Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 17 janvier 2023
Justice

Poursuites pénales contre les élus : le rapport de l'Observatoire SMACL pointe l'importance de la présomption d'innocence

La Société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL) vient de publier son rapport annuel. La hausse du nombre de poursuites contre les élus locaux se confirme. En revanche, les condamnations sont loin d'être systématiques. Plus de six élus poursuivis sur dix reçoivent une décision favorable.

Par Lucile Bonnin

« Poursuite ne vaut pas condamnation » . C’est l’enseignement principal qui peut être tiré du rapport annuel 2022 de la Société mutuelle d’assurance des collectivités locales (SMACL) publié hier.

L’Observatoire SMACL recense et analyse 27 années de contentieux pénaux mettant en cause les élus, les fonctionnaires territoriaux ou les collectivités territoriales. 

Hausse des procédures 

Le rapport de l’année dernière (lire Maire info du 20 janiver 2022) pointait une forte hausse (42 %) des mises en cause contre les élus locaux pour la mandature 2014-2020 par rapport à celle de 2008-2014. Sur ce point, le nouveau rapport confirme qu’en moyenne, « c’est un élu local qui fait l’objet d’une mise en cause pénale par jour ». 

Globalement, d’avril 1995 à juillet 2022 ce sont 5 184 poursuites pénales qui ont été recensées contre les élus locaux, 3 025 contre des fonctionnaires territoriaux et 474 contre des collectivités et établissements publics locaux.

Les motifs de poursuites contre les élus locaux sont variés. Depuis 1995, 2 230 poursuites ont été lancées contre les élus locaux pour « manquements à la probité ». C’est d’ailleurs, selon le rapport, le premier motif d’exposition des élus aux poursuites pénales. Le second motif de poursuites le plus fréquent concerne les atteintes à l’honneur avec 1 139 élus locaux concernés depuis 1995. Les atteintes à la dignité constituent aussi un motif de poursuites important avec 784 élus poursuivis en 27 ans. 

Concernant les fonctionnaires territoriaux, entre avril 1995 et juillet 2022, 3 025 poursuites ont été dirigées contre des fonctionnaires territoriaux, « soit une moyenne supérieure à 112 par an (un peu plus de 2 par semaine). »  Le rapport indique que, comme pour les élus, il y avait « une tendance baissière »  des poursuites depuis 2016 mais « une reprise des poursuites en 2021 »  avec 134 poursuites dirigées contre des fonctionnaires territoriaux (contre 108 en 2020). Les trois principaux motifs de ces poursuites sont les suivants : manquements au devoir de probité, atteintes à la confiance, atteintes à la dignité. 

La tendance est aussi à la hausse du côté des poursuites contre les collectivités territoriales ou leurs établissements publics. En 27 ans, il y a eu 474 poursuites contre des collectivités territoriales et établissements publics locaux soit une moyenne de 17 par an. Lors de la dernière mandature (2014-2020), 200 collectivités territoriales et établissements publics locaux ont été poursuivis pénalement, « soit une hausse de 43,9 % par rapport à la mandature 2008-2014. »  Pour 41,3 % de ces poursuites pénales le motif était celui des violences involontaires. 

Un taux de mise en cause pénale faible 

Mais en 27 années – et c’est ce sur quoi le rapport insiste – le nombre de condamnations reste relatif. Sur les six dernières années, en moyenne, le taux de condamnations des élus locaux poursuivis (rapport du nombre de condamnations sur le nombre de poursuites) est de 39,7 %. « Ainsi, plus de six élus poursuivis sur dix bénéficient finalement d’une décision qui leur est favorable » , indiquent les auteurs du rapport. Pendant la dernière mandature, sur 1 979 élus poursuivis, seuls 477 ont en réalité fait l’objet d’une condamnation.

« Le taux de mise en cause pénale des élus locaux reste marginal : au 1er janvier 2021 la France comptait 579 484 élus locaux (source : DGCL, les collectivités locales en chiffres 2022). Si l’on rapporte le nombre de poursuites dirigées contre les élus locaux sur la mandature 2014-2020 à ce chiffre, cela donne un taux de mise en cause pénale de … 0,342 % toutes infractions confondues » , peut-on lire dans l’avant-propos de Luc Brunet, responsable de l’Observatoire SMACL.

Le taux moyen de condamnation est tout aussi faible pour les fonctionnaires territoriaux : sur 970 fonctionnaires poursuivis, seuls 321 ont été condamnés entre 2014 et 2020. Même chose pour les collectivités : sur 200 collectivités poursuivies, 30 ont finalement été condamnées. 

Ces chiffres sont l’occasion pour l’Observatoire de « souligner toute l’importance du principe de la présomption d’innocence. »  C'est « un constat rassurant pour les élus et fonctionnaires sur l’état de santé de notre démocratie locale, et très éloigné du "tous pourris" ». 

Prévisions pour le mandat actuel 

L’évolution du contentieux pénal pour la mandature 2020-2026 s’annonce plus calme selon les estimations de la SMACL. L’Observatoire estime « que ce sont 1 617 élus qui devraient être poursuivis d’ici la fin de cette mandature, ce qui constituerait une baisse de 18 % par rapport à ce que nous constatons sur la mandature 2014-2020. » 

Il est précisé cependant qu’une reprise du contentieux est observée en 2021, ce qui invite à la prudence. Les projections annoncent pour le moment une baisse de 40 % des poursuites des collectivités, une baisse de 23 % des poursuites des fonctionnaires et une baisse de 18 % de celles des élus. 

Prise illégale d’intérêt

Le manquement au devoir de probité étant le premier motif de poursuites menées contre les élus locaux, une partie du rapport porte sur la prise illégale d’intérêts qui constitue l’une des grandes infractions portant atteinte au devoir de probité.

C’est surtout un véritable casse-tête pour les élus car la mise en œuvre pratique du texte (article 432-12 du Code pénal) est complexe. Il « n’est pas toujours facile de déterminer en amont ce qui est répréhensible ou non » , est-il indiqué dans le rapport. 

Ce zoom particulièrement intéressant est à retrouver à la page 146 du rapport et fait un récapitulatif des points de vigilances à garder en tête concernant la prévention des conflits d’intérêts, les dérogations qui existent pour les communes de moins de 3501 habitants ou encore le risque pénal des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux.

Point d’attention sur les violences sexuelles 

« À noter que depuis quelques années un contentieux prend de l’importance, de manière plus marquée pour les fonctionnaires territoriaux que pour les élus locaux : celui des violences sexistes et sexuelles » , met en lumière Luc Brunet. 

En effet, sur la mandature 2014-2020, c’est le troisième motif de poursuites, et le deuxième motif de condamnations des fonctionnaires territoriaux. « Le constat est moins marqué pour les élus locaux (7e motif de poursuites et 5e motif de condamnations sur la mandature 2014-2020), mais ce contentieux est aussi en hausse et la tendance ne semble pas se démentir sur la mandature 2020-2026 : d’après nos estimations (qui restent à consolider) c’est une soixantaine d’élus et près de 90 fonctionnaires territoriaux qui devraient être poursuivis de ce chef au cours de cette mandature » , souligne Luc Brunet. 

Télécharger le rapport. 

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