L'Observatoire MNT décrypte les réalités complexes de l'absentéisme territorial
Par Emmanuelle Quémard
Quelle est la nature de l’absentéisme au sein des collectivités ? Quelles en sont les causes profondes ? Comment ce phénomène a-t-il évolué ces dernières années ? Quels coûts engendrent les absences des agents sur les budgets locaux ? Comment peut-on prévenir l’absentéisme territorial ? Autant de questions auxquelles répond le dernier cahier thématique publié en octobre par l’Observatoire MNT (Mutuelle nationale territoriale).
Intitulé « Absences au travail, des repères pour agir dans les services publics locaux », ce document entend lever le voile sur ce dossier sensible, objet de multiples interprétations – et parfois de fantasmes – dans la sphère publique, comme dans toute le secteur privé.
Davantage d'absentéisme que dans le secteur privé
Pour cerner la réalité de l’absentéisme dans les collectivités, l’Observatoire MNT s’appuie à la fois sur une série d’entretiens menés d’octobre 2022 à janvier 2023 auprès de 23 experts et sur un sondage exclusif réalisé en novembre et décembre 2022 par l’Institut BVA auprès de 105 élus, 318 décideurs d’entités territoriales et 80 acteurs médicaux et sociaux.
Dans un premier temps, l’étude s’attache à cerner « le périmètre à géométrie variable » de l’absentéisme dans les structures publiques et dans le secteur privé. Un phénomène en nette progression dans les deux univers en raison des crises économiques successives, de la vulnérabilité des cellules familiales, des mutations du monde du travail et de l’apparition de nouveaux risques sanitaires liés aux modes de vie (sédentarité, addictions, troubles nutritionnels...). Toutefois, l’Observatoire MNT constate que le niveau des absences au travail est sensiblement plus élevé dans les collectivités que dans le privé : 9,5 % dans la territoriale contre 6,87 % dans les entreprises pour l’année 2020 et 9,6 % contre 6,19 % en 2021 (1).
Le document de la MNT précise que le rétablissement du jour de carence en maladie ordinaire en 2018 a eu un impact immédiat sur le taux d’exposition (proportion d’agents absents au moins une fois dans l’année). Cet indicateur est, en effet, passé de 50 % en 2015 à 40 % en 2021. Il s’est aussi traduit par une forte diminution des arrêts de courte durée (- 46 % pour les arrêts d’un jour et - 23 % pour ceux de deux jours).
Par ailleurs, la gravité des arrêts maladie (nombre de jours d’absence par agent) progresse un peu plus chaque année. Elle était de 51 jours en 2021 (+ 38 % entre 2015 et 2020). Cette évolution est plus marquée pour les maladies de longue durée (271 jours d’arrêt en 2021, soit 47 jours de plus en six ans). Concernant les accidents du travail, la tendance est également à la hausse depuis 2015 (+ 22,4 %) même si un recul de cinq jours, qui s’explique par la crise sanitaire, a été constaté en 2021.
Les petites communes et les collectivités rurales les plus touchées
L’ étude MNT mesure, par ailleurs, le niveau des absences des personnels territoriaux selon le type de collectivités où ils exercent leur mission de service public. Ainsi, ce sont dans les centres communaux d’action sociale (CCAS) que l’absentéisme est le plus élevé (12,3 %). La courbe est également orientée à la hausse dans les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les communes. À noter que si les arrêts sont plus nombreux et plus fréquents dans les plus grandes collectivités, ils s’avèrent plus longs dans les plus petites.
L’Observatoire MNT souligne également que dans les zones géographiques les moins peuplées, la distance domicile-travail apparait comme un facteur déterminant de l’absentéisme des agents. De même, l’âge des agents constitue une clé essentielle : en 2020, les agents âgés de 55 à 59 ans représentaient 25,4 % des absences de plus de 90 jours et 32,9 % de celles de plus de 200 jours.
De même, les filières d’emploi et la pénibilité des métiers constituent des éléments déterminants. À l’exception de la filière sportive, toutes les filières enregistrent une progression du taux d’absences au travail. En 2020, les plus hauts niveaux d’absentéisme étaient constatés au sein des filières sociales, médico-sociales, techniques et de l’animation (avec des taux respectifs de 9,3 %, 9,3 % et 8,6 %). Par ailleurs, l’absentéisme est deux fois plus élevé chez les personnels de catégorie C (10,4 %) que parmi ceux de catégories A ou B (respectivement 4,6 % et 5,2 %).
Le vieillissement des effectifs et la pénibilité des métiers au banc des accusés
Autre particularité relevée par l’étude : dans plusieurs filières, certains métiers comportent une part de risque qui n’est pas prise en compte dans les statistiques de l’absentéisme. L’Observatoire MNT identifie les principaux facteurs de risques susceptibles d’affecter la santé des agents : lieux d’exécution des tâches à accomplir (voie publique, hauteur...), outils et matériels utilisés, produits manipulés (dangereux, toxiques, comportant des risques chimiques ou biologiques...), exposition à certains micro-organismes (bactéries, virus, parasites, champignons…) susceptibles de provoquer diverses pathologies (infections, allergies, intoxications, voire cancers…).
Le document souligne également le poids important des maladies professionnelles, des risques psychosociaux et des accidents du travail dans la territoriale. Des troubles qui apparaissent « liés à l’intensité et au temps de travail, aux exigences émotionnelles, au manque d’autonomie, aux rapports sociaux au travail dégradés, aux conflits de valeurs ou à l’insécurité de la situation de travail ».
Les difficultés de recrutement et de remplacement produisent aussi des effets indirects sur la courbe de l’absentéisme. Selon l’Observatoire MNT, les problèmes d’attractivité et de pénurie de personnels « entraînent des reports de la charge de travail sur les agents présents, phénomène qui renforce leur usure professionnelle ».
Pour les employeurs publics, l’absentéisme induit des charges importantes pour les finances des collectivités. Ainsi, le coût direct des absences par agent s’élevait à 2 221 euros en 2020 et 2 233 euros en 2021 (2).
Des stratégies RH à repenser
Enfin, l’Observatoire MNT se penche sur les pistes susceptibles d’enrayer durablement la montée de l’absentéisme territorial. Si la prévention apparait comme un levier majeur pour les collectivités – même si aujourd’hui les moyens affectés à la médecine du travail semblent en-deçà des enjeux – c’est bien la politique RH de l’employeur public qui se trouve au cœur de la lutte contre les absences au travail.
Avec « l’allongement programmé des carrières, la persistance de la pénibilité dans de nombreux métiers et le vieillissement des effectifs, les collectivités doivent repenser au plus vite leur stratégie RH ». L’Observatoire préconise d’agir à la fois à tous les moments clés de la carrière d’un agent (embauche, mobilité, fin de carrière) mais aussi, d’anticiper les évènements qui peuvent entraîner un basculement vers l’arrêt de travail (disponibilité d’office, reclassement, accompagnement à la reprise, etc.).
(1) Selon les dernières estimations réalisées par l’assureur Relyens (ex Sofaxis) le taux global de l’absentéisme territorial a encore progressé en 2022, avec un pic de 9,7% (lire Maire info du 5 octobre 2023).
(2) Pour 2022, Relyens évalue à 2 288 euros le coût moyen des absences par agent titulaire.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
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