Maire-info
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Édition du mardi 31 mai 2022
Laïcité

Burkini : pourquoi le tribunal administratif a confirmé la suspension de la délibération de Grenoble

Le tribunal administratif de Grenoble, dans une ordonnance rendue le 25 mai, a confirmé la suspension de l'exécution du très controversé point 10 du règlement des piscines de Grenoble. En évitant, sur le fond, d'argumenter sur la question d'une obligation de neutralité pour les usagers du service public. Explications. 

Par Franck Lemarc

Dès l’adoption, par délibération du conseil municipal de Grenoble le 16 mai dernier, du nouveau règlement intérieur autorisant le port du burkini dans les piscines municipales (lire Maire info du 18 mai), le préfet de l’Isère, sur demande expresse du ministre de l’Intérieur, a déféré ce règlement devant le tribunal administratif, qui a eu 48 h pour se prononcer. 

Cette procédure est permise par la loi confortant le respect des principes de la République, qui a créé le « déféré laïcité » : « Lorsque l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures », dispose désormais le Code général des collectivités territoriales (article L2131-6). 

Le nouveau règlement

Rappelons que la délibération du conseil municipal assouplit les conditions d’accès aux piscines municipales de Grenoble, en arguant que la tenue des femmes à la piscine, dès lors qu’elle ne déroge pas aux règles d’hygiène, doit être libre. Le nouveau règlement autorise donc aussi bien les femmes à se baigner les seins nus qu’à porter un maillot de bain « couvrant », dès lors que la tenue de bain est « faite d’un tissu spécifiquement conçu pour la baignade »  et « ajustée près du corps ». Mais une dérogation est prévue à cette dernière règle : les tenues non « ajustées près du corps »  sont tout de même autorisées dès lors qu’elles « ne dépassent pas la mi-cuisse ».

Cette dérogation est précisément faite pour autoriser le burkini, qui ne se compose pas seulement d’une sorte de combinaison intégrale couvrant bras, jambes et cou, mais également d’une tunique portée par-dessus la combinaison, et descendant jusqu’à mi-cuisse, précisément. 

Deux visions

Deux visions diamétralement opposées se sont affrontées à l’audience. De son côté, le préfet de l’Isère a soutenu que ce règlement, en tant qu’il autorise le burkini, « porte une atteinte grave aux principes de laïcité et de neutralité du service public ». Tout en reconnaissant qu’il n’existe pas d’obligation de laïcité pour les usagers du service public, le préfet a estimé que « la libre expression des conviction religieuses (des usagers) trouve sa limite dans le bon fonctionnement du service public et de l’ordre public ». La disposition attaquée, poursuit le représentant de l’État, « vise à reconnaître des droits particuliers à des membres d’une communauté religieuse ». Il estime enfin que cette décision comporte un risque « de graves troubles à l’ordre public, comme l’ont montré les manifestations organisées le jour du conseil municipal ». 

Le point de vue opposé a été défendu par la commune de Grenoble, l’association Alliance citoyenne et la Ligue des droits de l’homme. Les arguments essentiels de la commune sont les suivants : « Le règlement intérieur n’a pas pour objet d’autoriser une pratique religieuse mais seulement de permettre à toute personne d’accéder aux piscines, dans le respect des règles d’hygiène et de sécurité propres à ces équipements. Les usagers des piscines ne sont pas soumis à des exigences de neutralité religieuse. Aucun texte législatif ou principe général du droit ne s’oppose à ce qu’un règlement intérieur de piscine n’interdise pas le port d’un burkini. » 

Suspension confirmée

Alors que l’on pouvait s’attendre à ce que le tribunal s’appuie essentiellement sur la question de l’application du principe de neutralité aux usagers du service public, il n’en a rien été. Le tribunal a volontiers reconnu que « les usagers du service public peuvent exprimer librement (…) leur appartenance religieuse ». C’est sur un autre point que le tribunal a suivi le préfet de l’Isère : le fait de permettre une dérogation à l’obligation du port d’une tenue « près du corps ». 

« Les dispositions de l’article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances pour s'affranchir des règles communes organisant et assurant le bon fonctionnement des services publics », rappellent les magistrats. L’autorité administrative doit « édicter des règles concourant au maintien (…) de la sécurité et de la salubrité », et « il ne saurait être dérogé (à ces) règles ». 

Or l’obligation de porter des tenues de bain « près du corps »  répond à des règles d’hygiène et de sécurité (éviter qu’un vêtement large, type bermuda, puisse être aspiré par les pompes de la piscine et provoquer une noyade). La commune de Grenoble a permis de déroger à cette règle « sous la seule condition que (la tenue) soit moins longue que la mi-cuisse », ce qui est précisément le cas du burkini. Elle a donc dérogé à une règle de sécurité « pour permettre à certains usagers de s’affranchir de cette règle dans un but religieux ». Ce qui représente, ont tranché les juges, « une atteinte grave aux principes de neutralité du service public ». 

L’article 10 du règlement, « en tant qu’il autorise certaines tenues non près du corps », a donc été suspendu. 

Conseil d’État 

Comme la loi l’y autorise, le maire de Grenoble, Éric Piolle, a annoncé qu’il contestait cette décision devant le Conseil d’État qui va, lui aussi, devoir statuer sous 48 heures. 

Plusieurs options sont possibles : le Conseil d’État peut se trouver en désaccord avec le tribunal administratif et annuler la suspension. Il peut confirmer sa décision, sans aller davantage sur le fond, ce qui laisserait la possibilité à la municipalité de faire tout de même passer sa décision, à condition de rédiger autrement le règlement intérieur – si celui-ci ne contenait pas de référence à une obligation de porter des vêtements près du corps, la décision du tribunal ne serait plus justifiée. Ou enfin, se prononcer davantage sur le fond. La réponse viendra vite. 

Quoi qu’il en soit, rappelons que l’AMF, dans un communiqué publié au lendemain de la décision du conseil municipal, espère qu’une « clarification législative »  interviendra à l’avenir, dans la mesure où aucune loi, à ce jour, n’interdit le port du burkini dans les piscines et que les décisions des maires en la matière, de ce fait, sont forcément fragiles. 

Accéder à l’ordonnance du tribunal administratif.

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