarc
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