L'État rouvre des sous-préfectures et amorce une réflexion nouvelle sur la décentralisationÂ
Par Franck Lemarc
« Bien souvent nous avons installé une fausse décentralisation, en partageant les compétences sans donner les responsabilités. Il faut maintenant ouvrir un nouveau chapitre avec une vraie décentralisation. »
Si ce ne sont pas que des mots, ces propos du chef de l’État, hier, à Château-Gontier (Mayenne), sonneront agréablement aux oreilles de l’AMF, de Régions de France et de l’ADF, qui demandent précisément un tel virage depuis plusieurs années.
« Éloignement de la décision »
C’est pour inaugurer une nouvelle sous-préfecture dans l’arrondissement de Château-Gontier qu’Emmanuel Macron a fait le déplacement. C’est la première fois, depuis bien des années, que des sous-préfectures sont rouvertes, après la vague de fermeture des années 2013-2014. Le chef de l’État a dit avoir « la conviction très profonde » qu’il faut « davantage territorialiser ». Dans le débat entre déconcentration et décentralisation, il s’est dit « là aussi partisan de l’en même temps » : il faut à la fois « renforcer l’État local » et « réussir partout où c’est raisonnable à confier des fonctions aux collectivités locales », avec un fil conducteur : « le partenariat pragmatique ».
Emmanuel Macron est revenu sur les deux phénomènes qui ont « éloigné l’État » des Français. D’abord la RGPP (revue générale des politiques publiques), lancée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. « Il fallait faire des économies, mais on les a surtout faites sur l’État local. Les effectifs ont fondu dans nos préfectures et nos sous-préfectures, mais pas tellement à Paris. »
Deuxième phénomène : la création des super-régions, qui a mécaniquement éloigné les capitales régionales des habitants. « Tout cela, a poursuivi le chef de l’État, a créé un sentiment d’éloignement de la décision. »
« Rapprocher l’État »
Pour y répondre, le gouvernement a commencé, en 2018, par déconcentrer les décisions. « Nous avons déconcentré 90 % des décisions qui se prenaient là-haut », a déclaré le chef de l’État – chiffre qui semble assez exagéré. Dans un deuxième temps, la relance des maisons France Service, puis la déconcentration de nombreux services des finances publiques et du ministère de l’Intérieur ont été de nouvelles étapes pour « rapprocher » l’État des citoyens partout sur le territoire. Emmanuel Macron s’est félicité du dépassement de l’objectif en matière de France services : « Je m’étais engagé à 2000. Nous en sommes à 2 400, et ce sera 2 600 fin 2022 ».
La création annoncée de « 200 nouvelles brigades de gendarmerie » procède du « même mouvement », a poursuivi le président de la République, qui promet « une vaste concertation avec les élus » pour décider des modalités de ce déploiement.
La réouverture de certaines sous-préfectures fait partie de la même volonté de renforcement de l’État local. Six sous-préfectures vont rouvrir : à Château-Gontier, donc, mais aussi à Clamecy (Nièvre), Montdidier (Somme), Nantua (Ain), Rochechouart (Haute-Vienne), ainsi qu’en Guyane, à Saint-Georges-de-l’Oyapock.
Le chef de l’État s’est longuement arrêté sur la nécessité du « partenariat » entre services de l’État et élus locaux (le fameux couple maire-préfet), qui a été « mis en acte » pendant la période du covid-19. En développant la vision qui est la sienne : « Plutôt que de passer des heures à se demander qu’est-ce qui est de la compétence de l’un ou de l’autre, il faut bâtir des projets avec des partenariats d’action. On simplifie ! Quand des élus portent un projet, notre but doit être de les aider à aller plus vite. » C’est cette philosophie qui sous-tend les programmes tels que Action cœur de ville, Petites villes de demain, Territoires d’industrie, etc.
« Vraie décentralisation »
C’est dans la dernière partie de son discours que le chef de l’État a parlé de sa vision de la décentralisation. Sur la question financière, pas d’évolution dans le discours, plutôt autosatisfait, d’Emmanuel Macron : « J’ai donné la mission au gouvernement de donner de la visibilité aux maires, alors qu’il y a beaucoup d’angoisse sur les budgets. » Cet objectif est loin d’être rempli aujourd’hui, le gouvernement refusant toujours d’indexer les dotations sur l’inflation.
Sur la question des compétences, le président de la République s’est montré plus ambitieux. « Avec la commission transpartisane que je vais installer dans les prochains mois, je veux ouvrir un nouveau chapitre de la décentralisation, mais cette fois de la vraie décentralisation. » À savoir : partager non seulement les compétences, mais aussi « les responsabilités, les financements et les pouvoirs normatifs ». « Ce n’est pas ce qui s’est fait jusqu’à maintenant », a affirmé le chef de l’État, qui souhaite que « toutes les politiques publiques soient réexaminées afin de chercher là où la prise de décision est la plus efficace ». Il s’agit bien, le président l’a dit, d’un objectif de « changement institutionnel ».
Doit-on y voir l’amorce d’un bougé sur un véritable « troisième acte de décentralisation » que Territoires unis (qui regroupe l’AMF, l’ADF et Régions de France), réclame depuis des années ? L’avenir le dira. On en saura plus lorsque sera installée cette fameuse « commission transpartisane sur la réforme des institutions », qui faisait partie des promesses de campagne du candidat Macron et n’a, semble-t-il, pas été jetée aux oubliettes.
[Mise à jour 16 h]
Au lendemain de ces annonces, l'AMF a réagi par communiqué, cet après-midi, pour « saluer » ces prises de position, qui marquent « un total changement par rapport au discours de novembre 2021 au Congrès des maires ». L'association poursuit : « Pour être une ‘’vraie décentralisation’’, au-delà de transferts de compétences, il faudra mettre la subsidiarité ascendante au cœur de l’organisation des pouvoirs publics, sortir du régime des autorisations préalables, permettre à chaque strate de disposer d’une autonomie fiscale, veiller à ce que « qui paye décide » et « qui décide paye », donc instaurer partout la responsabilité ; gage d’efficacité, de cohésion et de civisme. Tout le contraire de ce qui a été fait depuis une quinzaine d’années et notamment sous le quinquennat précédent, avec par exemple la nationalisation de la taxe d’habitation et le dispositif, dit de Cahors, d’encadrement des dépenses. »
Il reste maintenant à « passer aux actes », conclut l'AMF.
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